ALGER: Contrairement aux opposants qui prônent le boycott, les islamistes prendront part dimanche au référendum sur la révision de la Constitution en Algérie. Mais la plupart pour voter contre un projet à leurs yeux trop "laïc".
La guerre civile des années 1990 puis les 20 ans de règne sans partage du président déchu, Abdelaziz Bouteflika (1999-2019), ont laminé les partis politiques y compris religieux.
Les Algériens n'ont pas oublié la "décennie noire" durant laquelle se sont opposés forces de sécurité et groupes islamistes après l'annulation en 1992 de législatives en passe d'être remportées par le Front islamique du Salut (FIS). Le conflit a fait officiellement 200.000 morts dont de nombreux civils, victimes d'attentats ou de massacres imputés aux groupes islamistes.
La guerre a pris fin avec la signature d'une "charte pour la paix et la réconciliation nationale", entérinée par un référendum, qui a proposé le pardon aux combattants islamistes en échange de leur reddition.
Aujourd'hui, à la veille du référendum constitutionnel promu par le président Abdelmadjid Tebboune, le courant islamiste apparaît divisé.
D'un côté, ceux, plus nombreux, qui condamnent un texte qui met en péril les "valeurs" de la société algérienne, de l'autre, ceux qui sont prêts à accorder leur blanc-seing au régime.
Cette nouvelle loi fondamentale met l'accent sur une série de droits et libertés, censés répondre aux aspirations du mouvement de protestation populaire anti-pouvoir, ou "Hirak", tout en sauvegardant l'essentiel d'un régime présidentialiste et en élargissant les prérogatives de l'armée.
"Trop profane"
Principale force islamiste et premier parti d'opposition en Algérie, le Mouvement de la société pour la paix (MSP) appelle à voter "non".
Le MSP, qui se réclame des Frères musulmans, en égrène les raisons: la concentration du pouvoir entre les mains du président, la non séparation des pouvoirs, la non inscription de l'interdiction de l'usage de la langue française dans les institutions et documents officiels…
La nouvelle Constitution est "trop profane" car elle "consacre la laïcité de l'école et de la mosquée", déplore auprès de l'AFP Bouabdellah Benadjmia, le porte-parole du MSP.
Le chef du MSP Abderrazak Makri a fustigé l'article 40 qui protège les femmes des violences car il y voit "un risque de menace contre la sphère familiale privée".
Une organisation plus radicale, le Front de la justice et du développement (FJD), deuxième force de la mouvance islamiste, exhorte également à rejeter l'amendement constitutionnel.
Son président, Abdallah Djaballah, dénonce une "Constitution laïque" dont les principes sont "inacceptables dans une société musulmane" et portent "un grand préjudice" à la religion des Algériens.
Pour un autre parti islamiste, le mouvement Ennahda, l'initiative du président Tebboune "n'est pas consensuelle car elle exprime la volonté d'une minorité".
"De pure forme"
En revanche, deux autres petites formations islamistes, le mouvement El-Islah et le mouvement El-Binaa, se sont engagées en faveur du "oui".
Le premier parce que, selon lui, elle "porte des véritables revendications démocratiques exprimées par les Algériens", notamment à travers le "Hirak" né en février 2019 mais suspendu en raison de la pandémie de Covid-19.
Le second parce qu'il considère que le projet "constitue la meilleure option pour le peuple algérien".
Pourtant, cette apparente division n'est que de "pure forme", estime Louisa Dris-Aït Hamadouche, professeure de sciences politiques à l'université d'Alger.
En participant au processus référendaire, les islamistes, toutes tendances confondues, contribuent à légitimer ses résultats, argue-t-elle.
"Leur posture ne diffère pas des autres partis tant leur démarche a toujours été retorse", explique le politologue Mansour Kedidir, en rappelant que des islamistes ont déjà appuyé le pouvoir.
Le MSP a participé aux différents gouvernements des présidents Liamine Zeroual et Abdelaziz Bouteflika de 1996 à 2012.
La majorité des partis islamistes pratiquent l'entrisme, observe M. Kedidir qui prédit qu'ils se rallieront au régime après le référendum dans l’espoir de gagner des sièges lors des prochaines législatives, voire d’occuper des postes ministériels.
"Les rares irréductibles resteront inflexibles, mais la participation des islamistes au référendum en rangs dispersés signera leur déroute", dit-il.