PARIS: La Première ministre Élisabeth Borne a appelé mercredi à bâtir des « compromis » pour répondre aux défis économiques ou climatiques lors de sa déclaration de politique générale à l'Assemblée, sans convaincre les oppositions qui ont exprimé leur « défiance » et fustigé un discours creux.
« Nous mesurons tous l’ampleur de la tâche: les Français à protéger, la République à défendre, notre pays à rassembler, la planète à préserver », a énuméré Mme Borne en ouverture d'un discours de 01H25 régulièrement interrompu sur les bancs de la gauche, qui avait peu auparavant déposé une motion de censure.
Tout en défendant le bilan du premier quinquennat Macron, la Première ministre a assuré avoir entendu « le message » des électeurs qui ont privé le camp présidentiel d'une majorité absolue à l'Assemblée. « Par le résultat des urnes, ils nous demandent d'agir et d'agir autrement », a dit Mme Borne, qui doit poursuivre son grand oral au Sénat à 21H00.
Énumérant les défis de la guerre en Ukraine ou de l'« urgence écologique » et appelant à reprendre le « chemin de l'équilibre » des finances publiques, Mme Borne a exhorté les députés à redonner « un sens et une vertu au mot compromis ».
« Nous ne sommes peut-être pas d’accord sur toutes les solutions », a-t-elle consenti. Mais « Les Français nous demandent de nous parler plus, de nous parler mieux et de construire ensemble », a-t-elle insisté.
Face au risque de blocage à l'Assemblée où le camp macroniste ne dispose que d'une majorité relative, la Première ministre a martelé que « le désordre et l'instabilité ne sont pas des options », déplorant que la vie politique n'ait été « trop longtemps (...) faite que de blocs qui s'affrontent ».
Rejetant tout statut de « femme providentielle », elle a assuré, parfois avec le sourire, ne pas être une « femme de grandes phrases et de petits mots », qui ont, selon elle, nourri « les postures, la défiance et la crise de notre démocratie ».
Appel à réformer les retraites
Sur le fond, la Première ministre a affirmé que le projet de loi pour le pouvoir d'achat, présenté jeudi en Conseil des ministres, comporterait des mesures « concrètes, rapides, efficaces » contre l'inflation et pour « les plus vulnérables ».
Sur le climat, Mme Borne a plaidé pour des « réponses radicales » tout en rejetant la voie de « la décroissance » et aussi annoncé son intention de renationaliser à 100% EDF, affirmant que « la transition énergétique passe par le nucléaire ».
Elle a également abordé le dossier explosif des retraites. »Notre pays a besoin d’une réforme de son système de retraite. Elle ne sera pas uniforme et devra prendre en compte les carrières longues et la pénibilité », a déclaré Mme Borne. « Oui, nous devrons travailler progressivement un peu plus longtemps », a-t-elle assuré, déclenchant une bronca à gauche.
Abordant le « combat de la sécurité », angle d'attaque récurrent de la droite et l'extrême droite, la Première ministre a promis la « fermeté » et apporté son soutien aux forces de l'ordre. « Honte à ceux qui attaquent systématiquement nos policiers », a-t-elle lancé, dans une allusion au leader Insoumis Jean-Luc Mélenchon, qui avait accusé la police de « tuer ».
Fuite
L'appel au compromis de Mme Borne n'a pas semblé convaincre les principaux chefs de file de l'opposition, qui ont pris la suite de la Première ministre à la tribune de l'Assemblée, contestant parfois sa légitimité.
Son maintien à Matignon après les législatives relève de la « provocation politique », a clamé Marine Le Pen, ovationnée par les 88 autres députés du RN. « Le président fait comme s’il ne s’était rien passé » après les élections législatives, pourtant « c’est le retour du politique qui lui saute au visage ». Mme Le Pen a toutefois ajouté que des « voies de passage » sont envisageables sur certains textes.
« Vous avez choisi la fuite (...) Votre stratégie désormais c'est 'sauve qui peut'. Et vous êtes prêts à tout. Jamais de compromis mais toutes les compromissions », a raillé la cheffe de file des députés LFI, Mathilde Panot à l'adresse d'Élisabeth Borne qui a renoncé à se soumettre au vote de confiance des députés. Mme Panot a aussi accusé la majorité d'avoir pactisé avec le RN lors du vote sur les postes-clés à l'Assemblée.
Son homologue à EELV, Cyrielle Chatelain a, elle, reproché au gouvernement ses promesses « trahies » sur l'écologie
Plus conciliant, le LR Olivier Marleix a assuré que son groupe ne se livrerait à aucune « compromission » avec l'exécutif et refuserait la « petite soupe » politicienne mais qu'il resterait ouvert à un soutien sur certains textes.
« Enthousiasmant »
Après ces prises de parole très critiques, Elisabeth Borne est, conformément aux usages, remontée à la tribune pour répliquer à un débat qu'elle a jugé « assez caricatural ».
« Il y a des groupes qui persistent à privilégier les attaques personnelles et les invectives sur le dialogue », a-t-elle lancé, raillant l'absence de propositions de Marine Le Pen, les « mensonges » de Julien Bayou (EELV) ou les mesures prônées par Mme Panot qui conduiraient, selon elle, à la « banqueroute assurée ».
Elle a plus généralement reproché à la Nupes de chercher « à censurer un gouvernement qui commence son travail » avec une motion de censure qui ne sera pas examinée avant vendredi et n'a quasiment aucune chance d'être adoptée.
