La coopération militaire du régime iranien avec la Russie est l’un des piliers de la politique étrangère de Téhéran. Par ailleurs, ce partenariat s’intensifie chaque fois que le régime fait face à un isolement et à une pression accrus dans la région.
Les États-Unis ont déclaré la semaine dernière que le gouvernement iranien prévoyait de fournir à la Russie des centaines de véhicules aériens sans pilote, communément appelés «drones», notamment des modèles perfectionnés capables de tirer des missiles. Afin d’examiner ces derniers, une délégation russe aurait visité un aérodrome du centre de l’Iran à plusieurs reprises au cours du mois dernier, selon le conseiller à la sécurité nationale, Jake Sullivan.
«Nous disposons d’informations selon lesquelles le gouvernement iranien se préparerait à fournir à la Russie plusieurs centaines de drones, notamment des drones capables de tirer des missiles. Une délégation officielle russe aurait récemment acquis une série de drones iraniens capables de tirer des missiles. Nous publions ces images capturées en juin dernier. Elles montrent des drones iraniens que la délégation gouvernementale russe aurait examinés ce jour-là. Cela témoigne de l’intérêt continu de la Russie pour l’acquisition de drones iraniens capables d’attaquer», a déclaré M. Sullivan sur CNN.
L’Iran tentait sans doute de garder confidentiel le cours des événements, car cela ne fait que renforcer la colère à l’intérieur du pays contre le régime, l’accusant d’avoir exacerbé la guerre russo-ukrainienne. Cette situation augmente également la pression exercée sur le régime par les États-Unis et le Moyen-Orient. De même, Moscou n’a probablement pas voulu rendre public le fait que le Kremlin essaie de se procurer des drones auprès de l’Iran, car cette information aurait probablement des répercussions négatives sur son image de puissance militaire mondiale.
Ce n’est pas la première fois que le régime iranien tente de garder secrète sa coopération militaire avec la Russie, en particulier lorsqu’elle est liée à une guerre en cours dans un autre pays. À titre d’exemple, en 2016, l’Iran a secrètement permis à la Russie d’utiliser sa base aérienne de Hamadan pour attaquer certaines parties de la Syrie qui étaient sous le contrôle de groupes rebelles. Ainsi, les dirigeants iraniens ont violé un article crucial de leur propre Constitution, qui stipule ce qui suit: «L’établissement de tout type de base militaire étrangère en Iran, même à des fins pacifiques, est interdit.» Cette décision a surpris le peuple iranien, car aucune puissance étrangère n’avait utilisé le territoire iranien comme base pour des opérations militaires depuis la Seconde Guerre mondiale.
La Russie et l’Iran ont également utilisé leurs différentes capacités militaires pour faire valoir leurs intérêts dans la région. Par exemple, en Syrie, lorsque leurs intérêts étaient menacés par Daech et de puissants groupes rebelles syriens, la Russie a recouru à des frappes aériennes, tandis que le Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) et ses mandataires, comme le Hezbollah, ont assuré la progression sur le terrain.
Les partisans de la ligne dure au pouvoir en Iran et la Russie ont en commun la volonté de contrebalancer la politique étrangère américaine dans la région et de la faire échouer. Moscou semble également favoriser les partisans de la ligne dure de l’Iran – notamment le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et les hauts responsables du CGRI – par rapport aux autres camps politiques, étant donné qu’ils sont moins susceptibles de saper l’influence mondiale du Kremlin en se rapprochant de l’Occident.
De plus, étant soumis à une pression importante, les partisans de la ligne dure et la Russie semblent plus que jamais avoir besoin l’un de l'autre. Téhéran veut accroître ses échanges commerciaux et échapper aux sanctions américaines. Moscou aimerait réaffirmer son leadership mondial après avoir été lourdement sanctionné par l’Occident à la suite de son invasion de l’Ukraine en février dernier. Les liens plus étroits de la Russie avec Téhéran lui permettent d’élargir son influence régionale et ils servent de levier pour inciter l’Occident à lever les sanctions.
Toutefois, il existe des différences et une concurrence entre la Russie et l’Iran. L’une des principales préoccupations de la Russie est que l’Occident puisse réduire de façon permanente sa dépendance énergétique en puisant dans les secteurs pétrolier et gazier de l’Iran. L’Iran cherche à jouer un rôle plus important sur le marché du gaz et se montre favorable à un partenariat occidental.
La Russie et l’Iran possèdent respectivement la plus grande et la deuxième plus grande réserve confirmée de gaz au monde. L’amélioration des liens entre Téhéran et l’Occident pourrait mettre en danger les exportations russes vers l’Iran (principalement en matière de pétrole), car les anciens États soviétiques pourraient devenir une meilleure alternative d’achat de pétrole pour Téhéran. Cependant, jusqu’à présent, le régime iranien fait preuve d’une grande sagesse: en mettant l’Occident et la Russie en concurrence, Téhéran renforce son hégémonie régionale.
«En mettant l’Occident et la Russie en concurrence, Téhéran renforce son hégémonie régionale.» - Dr Majid Rafizadeh
En conclusion, les liens militaires et politiques entre la Russie et l’Iran devraient se développer en raison de la convergence de leurs intérêts dans la région et de leur antipathie commune envers Washington. Mais il existe des facteurs restrictifs, notamment leur concurrence dans le secteur de l’énergie. De plus, Moscou ne veut pas mettre en danger ses relations avec les autres puissances régionales, qui sont les rivales de l’Iran. La préservation de ces relations continuera à entraver les liens entre le régime iranien et la Russie.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard.
Twitter: @Dr_Rafizadeh
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com