Les nationalistes religieux d’extrême droite se rapprochent de plus en plus du pouvoir en Israël

Des manifestants du groupe juif d’extrême droite «Lehava» (Flamme) célèbrent la Journée de Jérusalem dans la vieille ville, le 29 mai 2022. (AFP)
Des manifestants du groupe juif d’extrême droite «Lehava» (Flamme) célèbrent la Journée de Jérusalem dans la vieille ville, le 29 mai 2022. (AFP)
Short Url
Publié le Dimanche 31 juillet 2022

Les nationalistes religieux d’extrême droite se rapprochent de plus en plus du pouvoir en Israël

Les nationalistes religieux d’extrême droite se rapprochent de plus en plus du pouvoir en Israël
  • Au moment où elle commence à se faire une place dans le paysage politique traditionnel, l’extrême droite s’exprime de manière de plus en plus sophistiquée
  • Pour l’instant, le parti du Sionisme religieux est incapable de remporter des élections, mais il pourrait jouer un rôle central dans la formation du prochain gouvernement de coalition

Dans l’environnement politique instable d’Israël, débattre des élections de novembre et en prédire le résultat est un autre moyen de passer le temps pendant les chaudes journées d’été. En effet, la plupart des gens ont à l’esprit de rester au frais, en se frayant un chemin à travers un aéroport surpeuplé pour leur premier voyage post-pandémique à l’étranger, ou de survivre à la crise du coût de la vie qui devient incontrôlable.

Pourtant, même à ce stade précoce de la campagne électorale, il y a au moins un phénomène d’une constance alarmante qui ressort des sondages d’opinion : la montée du nationalisme ultra-religieux, mené par des personnages abjects qui ne peuvent être décrits que comme des bigots à forte tendance fasciste.

Le parti du Sionisme religieux, dirigé par Bezalel Smotrich, qui avait intégré le mouvement kahaniste d’Itamar Ben Gvir, Otzma Yehudit, avant même les dernières élections nationales, devrait plus que doubler ses sièges à la prochaine Knesset, passant de six sièges actuels à treize possibles.

Dans le contexte israélien, où l’actuel Premier ministre dirige un groupe de pas plus de 17 députés sur 120, alors que le dirigeant qu’il a remplacé préside un groupe de sept sièges seulement, un tel résultat pourrait avoir une incidence considérable sur la direction du pays dans les prochaines années. En ce qui concerne le parti du Sionisme religieux, cela est une mauvaise nouvelle pour la démocratie israélienne et pour les relations avec les Palestiniens des deux côtés de la Ligne verte.

Le processus n’en est qu’à ses débuts et le public pourrait utiliser les sondages pour envoyer un message aux autres partis, principalement le Likoud, pour lui demander de s’orienter plus vers la droite, afin de se rapprocher des positions de Smotrich et Ben Gvir.

Néanmoins, c’est aussi un signe extrêmement inquiétant que le langage raciste et homophobe de ces derniers est légitimé et que les gens ne se contentent pas de voter pour eux au scrutin secret, mais expriment ouvertement et sans réserve leur soutien à leurs idées répugnantes. Pire, les sondages mettent également en évidence que la présence du parti aux urnes serait plus forte si Ben Gvir, considéré comme le plus extrême des deux, en était le chef, même si idéologiquement la différence entre lui et Smotrich est négligeable.

Les deux composantes du parti débordent de racisme et de sectarisme. Par exemple, en 2016, Smotrich a tweeté son soutien à la ségrégation des femmes juives et arabes dans les maternités. « Il est tout à fait naturel que ma femme ne veuille pas s’allonger à côté d’une personne qui vient de donner naissance à un bébé qui pourrait tuer son bébé dans vingt ans », écrit-il après que sa femme a partagé le service de maternité avec une Palestinienne.

Si l’on suit sa logique tordue, Smotritch aurait dû veiller à ce que sa femme reste dans une chambre individuelle car, qui sait, la femme dans le lit à côté du sien, quelle que soit sa religion, sa nationalité ou son ethnie, pourrait donner naissance non seulement à un meurtrier, mais peut-être à un violeur, un braqueur de banque, un fraudeur ou même un futur Premier ministre qui serait un jour mis en examen pour corruption (même si Smotrich n’a aucun problème à partager un gouvernement de coalition avec ce dernier).

