Le nouveau chef conservateur sera forcément en décalage avec l'électorat

Des partisans de Richi Sunak et de Liz Truss assistent à un événement à Exeter, en Grande-Bretagne, le 1er août 2022 (Photo, Reuters).
Des partisans de Richi Sunak et de Liz Truss assistent à un événement à Exeter, en Grande-Bretagne, le 1er août 2022 (Photo, Reuters).
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Publié le Mercredi 03 août 2022

Le nouveau chef conservateur sera forcément en décalage avec l'électorat

Le nouveau chef conservateur sera forcément en décalage avec l'électorat
  • Johnson quitte ses fonctions alors que plus de 70% de l'électorat estime qu'il a échoué dans sa mission
  • Le sort du Royaume-Uni, probablement pour les deux prochaines années, sera désormais entre les mains de 160 000 membres du parti conservateur au plus

La semaine dernière, le public britannique a assisté à un double drame, le premier se terminant brusquement et de façon horrifiante, et le second par un résultat joyeux qui a remonté le moral de la nation, du moins dans la partie anglaise de l'Union.

Preuve de la popularité croissante du football féminin, la demi-finale du championnat d'Europe entre l'Angleterre et la Suède a été programmée en prime-time à la télévision. Plus tôt dans la soirée était programmé un énième débat houleux entre les deux candidats à la succession de Boris Johnson.

Il se trouve que si les Lionnes anglaises ont remporté leur match confortablement, en jouant avec style, conviction et intégrité (elles ont même remporté le trophée, battant l'Allemagne en finale dimanche), ces traits ont manifestement été absents de la plus grande partie du processus fastidieux de sélection du prochain leader des conservateurs. Le débat entre les deux candidats restants a été interrompu lorsque la présentatrice Kate McCann s'est évanouie au milieu des débats, à la grande horreur des prétendants au pouvoir, Liz Truss et Richi Sunak.

McCann s'est heureusement remise de son malaise et a repris ses fonctions dès le lendemain, mais il faudra plus de temps à l'opinion publique britannique pour se remettre du mandat chaotique et préjudiciable de Johnson, ainsi que de la course à la direction exceptionnellement vicieuse pour le remplacer, dans laquelle les prétendants à son poste ont affiché un mépris évident les uns pour les autres.

Johnson quitte ses fonctions alors que plus de 70% de l'électorat estime qu'il a échoué dans sa mission. Il s'agit d'une chute massive pour quelqu'un qui, il y a moins de trois ans, a mené son parti à l'une de ses plus grandes victoires électorales. Il laisse également le parti conservateur plus divisé qu'il ne l'a été depuis très longtemps et sans direction idéologique.

Un examen plus approfondi de la grande majorité remportée par les conservateurs lors des élections générales de 2019 révèle qu'elle peut être attribuée autant à un rejet des travaillistes sous Jeremy Corbyn qu'à une adhésion sans réserve aux conservateurs et à leur chef. Et voilà que le passage de Johnson à Downing Street a mis en évidence, de la manière la plus douloureuse qui soit, l'écart considérable entre ce qui est nécessaire pour gagner une élection et ce qui est nécessaire pour obtenir de bons résultats en tant que leader. En fin de compte, c'est bien la personnalité profondément imparfaite de Johnson et son manque de perspectives et de valeurs cohérentes qui ont mis fin à sa carrière politique.

Depuis douze ans que les conservateurs sont au pouvoir, aucun de leurs trois Premiers ministres successifs n'a quitté ses fonctions à un moment de son choix. Ce n'est pas une coïncidence, mais plutôt le reflet des profondes différences idéologiques du parti, ainsi que de son caractère impitoyable. C'est l'erreur de jugement colossale de David Cameron, en convoquant le référendum sur le Brexit, qui a conduit à sa démission dès l'annonce du résultat. Son successeur, Theresa May, n'avait aucune chance d'unir le parti autour de l'accord de Brexit qu'elle a conclu avec Bruxelles et a tenté de résoudre ce problème en convoquant des élections générales anticipées, lors desquelles les conservateurs ont perdu leur majorité parlementaire et presque leur emprise sur le pouvoir.

