RANGOUN: La junte birmane resserre encore son étau sur Aung San Suu Kyi: l'ex-dirigeante, renversée en 2021 et assignée depuis à résidence, a été transférée dans une prison de la capitale Naypyidaw.
"Conformément aux lois pénales (...), elle est désormais placée à l'isolement en prison", a déclaré jeudi dans un communiqué le porte-parole de l'armée Zaw Min Tun.
Depuis son arrestation lors du coup d'Etat du 1er février 2021, Aung San Suu Kyi était tenue au secret à Naypyidaw, accompagnée de plusieurs employés de maison et de son chien.
La lauréate du prix Nobel de la paix 1991 n'était autorisée à sortir que pour assister aux audiences de son procès-fleuve au terme duquel elle risque des décennies de détention.
Elle est désormais totalement seule, sans son personnel ni son animal de compagnie.
Les responsables de l'ONU sont "très inquiets", a relevé Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres.
Son transfert en prison "va à l'encontre de tout ce que nous avons demandé, à savoir sa libération et celle de (...) tous les autres prisonniers politiques", a-t-il ajouté.
"Elle garde le moral", d'après une source proche du dossier. "Elle a l'habitude d'affronter calmement tout type de situation".
"Elle est en bonne santé pour autant que nous le sachions", a indiqué une autre source dans son entourage.
La sécurité autour de l'enceinte de la prison a été renforcée depuis son transfert.
Même si son image internationale a été écornée par son incapacité à défendre la minorité musulmane des Rohingyas, victimes de discriminations et de graves exactions, Aung San Suu Kyi reste très populaire dans son pays.
"Elle a tout sacrifié pour l'amour de la Birmanie et de son peuple mais (les militaires) sont ingrats et cruels", "Libérez Suu Kyi pour qu'elle puisse faire encore de bonnes choses pour notre pays", pouvait-on lire sur les réseaux sociaux.
Coupée du monde, Aung San Suu Kyi risque des décennies de détention
Où est-elle détenue ? Dans quelles conditions ? Comment se porte-t-elle ? Est-elle encore populaire ? L'AFP fait le point sur l'ex-dirigeante birmane Aung San Suu Kyi transférée cette semaine dans une prison où elle risque de finir ses jours.
Où est-elle détenue ?
Depuis son arrestation au matin du coup d'État du 1er février 2021, la prix Nobel de la paix, âgée de 77 ans, était assignée à résidence dans un lieu tenu secret à Naypyidaw, la capitale.
Mercredi, elle a été placée à l'isolement dans la prison de la ville dont la sécurité a été renforcée.
Son procès, qui a débuté il y a un an et se tient à huis clos, va se poursuivre dans l'enceinte du centre pénitentiaire.
Les généraux veulent la "couper encore davantage du monde extérieur", commente Manny Maung chez Human Rights Watch.
"Ils craignent qu'elle ait toujours la capacité de nuire à leurs intérêts. Son isolement est une tactique pour s'assurer qu'elle ne sait pas ce qui se passe en dehors des murs de la prison".
Quelles sont ses conditions de détention ?
La junte reste très discrète sur ce point.
En résidence surveillée, Aung San Suu Kyi vivait aux côtés d'une dizaine d'employés de maison. Ils n'ont pas été autorisés à la suivre, mais trois femmes ont été désignées pour s'occuper d'elle en prison, d'après une source proche du dossier.
Elle a probablement été "transférée dans un logement spécialement construit dans le centre pénitentiaire", estime Richard Horsey du centre d'analyse International Crisis Group (ICG).
Ses seuls contacts avec l'extérieur restent ses avocats. Ils ont interdiction de s'adresser à la presse et aux organisations internationales.
Des proches, dont un de ses deux fils, ont déposé fin mai une plainte auprès d'un groupe de travail de l'ONU, dénonçant son "kidnapping judiciaire".
Comment se porte-t-elle ?
Son état de santé semble bon, selon une source proche du dossier.
Mais elle a parfois été fatiguée par la fréquence de ses comparutions devant le tribunal (quatre fois par semaine) et a manqué plusieurs audiences.
Depuis qu'elle est en prison, "elle garde le moral (...) Elle a l'habitude d'affronter calmement tout type de situation", a indiqué une autre source dans son entourage.