Dans tout pays qui respecte les valeurs démocratiques, les commentaires de Smotrich devraient suffire à le disqualifier pour qu’il ne devienne jamais une personnalité publique – et encore moins un membre de la Knesset.

Pour l’instant, le parti du Sionisme religieux est incapable de remporter des élections, mais il pourrait jouer un rôle central dans la formation du prochain gouvernement de coalition

Yossi Mekelberg

Au moment où elle commence à se faire une place dans le paysage politique traditionnel, l’extrême droite s’exprime de manière de plus en plus sophistiquée. Elle a appris, après l’interdiction imposée dans les années 1980 au chef spirituel archi-sectaire Meir Kahane, à dissimuler ses motivations, en adoucissant ses insultes racistes directes et sa volonté ouverte de détruire l’indépendance de la Haute Cour de justice, considérée comme le dernier obstacle à la mise en place de la version la plus extrême d’un État juif, où les Arabes et tous ceux qui ont des opinions de gauche libérale deviendraient au mieux des citoyens de seconde classe.

Pour cette branche du sionisme, la Ligne verte n’existe pas lorsqu’il s’agit de souveraineté israélienne et les Palestiniens doivent soit lui obéir et l’accepter, soit en subir les conséquences.

Comme d’autres mouvements fascistes naissants qui ont pour objectif de démolir les structures et les processus démocratiques de leur pays, avant d'arriver au pouvoir, ils apprennent à parler en termes codés qui sont suffisamment clairs pour leurs partisans, mais qui ne franchissent pas la ligne de l’illégalité. Par exemple, un chant comme « Mort aux Arabes » a été remplacé par « Mort aux terroristes » mais, dans leur esprit, ces slogans sont interchangeables. Dans leur monde où il est question d’ententes tacites, leurs partisans lisent entre les lignes.

Ironiquement, Ben Gvir est le seul député actuel à être un repris de justice. Alors qu’il accuse constamment et sans fondement des députés arabo-palestiniens de soutenir le terrorisme, c’est lui qui a été condamné pour soutien à une organisation terroriste et incitation au racisme après avoir brandi une pancarte où l’on pouvait lire : « Expulsez l’ennemi arabe » et une affiche qui dit : «Rabbi Kahane avait raison, les députés arabes sont une cinquième colonne ».

De plus, il a joué un rôle crucial dans les incitations contre le Premier ministre Yitzhak Rabin. Quelques semaines avant l’assassinat de Rabin en novembre 1995, Ben Gvir s’était vanté lors de l’une de ses premières apparitions à la télévision, tout en brandissant un emblème Cadillac volé dans la voiture du Premier ministre : « Nous sommes arrivés jusqu’à sa voiture et nous arriverons jusqu’à lui aussi ».

Comme si cela ne suffisait pas, Ben Gvir est un grand admirateur de Baruch Goldstein, le terroriste qui a assassiné de sang-froid vingt-neuf fidèles musulmans à la mosquée Ibrahimi à Hébron. Ben Gvir ne manque pas non plus une occasion d’attiser les tensions avec la population palestinienne locale, comme il le fait dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem.

Pour l’instant, le parti du Sionisme religieux est incapable de remporter des élections, mais il pourrait jouer un rôle central dans la formation du prochain gouvernement de coalition. Imaginez des politiciens qui souscrivent à son idéologie en charge du ministère de l’Intérieur, de la Justice, de l’Éducation ou de la Sécurité publique. Imaginez la législation qu’ils exigeraient pour favoriser la marginalisation des citoyens arabes, ou l’intensification de leurs efforts incessants pour politiser les systèmes de justice ou d’éducation et pour diaboliser ceux qui croient en une démocratie libérale.

Ce n’est pas un discours alarmiste. C’est le reflet de ce que les dirigeants religieux sionistes ont ouvertement déclaré pendant des années et, malheureusement, une indication de la direction que prennent la politique et la société israéliennes.

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé dans le Programme de la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (Mena) à Chatham House. Il collabore régulièrement avec les médias internationaux écrits et en ligne.

 

Twitter: @Ymekelberg

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com