COLOMBO: Chaque jour des milliers de Sri-Lankais se pressent dans de longues files d'attente devant le bureau de l'immigration à Colombo afin d'obtenir un passeport qui doit leur permettre de fuir la crise économique historique qui mine leur pays.
Avec l'espoir de partir à l'étranger pour chercher du travail, environ 3 000 candidats à l'émigration chaque jour font la queue, plusieurs heures avant le lever du soleil, pour accomplir les démarches nécessaires à l'obtention d'un passeport.
En payant 15 000 roupies (41 EUR) supplémentaires, il est possible de repartir le précieux sésame en poche.
L'île, qui a fait défaut en avril sur sa dette étrangère de 51 milliards de dollars, n'a plus de devises pour financer ses importations essentielles, et compte désormais sur un plan de sauvetage du Fonds monétaire international (FMI).
Après avoir déjà passé 12 heures dans la file devant le bureau de l'immigration, Madushini, propriétaire d'une maison d'hôtes dans la province d'Udawalawa (ouest) qui a périclité à cause du Covid, prévoyait dimanche soir d'y passer toute la nuit.
Face à l'affluence des demandes, le bureau est désormais ouvert 24 heures sur 24, six jours sur sept.
Le pays de 22 millions d'habitants ravagé par une crise économique historique subit des pénuries de nourriture, de carburant et de médicaments depuis des mois.
L'inflation était de 54,6% en juin, selon les chiffres officiels, et la population ne mange plus à sa faim.
«Assurer la vie de mon fils»
Madushini compte partir aux Etats-Unis où vivent des cousins afin d'y chercher du travail.
"Les réservations de touristes étrangers se sont taries, je dois trouver un moyen de gagner de l'argent pour assurer la vie de mon fils", dit cette femme de 35 ans à l'AFP.
"Tout le pays est fermé, et nous n'avons plus d'argent", ajoute-t-elle.
Devant le bureau de l'immigration, les gens patientent, sans eau ni nourriture, sous une chaleur tropicale humide.
Selon des militants des droits humains, plus d'une vingtaine de personnes sont mortes ces trois derniers mois en faisant la queue pour du carburant entre autres produits de première nécessité.
Les autorités n'ont ni confirmé ni démenti ces décès, assurant qu'elles enquêtaient.
"Je veux quitter le Sri Lanka dès que possible. Je n'ai pas de travail ici et pas d'argent", explique Samantha, un chef cuisinier de 34 ans.
"Je vais attendre dans cette file jusqu'à ce que j'obtienne un passeport" , dit-il après 18 heures passées dans cette queue, racontant avoir perdu son emploi et reçu une offre d'emploi d'un hôtel à Chypre.
Beaucoup viennent de régions rurales à bord de bus bondés.
"J'ai des connaissances en Arabie saoudite qui m'ont promis de m'aider à trouver du travail comme femme de chambre là-bas", confie Shantakala, 46 ans, venu de Chila (ouest) à quatre heures de bus de Colombo.
"Je n'ai pas d'enfants. Mon mari s'occupera de nos terres agricoles, nous ne gagnons pas assez d'argent pour nous deux", poursuit-elle.
De nombreux étudiants sont prêts à abandonner leurs études pour quitter le pays afin de gagner de l'argent pour aider leur parents.
«Aider notre pays»
A l'instar d'Imesh, 18 ans, et son frère Keshan Tarusha, 21 ans, qui ont pour l'instant mis une croix sur l'université. "Nous devons partir d'ici, trouver du travail et soutenir notre famille dans cette situation économique difficile", dit à l'AFP Imesh.
Le ministère de l'immigration a déjà délivré plus de passeports cette année que pour l'ensemble de l'année 2021, selon ses chiffres.
Généralement, il en établit environ 50 000 par mois, mais en juin, 122 000 passeports ont été délivrés.
Alors les fonctionnaires se relaient pour que le bureau de l'émigration tourne sans interruption.
"C'est épuisant", confie à l'AFP, un officier sous couvert d'anonymat, "personne ne rentre chez soi".
"Il est important de délivrer autant de passeports que possible pour que les gens puissent voyager et envoyer des fonds à leur famille", explique-t-il, et de souligner: "cela aidera notre pays".