Et Johnson, qui a inlassablement conspiré pour évincer May et qui a fini par signer un accord de Brexit encore pire pour le Royaume-Uni, quitte maintenant son poste humilié, après avoir créé un désordre que d'autres devront résoudre – et pas seulement en ce qui concerne la question du Brexit. La personne qui lui succédera sera désignée par les membres du Parti conservateur uniquement et devra faire face à la tâche monumentale de guérir simultanément la nation et son propre parti, tout en s'attaquant aux défis les plus difficiles pour trouver aux conservateurs une plate-forme sociale, politique et économique unificatrice adaptée au XXIe siècle.

Alors que le parti conservateur est absorbé par ses propres désaccords et factions, le pays est confronté à de graves défis, dont certains sont partagés avec le reste du monde, comme la pandémie de la Covid-19, l'impact de la guerre en Ukraine et, plus que tout, le changement climatique. Cependant, dans le cas du Royaume-Uni, toutes ces difficultés sont aggravées par les conditions spécifiques auxquelles le pays est confronté dans l'ère post-Brexit, qui ont mis à nu la fragilité de l'union elle-même et de la société en général.

À ces questions, le conservatisme britannique n'a pas de réponse, principalement parce qu'il a, pendant trop longtemps, été obsédé par le fantasme populiste de «récupérer la souveraineté» ou de «contrôler nos frontières», au lieu de développer une approche qui a une saveur britannique mais qui est tolérante et globale dans sa perspective. L'obsession du parti pour l'Europe le divise depuis des années selon des lignes diamétralement opposées, entre ceux qui sont qualifiés de «petits Anglais» et ceux qui souscrivent à une approche europhile plus néolibérale et mondialiste et qui reconnait les opportunités économiques, politiques et culturelles d'un rapprochement avec le monde. Même si ces derniers ne sont pas de grands fans des politiques d'immigration libérales, ils en apprécient la valeur.

Quiconque prendra la tête du parti le 5 septembre, lorsque les résultats de la course à la direction seront annoncés, constatera, tout comme ses prédécesseurs, qu'il est presque impossible de concilier ces deux paradigmes contradictoires et d'éviter de rester un parti au pouvoir mais incapable de gouverner.

De plus, puisque le conservatisme n’a pas assimilé à la notion de société de bien-être moderne, il existe des tensions entre son acceptation, voire son soutien pour certains, et la manière dont elle est financée. L'instinct des conservateurs a toujours été de privilégier une économie à faible fiscalité et un gouvernement de taille réduite, alors qu'un niveau élevé de services publics exige des niveaux d'imposition qui vont inévitablement à l'encontre de ces principes.

En période de croissance économique, lorsque les coffres de l'État débordent, il est plus facile de maintenir des impôts plus bas tout en satisfaisant les conservateurs d'une nation. Cependant, les conditions économiques actuelles, à savoir une croissance lente, une inflation élevée et des niveaux d'imposition record, signifient que les conservateurs sont sortis de leur zone de confort et ne sont plus en phase avec les électeurs qui leur ont donné leur victoire écrasante aux dernières élections.

« Johnson laisse le parti conservateur plus divisé qu'il ne l'a été depuis très longtemps et sans direction idéologique.»

Yossi Mekelberg

Le sort du Royaume-Uni, probablement pour les deux prochaines années, sera désormais entre les mains de 160 000 membres du parti conservateur au plus, tandis que le reste d'entre nous ne serons que de simples spectateurs. En outre, il existe une réelle possibilité que, la prochaine fois que l'ensemble de l'électorat sera appelé à voter, l'Écosse ne fasse plus partie de l'Union. Pendant ce temps, l'accord du Vendredi Saint reste gravement menacé, les relations avec l'Europe sont de plus en plus tendues, l'économie britannique connaît la croissance la plus lente des pays du G7 et le coût de la vie monte en flèche, sans compter que de nombreuses communautés à travers le pays sont au bord de l'effondrement et que les banques alimentaires sont plus sollicitées que jamais. La question est de savoir si un Premier ministre conservateur peut répondre à tous ces défis – des problèmes qui ont, en grande partie, été créés par son propre parti – sans une réforme radicale de sa vision du monde.

 

Yossi Mekelberg est professeur de relations internationales et membre associé du programme MENA à Chatham House. Il contribue régulièrement à la presse écrite et électronique internationale.

Twitter : @YMekelberg

NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs de cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com