BAGDAD : Dès l'aube, Oussama le chauffeur de taxi se dit "épuisé" à l'idée d'affronter les embouteillages cauchemardesques de Bagdad alimentés par des checkpoints, l'augmentation du nombre de véhicules et l'absence de transports publics. Et la fluidification de la circulation est encore loin.
"La première chose que vous voyez le matin, ce sont les embouteillages", maugrée Oussama Mohammed, 40 ans. Il dit faire trois courses par jour, contre cinq à six il y a encore cinq ans.
Le Caire, Téhéran ou Mexico aussi souffrent d'embouteillages, mais à Bagdad le phénomène est relativement nouveau et la ville n'est pas prête pour accueillir autant de véhicules.
Leur nombre est passé de 350 000 dans les années 2003-2007 à 2,5 millions aujourd'hui, selon Mohammed al-Rubaye, porte-parole de la mairie de la capitale irakienne.
Et selon l'ONG Futur de l'Irak pour les études économiques, chaque véhicule gâche chaque jour dans les bouchons l'équivalent en carburant de ce qu'il consommerait s'il parcourait 20km. De quoi alimenter une pollution atmosphérique déjà tenace.
Bagdad vit ces dernières années un mini-boom économique à la faveur du retour d'une relative stabilité après le conflit confessionnel de 2006-2008 et la guerre contre le groupe jihadiste Etat islamique, vaincu militairement en 2017.
Nombre d'Irakiens originaire du Sud qui manquent de perspectives économiques ont notamment rejoint la capitale.
Des quartiers entiers et des bâtiments futuristes sortent ainsi de terre, à l'image de la tour qui abritera prochainement la Banque centrale irakienne et dont la conception est revenue au cabinet de la défunte architecte irako-britannique Zaha Hadid.
«Plus de voitures que d'humains»
Sur Abou Nawas, l'artère qui longe le Tigre, l'agent de circulation Hussein aimerait bien travailler mais la mer de tôle est à l'arrêt. Impossible d'avancer. "Nos rues ont été construites en 1963 et n'ont pas été modernisées depuis", siffle-t-il. "C'est comme s'il y avait plus de voitures que d'humains".
La guerre contre l'Iran (1980-1988), les violences de 2006-2008 mais aussi la gabegie ont largement freiné la rénovation des routes souvent remplies de nids de poule, dans l'un des pays les plus corrompus au monde, selon l'ONG Transparency International.
Bagdad et ses 204 km2 est aussi truffée de checkpoints de l'armée et de la police, mis en place il y a une petite vingtaine d'années, au moment où les attentats à la voiture piégée ensanglantaient la ville.
Aujourd'hui, la sécurité est en grande partie revenue, mais des barrages sont toujours là. Les voitures doivent rouler au pas en les traversant, ralentissant la circulation.
Et l'une des armes pour lutter contre les embouteillages, les transports en commun, sont quasi-inexistants. Seule une poignée de bus publics sillonne la ville.
Un réseau de métro "permettrait de réduire de 40% la congestion", affirme Mohammed al-Rubaye. Mais le métro de Bagdad tient encore du mirage.
Navettes fluviales?
Un métro avait d'abord été planifié en 2011 avec le groupe français Alstom, mais il a fallu attendre 2020, lors de la visite du Premier ministre Moustafa al-Kazimi à Paris, pour que le projet commence à prendre forme. Alstom et le ministère irakien des Transports ont alors signé une lettre d'intention pour le métro aérien de Bagdad (MAB), une ligne de 20 km comptant 14 stations.
Jusqu'à présent, 45 millions de dollars ont été dépensés pour ce projet, selon l'ancien gouverneur de Bagdad, Faleh al-Jazaïri.
Mais le dossier n'avance pas, en raison notamment du blocage politique dans lequel est empêtré l'Irak. Le pays n'a toujours pas de nouveau gouvernement huit mois après les législatives d'octobre 2021.
Alors pourquoi ne pas se tourner vers... le Tigre, le fleuve qui coupe Bagdad en deux? Quelques bateaux promènent bien les touristes sur l'eau, mais le transport fluvial de biens et de personnes est inexistant.
Et à en croire Yasser al-Saffar, un habitant de Bagdad, se rendre au travail en empruntant des navettes fluviales n'est pas pour demain. Cela impliquerait nécessairement de les faire passer devant l'ultra-protégée Zone verte où se trouvent des ministères et des ambassades, dont celle des Etats-Unis.
"Tous ceux qui vivent dans la Zone verte considèreront un tel projet comme une menace", lance Yasser.