MANBIJ: Ghazwan al-Atman pensait enfin être en paix à Manbij où il a refait sa vie avec ses enfants, mais il craint aujourd'hui que sa famille ne soit à nouveau déplacée de cette ville du nord de la Syrie sur laquelle plane la menace d'une offensive turque.
"Nous sommes épuisés. On vivait en sécurité et maintenant on ne sait pas où aller", s'inquiète Ghazwan dans son magasin de chaussures vide, dans le centre de Manbij, à seulement 30 kilomètres de la frontière syrienne avec la Turquie.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a menacé à plusieurs reprises de lancer une offensive militaire contre les militants kurdes dans le nord de la Syrie, afin de créer une "zone de sécurité", à la suite d'une opération menée en 2019.
La Turquie a déjà déclenché des offensives en Syrie, la plus récente étant le lancement d'un vaste assaut aérien et terrestre contre les milices kurdes en 2019, après que l'ancien président américain, Donald Trump, a retiré les troupes américaines de la région.
Ces dernières semaines, Manbij a été progressivement désertée et ses boutiques qui d'ordinaire grouillent de monde sont presque vides. Pour trouver du monde désormais, il faut se rendre devant les échoppes de produits alimentaires où de nombreux habitants font leurs provisions.
"Les gens achètent du riz, du sucre et du lait", explique Hussein Hamdouch, qui tient une échoppe.
Il y a quatre ans, Ghazwan a été déplacé du gouvernorat d'Idleb, dans le nord-ouest, pour échapper aux combats acharnés entre les forces du régime syrien et les factions, avant de refaire sa vie à Manbij.
"J'ai quitté ma maison quatre ou cinq fois. Je vais devoir déménager à nouveau car j'ai peur pour mes enfants", dit l'homme de 43 ans.
"La guerre m'a détruit... Tout ce que nous voulons, c'est la stabilité dans notre pays", ajoute-t-il.
«Autant mourir à la maison»
Entre 2016 et 2019, la Turquie a lancé trois opérations militaires en Syrie pour chasser de ses frontières les Unités de protection du peuple kurde, l'épine dorsale des Forces démocratiques syriennes (FDS) soutenues par les Etats-Unis, qu'elle considère comme "terroriste".
Toute opération turque dans une zone densément peuplée entraînera des déplacements massifs, mettent en garde des analystes.
Selon la presse turque, Ankara ne devrait pas lancer d'offensive avant fin août ou début septembre, même si la Russie et l'Iran n'ont pas donné leur feu vert lors d'un sommet qui a réuni les présidents turc, russe et iranien cette semaine à Téhéran.
Hussein refuse de rejoindre ceux qui ont fui vers Raqa: "le déplacement, c'est la misère", soupire-t-il: "Où irions-nous? Autant mourir à la maison".
Ce n'est pas la première fois qu'Ankara menace de lancer une opération militaire à Manbij, ville à majorité arabe et dont les combattants kurdes ont expulsé le groupe État islamique (EI) en 2016.
Si Ankara a confirmé ses intentions, des analystes estiment que la Turquie se contentera d'une attaque limitée ou même de frappes aériennes contre les combattants kurdes, faute d'avoir obtenu un "feu vert" de Téhéran et de Moscou pour une attaque de grande envergure.
"Les menaces turques ne sont pas nouvelles pour nous à Manbij, mais le niveau de ces menaces a fortement augmenté ces derniers temps", estime Cherfan Darwich, porte-parole du Conseil militaire de Manbij, affilié aux FDS.
«Nouvelles tactiques»
Les FDS aussi prennent des mesures préventives, notamment en creusant des tranchées aux abords de la ville, selon un correspondant de l'AFP.
"Nous avons formé nos troupes et nos défenses(...) sur la base de notre précédente guerre contre l'EI", explique M. Darwich.
Se préparant à une attaque, les FDS ont demandé à Damas de les aider à repousser un éventuel assaut turc, comme elles l'ont fait lors des campagnes précédentes.
Selon M. Darwich, les forces du régime ont apporté "des armes lourdes et de haute qualité".
Dans les zones frontalières, des combattants du Conseil militaire de Manbij ont été déployés sur les lignes arrières parmi les oliviers, par crainte d'éventuelles frappes aériennes. Des drapeaux syriens flottent sur la ligne de front.
Les soldats syriens ont afflué ces deux derniers jours, installant leur camp dans les villages voisins.
Hussein, lui, espère que ce déploiement de l'armée syrienne réussira à "empêcher une guerre". Mais Ali Abou Hassan, 50 ans, n'est pas optimiste: "J'aimerais que nous puissions avoir la paix, mais cette (guerre) est un jeu international, et nous sommes les victimes".