Aung San Suu Kyi a passé 15 ans en résidence surveillée sous de précédentes dictatures militaires, menant une vie simple, dominée par la lecture, la méditation et la prière.
"Il est important d'établir une routine et de la suivre de manière très stricte afin d'éviter le gaspillage inconscient du temps", avait écrit dans les années 90 "la Dame" de Rangoun pour expliquer comment elle résistait à la privation de liberté.
Que lui reproche la junte ?
Depuis février 2021, elle a été inculpée à de multiples reprises pour violation d'une loi sur les secrets d'État, fraude électorale lors des élections de 2020 remportées massivement par son parti, sédition, corruption...
Elle a déjà été condamnée à 11 ans de détention et risque au total des décennies de prison.
Son procès est dénoncé par la communauté internationale comme "une farce" uniquement motivée par des considérations politiques.
Il est très peu probable qu'elle soit libérée avant des élections promises par la junte pour l'été 2023.
Vu son âge avancé, "il est même possible qu'elle finisse ses jours en prison", relève Sophie Boisseau du Rocher de l'Institut français des relations internationales (IFRI).
Est-elle encore populaire ?
Même si son image internationale a été profondément écornée par son incapacité à défendre les musulmans rohingyas - victimes de graves discriminations et exactions quand elle était au pouvoir, Aung San Suu Kyi reste une figure très populaire en Birmanie.
Mais "le pays n'a plus besoin d'elle pour mener la résistance. Une nouvelle génération de jeunes leaders s'en sort très bien toute seule", relève Manny Maung.
Preuve de leur indépendance, des milices locales ont pris les armes contre la junte dans plusieurs régions du pays, à contre-courant du principe de non-violence prôné par la prix Nobel.
Les généraux ne sont pas prêts de céder le pouvoir. Ils poursuivent leur répression féroce avec plus de 2.000 civils tués depuis le putsch et plus de 11.000 en détention, d'après une ONG locale.
«Intimider»
Son procès, qui s'est ouvert il y a un an, va se poursuivre dans le centre pénitentiaire où elle est incarcérée.
Elle est inculpée d'une multitude d'infractions (violation d'une loi sur les secrets d'Etat, fraude électorale, sédition, corruption...) et a déjà été condamnée à onze ans de détention.
Les audiences se tiennent à huis clos et ses avocats ont interdiction de parler à la presse ou à des organisations internationales.
De nombreux observateurs dénoncent un procès politique pour exclure définitivement du pouvoir la fille du héros de l'indépendance, grande gagnante des élections de 2015 et de 2020.
"La junte se dirige vers une phase beaucoup plus punitive à l'égard d'Aung San Suu Kyi", a commenté Phil Robertson, directeur adjoint pour l'Asie de l'ONG Human Rights Watch. "Ils tentent manifestement de l'intimider, elle et ses partisans".
Des proches de la prix Nobel ont déposé fin mai une plainte contre les généraux auprès d'un groupe de travail de l'ONU, évoquant son "kidnapping judiciaire".
Le coup d'Etat a plongé le pays dans le chaos. Des milices locales, secondées par des factions rebelles ethniques, ont pris les armes contre les militaires.
La répression de la junte est féroce. Plus de 2.000 civils ont été tués et plus de 11.000 sont détenus dans les geôles de l'armée, d'après une ONG locale. Beaucoup d'opposants sont jugés dans le plus grand secret.
Début juin, les généraux ont annoncé la prochaine exécution de quatre détenus dont un ancien membre du parti d'Aung San Suu Kyi et un célèbre militant pro-démocratie. Si elles ont réalisées, il s'agira des premières exécutions judiciaires dans le pays depuis 1990.
Tom Andrews, rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l'homme en Birmanie, a appelé jeudi la communauté internationale à accroître la pression sur la junte. "Plus nous attendons, plus il y a d'inaction, plus les gens vont mourir, plus les gens vont souffrir".
Sous les précédentes dictatures militaires, Aung San Suu Kyi a passé quinze ans en résidence surveillée dans sa propriété familiale de Rangoun.
Elle a totalement disparu des radars depuis son arrestation, n'apparaissant que sur de rares clichés pris par les médias d'Etat au tribunal.
L'ex-dirigeante a eu 77 ans dimanche. Elle a apporté lundi un gâteau d'anniversaire qu'elle a mangé avec ses avocats avant l'audience du tribunal.