DUBAÏ: L'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis (EAU) possèdent le potentiel requis pour devenir des pionniers dans le domaine des énergies renouvelables, alors que les effets dévastateurs du changement climatique se font de plus en plus sentir. C'est ce qu'a déclaré Adnan Amin, ancien directeur général de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables et conseiller principal de Sultan al-Jaber, l'envoyé spécial des EAU pour le changement climatique.
Dans une entrevue avec Katie Jensen, animatrice de Frankly Speaking, le talk-show d'Arab News qui reçoit des personnalités politiques et des chefs d'entreprise, M. Amin s'est penché sur les changements profonds intervenus dans l'orientation des EAU vers les énergies vertes et sur l'incidence de ces changements sur la tendance régionale vers les énergies renouvelables.
Les EAU proposent l'énergie solaire la plus économique et l'une des plus grandes centrales solaires au monde. Ils ambitionnent de tripler, voire de quadrupler leur puissance solaire d'ici à 2025 et n'abandonneront pas l'exportation de produits à base de combustibles fossiles. En revanche, ils sont en passe de s'imposer comme un chef de file dans le domaine des énergies renouvelables aux côtés de la Compagnie pétrolière nationale d'Abu Dhabi. Ils produiront par ailleurs «le pétrole le moins polluant au monde», affirme M. Amin.
Les critiques s'accordent à reconnaître que l'empreinte carbone par habitant reste importante aux EAU et que le pétrole et le gaz génèrent le tiers du produit intérieur brut (PIB) annuel du pays. Pour M. Amin, cette situation est en partie imputable aux températures extrêmes de la région. Il ajoute que le pays n'émet que moins de 0,5% des émissions mondiales de CO2.
«L'engagement du gouvernement des Émirats arabes unis en faveur de la décarbonisation est incontestable et l'intensité des émissions de carbone diminue chaque année», fait observer Katie Jensen.
M. Amin prévoit que les avancées accomplies par les EAU en matière d'infrastructures énergétiques propres encourageront d'autres pays du Golfe, notamment l'Arabie saoudite, à suivre la même voie. Il a qualifié de «ville à faible émission de carbone» Neom (projet de ville intelligente et de zone économique indépendante située dans le nord du Royaume, qui fonctionnera exclusivement avec des énergies renouvelables).
«L'Arabie saoudite consacre ces derniers temps de gros investissements à la production d'énergies renouvelables. L'investissement consacré à la recherche et au développement dans le domaine scientifique et technologique dans ce pays est très impressionnant. On constate que l'Arabie saoudite fait des essais sur toute une série de technologies. Ainsi, il ne fait pas de doute que toutes sortes d'innovations se produisent dans ce pays, qu'il s'agisse d'énergie verte, de géothermie, d'énergie solaire révolutionnaire ou encore de nouveaux matériaux de construction.»
En dépit de l'engagement mondial à se tourner vers les énergies propres, les politiques nationales et internationales complexes contraignent souvent les gouvernements à revenir sur leurs promesses de législation en matière de climat. Le président américain, Joe Biden, qui est attendu au Moyen-Orient le mois prochain, s'est engagé à diminuer de moitié les émissions de CO2 d'ici à 2030.
En raison de la hausse du prix des carburants, M. Biden a toutefois été contraint de réclamer une plus grande production de combustibles fossiles. «Les prix élevés de l'essence à la pompe compromettent les chances électorales des partis au pouvoir», indique M. Amin, faisant allusion aux élections de mi-mandat qui auront lieu en novembre prochain aux États-Unis.
Selon M. Amin, si les gouvernements peinent à adopter des actions sérieuses en matière de changement climatique, «beaucoup s'attendent à voir les États-Unis s'engager davantage dans ce domaine et agir sérieusement, tant au niveau national qu'international».
Pour pallier la montée en flèche des prix des carburants, de nombreux pays accélèrent leur production de combustibles fossiles ainsi que les infrastructures indispensables à cette production. Toutefois, ces dernières ont une échéance, prévient M. Amin.
«Les actifs liés à la production de combustibles fossiles risquent d'être bloqués sur le long terme dans des pays qui, franchement, possèdent la capacité technologique et financière d'avancer à grands pas vers les énergies propres», explique-t-il, avant d'ajouter qu'il incombe aux États de s'efforcer de trouver des solutions plus propres et plus avancées pour répondre à la crise énergétique croissante que traverse le monde.
«Nous nous attendons à ce que les gouvernements se tournent avec plus de vigueur vers cette opportunité pour éviter que les problèmes du passé ne se reproduisent. Ils sont tenus de trouver des solutions pour l'avenir», ajoute-t-il. Les investissements dans de nouvelles infrastructures, les énergies propres, l'agriculture résiliente au changement climatique et la sécurité de l'eau, selon lui, «sont les domaines qui présentent un risque réel à l'avenir».
Les émissions de carbone dans le monde risquent d’augmenter en raison de la volonté de l'Europe de réduire sa dépendance à l'égard du pétrole et du gaz russes dans le contexte de la guerre en Ukraine et de la crise du carburant. Toutefois, M. Amin se montre optimiste, car cela pourrait encourager les pays à se tourner vers des sources d'énergies renouvelables telles que les énergies solaire, éolienne, géothermique et hydroélectrique.