Malgré cela, la Première ministre a également cru déceler « des points de convergence » avec certains députés de l'opposition. « Cela ne me fait pas peur », a-t-elle clamé, « Je trouve même cela enthousiasmant ».
Les principaux points du discours de politique générale
Voici les principaux points du discours de politique générale d'Elisabeth Borne:
« COMPROMIS »
Élisabeth Borne a commencé son discours en appelant les groupes de députés à trouver « des compromis » et à « bâtir ensemble » les solutions aux défis des prix de l'énergie ou du climat, ajoutant que « le désordre et l'instabilité ne sont pas des options ».
Elle mènera « pour chaque sujet une concertation dense »: « nous aborderons chaque texte dans un esprit de dialogue, de compromis et d’ouverture », a-t-elle insisté, en appelant à construire des »majorités de projet ».
« La confiance ne se décrète pas a priori, elle se forgera, texte après texte, projet après projet, car nous travaillerons en bonne foi et en bonne intelligence, comme nous le demandent les Français ».
TROIS PRINCIPES
Mme Borne a énoncé les trois principes de son action. D'abord « la responsabilité environnementale »: « Nous devons prendre en compte l’impact environnemental de toutes nos mesures ». Ensuite la « responsabilité budgétaire »: « En 2026, nous devrons commencer à baisser la dette. En 2027, nous devrons ramener le déficit public sous les 3% ». Il faudra pour cela engager les « réformes nécessaires ». Troisième principe: « Pas de hausses d'impôts ».
FEMMES
Elisabeth Borne a abordé la signification d'être femme cheffe du gouvernement, rendant hommage à la République ayant ouvert la voie à « tant de femmes » avant elle, comme « Simone Veil, dont la force et le courage (l)’inspirent à ce pupitre », et « Edith Cresson, première femme à accéder aux fonctions de Première ministre ».
PLEIN EMPLOI
« Le plein emploi est à notre portée », a assuré Elisabeth Borne. « Le travail reste pour moi un levier majeur d'émancipation », a affirmé la Première ministre, soulignant qu'à 7,3%, le taux de chômage est « le plus bas depuis 15 ans ».
« Nous ne pouvons plus continuer à avoir, d'un côté, l'Etat qui accompagne les demandeurs d'emploi, de l'autre, les régions qui s'occupent de leur formation et les départements en charge de l'insertion des bénéficiaires du RSA », a-t-elle jugé.
« C'est pour ça que nous voulons transformer Pôle emploi en France Travail », a-t-elle affirmé, laissant entendre que l'opérateur public devrait chapeauter ces compétences actuellement dispersées.
Sur le RSA, « verser une allocation ne suffit pas », a dit Mme Borne, sans mentionner explicitement les 15 à 20 heures d'activité ou d'accompagnement mentionnées par le président en échange de l'allocation.
RETRAITES
« Notre pays a besoin d'une réforme de son système de retraite », réforme qui »ne sera pas uniforme », qui « devra prendre en compte les carrières longues et la pénibilité » et »veiller au maintien dans l'emploi des seniors », a ajouté la Première ministre, précisant que cette réforme serait menée « dans la concertation avec les partenaires sociaux, en associant les parlementaires le plus en amont possible ».
La réforme, a priori un départ repoussé à 64 à 65 ans comme l'avait annoncé Emmanuel Macron, « n'est pas ficelée. Elle ne sera pas à prendre ou à laisser. Mais elle est indispensable », a assuré Elisabeth Borne, notamment « pour bâtir de nouveaux progrès sociaux », « pour la prospérité de notre pays et la pérennité de notre système par répartition ».
« URGENCE ECOLOGIQUE »
La cheffe du gouvernement a promis des « réponses radicales à l'urgence écologique ».
« Dès le mois de septembre, nous lancerons une vaste concertation en vue d’une loi d’orientation énergie-climat », a-t-elle annoncé. Elle a promis de définir des « objectifs de réduction d'émissions, des étapes et des moyens appropriés ». « Chaque transition ira de pair avec un accompagnement pour la formation et la reconversion », a-t-elle insisté.
La France sera la « première grande nation écologique à sortir des énergies fossiles » afin de garantir sa « souveraineté énergétique » face à des pays producteurs d'hydrocarbures comme la Russie, a-t-elle assuré. Pour cela, elle misera sur « des énergies renouvelables et du nucléaire ».
PASS CULTURE DES LA 6E
« Nous proposerons d’étendre le pass culture dès la sixième et d’amplifier l’éducation artistique et culturelle. » Le Pass était pour l'heure réservé, dans divers montants, aux jeunes à partir de 15 ans.
SECURITE ET JUSTICE
La cheffe du gouvernement veut lutter « contre l’insécurité du quotidien, contre la cyberdélinquance, contre les trafics ». Elle souhaite le « refus de l’impunité » et veut « doubler le temps de présence des forces de l’ordre sur le terrain d’ici 2030 ».
Côté justice, « nous voulons notamment recruter 8 500 magistrats et personnels de justice supplémentaires ». Mme Borne a annoncé que « pour que chaque peine prononcée soit exécutée et pour lutter contre la surpopulation carcérale », « une quarantaine d’établissements pénitentiaires, 15 000 places, seront livrés dans les prochaines années ».
UN MOT POUR TOUS, SAUF...
Elisabeth Borne a nommément cité les présidents de tous les groupes, sauf les présidentes du groupe La France insoumise, Mathilde Panot, et du Rassemblement national, Marine Le Pen.