Deux événements méritent d’être examinés de plus près ces derniers jours – un rappel pour surveiller la progression de l’extrême droite en Europe. En Italie, la troisième plus grande économie de la zone euro, le parti fasciste des Frères d’Italie a pris la tête des sondages avant les élections anticipées du mois prochain. Dans le même temps, le dirigeant hongrois, Viktor Orban, qui a l’habitude de tenir des propos racistes, a déclaré que l’Europe occidentale était un «monde métissé», contrairement à la Hongrie. L’un de ses assistants a démissionné, qualifiant son discours de «purement nazi». Le problème, c’est que le dirigeant est en train de devenir la coqueluche de l’extrême droite et qu’il prendra même la parole lors de la Conférence d’action politique conservatrice au Texas cette semaine.
Tout cela s’inscrit dans un contexte qui pourrait être considéré comme propice à la montée en puissance de l’extrême droite, et pas seulement en Europe. La crise économique mondiale, l’insécurité alimentaire et la hausse des prix du carburant pourraient jouer en sa faveur. La migration est devenue l’un des plus grands sujets de préoccupation pour de nombreuses personnes en Europe. Mais, peut-être par-dessus tout, il existe une insatisfaction manifeste à l'égard des systèmes politiques et des dirigeants actuels. Les gens considèrent qu’ils ne génèrent pas de résultats. On ne leur fait plus confiance. C’était un thème majeur de l’élection présidentielle française de cette année, au cours de laquelle l’extrême gauche et l’extrême droite ont connu un essor remarquable.
Alors, l’extrême droite progresse-t-elle de nouveau? C’est certainement le cas en Italie! Ces dernières années, la droite a été dominée par la Ligue du Nord et le Mouvement populiste cinq étoiles. Et Giorgia Meloni, la dirigeante des Frères d’Italie, pourrait devenir la première femme Première ministre du pays. Selon les derniers sondages, le parti obtiendrait 24 % des voix. Groupe postfasciste ayant des liens directs avec le Parti national fasciste de Benito Mussolini, il a bénéficié du fait d’être le seul opposant au gouvernement de grande coalition de Mario Draghi, tirant profit de l’insatisfaction générale qui règne sur une grande partie du continent.
En revanche, les partis d'extrême droite au pouvoir ne s'en sortent pas aussi bien. En Pologne, le soutien au parti Droit et justice a considérablement diminué et la plate-forme civique de Donald Tusk est désormais en tête dans les sondages. En Grèce, le parti fasciste Aube dorée, qui a remporté dix-huit sièges en 2018, a été qualifié d’«organisation criminelle déguisée en parti politique» par la justice grecque l’année dernière.
L’extrême droite est donc bien vivante en termes de partis politiques. Elle est représentée dans la quasi-totalité des Parlements de l’Union européenne (UE), ce qui donne une certaine légitimité à des points de vue qui ne devraient jamais être acceptés.
Ce qui a vraiment changé, c’est l’écosystème largement en ligne occupé par l’extrême droite. Dans le cybermonde, un grand nombre de réseaux transnationaux d’individus sans chef fleurissent. Ce sont les guerriers de la diffusion d’informations haineuses. En plus de répandre la haine, ils promeuvent également des théories du complot préjudiciables et non fondées sur des faits. Celles-ci circulent jusqu’à prendre une très grande ampleur lorsqu’elles sont diffusées par des superpartageurs et des influenceurs majeurs.
Ces groupes mondiaux d’extrême droite partagent leurs expériences sur leurs propres réseaux sociaux. Nombre d’entre eux ont été expulsés de Facebook et Twitter et ils utilisent donc les services de messagerie vocale comme Discord et, de plus en plus, Telegram et Signal, à des fins de confidentialité.
Qu’est-ce que cela signifie?
Premièrement, le sentiment anti-immigrés s’est intensifié ces dernières années, car de nombreux membres de l’extrême droite aspirent à une société «uniquement blanche». Les réfugiés ukrainiens ont été accueillis à bras ouverts, mais cette générosité ne s’étend plus aux réfugiés afghans ou syriens, à titre d’exemple. Un sondage mené à la fin de l’année 2020 révèle, de façon alarmante, que 39 % des Italiens estiment que l’immigration est délibérément conçue pour affaiblir l’Europe et l’identité européenne.
Le racisme éclate au grand jour. Si un gouvernement d’extrême droite prend le pouvoir à Rome, on ne peut qu’imaginer les répercussions terribles qu’il aurait sur les politiques, notamment en ce qui concerne la migration à travers la route de la Méditerranée centrale. La Grande-Bretagne est en train d’envoyer des demandeurs d’asile au Rwanda, ce que les deux candidats en lice pour le poste de Premier ministre en remplacement de Boris Johnson ont insisté pour continuer.
Deuxièmement, le sentiment antimusulman continue de s’intensifier. Le soutien à l’extrême droite en est la plus grande preuve, et de la même façon que pour l’immigration, il incite les partis les plus modérés à adopter des positions plus dures sur ces questions. En ce qui concerne les attitudes envers les musulmans, un sondage de 2020 révèle que les Hongrois (52 %) sont les plus hostiles, suivis de la Suède (47 %) et de la Pologne (43 %).
Troisièmement, le succès de ces idéologies renforce les craintes de violence et de terrorisme d’extrême droite. Le nombre d’attaques menées par les partisans de l’extrême droite a augmenté ces dernières années. Une étude montre une augmentation de 320 % des incidents terroristes d’extrême droite en Occident, notamment en Europe, entre 2013 et 2018. En 2020, un terroriste d’extrême droite a tué onze personnes lors d’une fusillade de masse dans deux bars à chicha à Hanau, en Allemagne. En Italie, la semaine dernière, un Noir handicapé a été tué en plein jour par un homme qui se serait inspiré de manifestes racistes.
«Vladimir Poutine espère que ses partisans d’extrême droite contribueront à affaiblir la position de l’UE et de l’Otan sur l’Ukraine.» - Chris Doyle
Quatrièmement, nombreux sont ceux qui se demandent dans quelle mesure l’extrême droite est liée au Kremlin. Les dirigeants russes ont courtisé Marine Le Pen en France, Matteo Salvini en Italie et le Parti de la liberté en Autriche, entre autres. Viktor Orban a effectivement agi comme l’homme du président russe, Vladimir Poutine, au sein de l’UE tout au long de la crise ukrainienne.
Les dirigeants d’extrême droite admirent M. Poutine. Ils aiment ses qualités d’homme fort et sa position ultranationaliste. Le président espère que ses partisans d’extrême droite contribueront à affaiblir la position de l’UE et de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) sur l’Ukraine.
Alors que la crise économique mondiale se ressent de plus en plus, les dangers sont évidents. Les mouvements d’extrême droite sont prêts à saisir toutes les occasions de propager leur haine et d’exploiter le climat de désespoir croissant. Les forces politiques traditionnelles devront redoubler d’efforts.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.
Twitter: @Doylech
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com