«Il faut consacrer davantage d'investissements aux énergies renouvelables et adopter les infrastructures propices à la production de ces énergies. Cela passe notamment par l'investissement dans l'innovation et les technologies», explique M. Amin. Pour lui, si les conditions nécessaires à la croissance du secteur des énergies renouvelables existent déjà, il convient toutefois de développer davantage la numérisation, les réseaux à ultrahaute tension, la stabilité des réseaux et les compteurs intelligents.
«Les dirigeants politiques ont intérêt à réaliser cette transition de toute urgence, dans la mesure où les impacts du changement climatique menacent de s'aggraver au fil des ans».
Les EAU ont récemment investi 50 milliards de dollars (1 dollar = 0,94 euro) dans des projets d'énergie propre. Cependant, les pays ne s'engagent pas tous dans la lutte contre le changement climatique. Les nations développées, responsables de la majeure partie des émissions de carbone qui ont ruiné le climat de la planète, refusent souvent d'assumer leurs responsabilités, selon M. Amin.
«Le climat est une problématique mondiale qui presse tous les pays du monde à unir leurs efforts pour y remédier. Mais il exige avant tout [et c'est la question abordée à Bonn lors des réunions intersectorielles] que tous les pays partagent les responsabilités», affirme-t-il, faisant allusion à la conférence de Bonn sur le changement climatique qui s'est tenue au début du mois en Allemagne dans le cadre de la Convention-cadre des nations unies sur les changements climatiques.
Les pays qui émettent la plus grande quantité de CO2, ajoute M. Amin, sont tenus de «prendre part à la solution et de soutenir les pays les plus vulnérables, qui pâtissent actuellement des conséquences néfastes du changement climatique».
Lors de la 26e Conférence des nations unies sur le changement climatique (COP26), qui s'est tenue à Glasgow en 2021, les dirigeants mondiaux ont insisté sur la nécessité de lutter sans délai contre le changement climatique. L'ambassadeur d'Arabie saoudite au Royaume-Uni, le prince Khaled ben Bandar, avait fait cette déclaration à Arab News: «L'Arabie saoudite se tient prête, désireuse et capable de se positionner au sein de la communauté internationale pour trouver une solution à ce problème et de faire tout son possible pour y remédier.»
Au cours de la COP26, le Royaume s'est engagé à éliminer les émissions nettes de carbone d'ici à 2060 dans le cadre de l'Initiative verte de l'Arabie saoudite. M. Amin explique que les conférences à venir (la prochaine se tiendra en Égypte cette année et la COP28 aux EAU en 2023) viseront à faire évoluer les promesses climatiques et de les concrétiser sur le terrain.
«Nous avons évoqué la crise énergétique mondiale et les pressions exercées par plusieurs pays. Nous nous sommes penchés sur les financements qui font défaut. La prochaine COP, qui se déroulera en Égypte, revêt une grande importance. C'est la première Conférence sur les changements climatiques qui aura lieu depuis celle de Glasgow. Il s'agira donc d’une rencontre consacrée à la réalisation des engagements. Le gouvernement égyptien et le reste du monde désirent que l'on passe à la mise en œuvre, loin des discussions.»
Les pays développés, responsables en grande partie du changement climatique, manifestent une «grande résistance» à l'idée de soutenir les pays vulnérables et en développement dans leur lutte contre les incidences du changement climatique, s'inquiète M. Amin. Il garde toutefois espoir: en attendant que la conférence COP28 se tienne aux EAU, les pays auront dressé le bilan des efforts consentis au niveau international en matière de lutte contre le changement climatique. «Un programme sera alors élaboré pour les cinq années à venir.»
Outre sa dimension internationale, le changement climatique constitue, selon M. Amin, un enjeu intersectoriel qui se répercutera sur le monde entier et entraînera des effets catastrophiques.
«Je crains que nous soyons confrontés à l’avenir à de multiples crises qui frapperont périodiquement différentes parties du monde et qui menaceront les chaînes alimentaires mondiales. Nous sommes déjà vulnérables en termes de sécurité alimentaire. L'agriculture paraît vulnérable au climat dans de nombreux pays pauvres qui sont menacés de souffrir de graves pénuries alimentaires à l'avenir.»
«La gestion de l'eau s'impose de toute urgence. Dans la mesure où les ressources en eau douce baissent, nous sommes de plus en plus confrontés à des conflits autour de ressources telles que la nourriture et l'eau.»
M. Amin précise que la sécheresse, l'élévation du niveau des mers, la fonte des glaces, la dégradation des ressources et d'autres conséquences du changement climatique menacent de provoquer des vagues massives de migration, les populations se voyant contraintes de se déplacer vers de nouvelles régions pour assurer leur survie.
«Si nous ne mettons pas un frein aux effets du changement climatique, l'ensemble de ces crises combinées engendrera une instabilité impossible à gérer dans le monde», conclut-il.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com