LAPPEENRANTA : Au poste frontière de Nuijamaa près de la ville finlandaise de Lappenranta, des cars de touristes russes affluent, certains pour profiter de l'été nordique, d'autres pour se rendre ailleurs en Europe.
Si le pays nordique a demandé son adhésion à l'Otan après l'invasion russe de l'Ukraine, il est le seul pays de l'UE frontalier de la Russie à encore délivrer des visas touristiques aux citoyens russes.
"Je voyage ici depuis douze ans", explique à l'AFP Boris Sourovtsev, un habitant de Saint-Pétersbourg de 37 ans, alors qu'il attend de passer la frontière. "C'est un pays magnifique avec de la nature et des lacs".
Après que l'Union européenne a fermé son espace aérien aux vols russes, la Finlande est aussi devenue un rare pays de transit pour les Russes souhaitant ensuite prendre l'avion pour d'autres destinations dans l'UE.
Avec la levée de restrictions Covid par les deux pays ces dernières semaines, le passage des Russes est devenu beaucoup plus simple, suscitant une frustration croissante côté finlandais.
Propositions au Parlement
"Ce n'est pas bien que les Russes puissent voyager librement en Finlande. Cela enlève toute la logique des sanctions", dit Kirsi Iljin, une habitante de Lappenranta.
En solidarité avec l'Ukraine, le parti conservateur finlandais a proposé d'arrêter d'accorder de nouveaux visas touristiques aux Russes, avec un vaste soutien qui se dessine au Parlement.
"La situation est insupportable", estime Jukka Kopra, un député du parti de la Coalition nationale. "Des Ukrainiens se font tuer, y compris des civils, des femmes et des enfants, et dans le même temps des Russes passent leurs vacances dans l'UE", dit-il à l'AFP.
Aki Lindén, le responsable social-démocrate qui assure les fonctions de la Première ministre Sanna Marin pendant ses vacances, a exprimé son soutien.
"Personnellement, je pense que les restrictions doivent être renforcées", dit-il à l'AFP.
La question est rendue compliquée par le nombre élevé de visas existants, près de 100 000.
"Des alternatives sont en cours d'examen", selon le ministère finlandais des Affaires étrangères.
D'autres pays de l'espace Schengen frontaliers de la Russie - l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne - ont déjà pris des restrictions sur les visas russes.
Moscou "réagira très négativement" si Helsinki les imite, a affirmé mardi le porte-parole du Kremin Dmitri Peskov.
Voie de passage
Depuis que la Finlande a levé ses restrictions Covid à la frontière fin juin et que la Russie a allégé les siennes mi-juillet, le nombre de touristes russes passant en Finlande n'a cessé d'augmenter, bondissant de 125 000 en juin à plus de 185 000 en juillet.
Pour le seul mois de juillet, plus de 10 000 visas de tourisme ont été délivrés à des Russes, selon les médias finlandais.
Côté russe, les compagnies de cars de Saint-Pétersbourg disent tourner à plein régime avec Helsinki, d'autant que le train reliant les deux villes a été interrompu à cause des sanctions.
"Ces dernières semaines c'est systématiquement plein. Les gens veulent profiter d'un passage plus facile", explique à l'AFP Sergueï Ivanov, de la compagnie Balt Car.
D'autant que les avions pour Istanbul ou Belgrade, autre voie d'accès encore possible pour l'Europe, atteignent des prix très élevés.
Si les Finlandais affichent une forte solidarité avec les Ukrainiens, les emplettes des Russes de passage sont ici une ressource importante pour les villes frontalières.
Des commerçants locaux envisagent d'un très mauvais oeil de voir redisparaître les touristes russes, à peine revenus après deux ans de Covid.
"C'est l'idée la plus absurde qui soit. Que gagnent-ils à isoler de simples citoyens russes?", peste Mohamad Darwich, le patron de Laplandia Market, une enseigne située à quelques minutes de la frontière. "Ils provoquent un énorme problème pour les locaux et le business".
Si l'histoire des deux pays a été lourde, les habitants des zones frontalières ont eu traditionnellement des contacts proches. Mais les choses ont changé avec le Covid puis la guerre.
Avec son visa de cinq ans en Finlande, Boris Sourovtsev, lui, avait l'habitude de visiter le pays jusqu'à dix fois par an. Mais il craint que cela touche à sa fin.
"J'en serais très triste et déçu. J'espère que la guerre va bientôt se terminer", lâche-t-il.