PARIS: "Quand je fais mes courses, je cagnotte quelques euros, c'est pas rien en ce moment": comme Aurélie Pignon, certains consommateurs désemparés par la montée des prix se sont mis au "cash-back", système de cagnottage peu connu en France, qui suscite encore la méfiance.
Derrière son écran, la quadragénaire vérifie dès qu'elle achète en ligne que son extension iGraal est activée, que ce soit sur les sites internet de la Fnac, Carrefour ou Booking. Car cette entreprise de "cash-back" ("retour d'argent"), championne du marché français, lui promet en effet d'être recréditée d'un certain pourcentage de ses dépenses lors d'achats sur les sites partenaires.
Une arnaque ? Pas du tout. Dès 20 euros dans sa cagnotte en ligne, Aurélie Pignon pourra les convertir en véritable argent sur son compte bancaire, ce qu'elle a déjà fait à plusieurs reprises. "Franchement, quand mon frère m'en a parlé, je n'y croyais pas. C'était trop beau pour être vrai !", raconte cette mère de famille.
"On a du mal à faire comprendre aux gens comment on fonctionne", indique à l'AFP François Despruniée, directeur marketing d'iGraal, pour qui "le marché en France est nettement moins éduqué" que dans les pays anglo-saxons, d'où provient le concept.
Les entreprises de "cash-back" comme iGraal, Poulpéo ou eBuyClub travaillent pour les sites marchands comme apporteurs d'affaires. Grâce à l'alléchant retour sur investissement promis, "on va contribuer à augmenter leur clientèle et leurs ventes", explique M. Despruniée, "En contrepartie, les magasins nous reversent une commission, qu'on partage avec nos utilisateurs".
Sommes modiques ?
Le système est loin d'être nouveau – iGraal s'est lancé en 2006, eBuyClub en 1999–, mais avec la montée drastique des prix alimentaires ou de l'énergie depuis le début de la guerre en Ukraine, il connaît un regain d'intérêt.
"Ces derniers mois, on a une croissance fulgurante", confirme Jean-Paul Yildiz d'eBuyClub, qui a doublé depuis le début de l'année son nombre d'utilisateurs inscrits – 4,4 millions – et ses flux d'achats.
"L'inflation malheureusement fortifie le positionnement de sites de cash-back comme nous", constate-t-il, car "les Français sont à la recherche de bons plans faciles pour faire baisser la facture". Et le cash-back, qui redonne en moyenne 5 à 7% de ses dépenses à l'utilisateur, permet selon lui d'"annuler ou réduire" l'inflation d'environ 5%.
"C'est un moyen parmi d'autre de limiter l'érosion du pouvoir d'achat", confirme Olivier Gayraud, de l'association de consommateurs CLCV. Mais "sauf achat exceptionnel, comme du gros électroménager, on parle de sommes assez modiques", nuance-t-il. En effet, un utilisateur économisera en moyenne chaque année 120 euros, indique iGraal, environ 200 euros vante eBuyClub.
"Il ne faudrait pas que ces sommes modiques estompent la volonté chez le consommateur de comparer" avec d'autres vendeurs sans "cash-back", parfois plus intéressants pour lui, met en garde M. Gayraud, "ni ne l'incite à consommer plus que ce dont il a besoin".
«Smart shoppers et mamans»
Un avis partagé par la chercheuse Régine Vanheems, pour qui le cash-back présente "une valeur symbolique pour le consommateur vraiment supérieure au coupon de réduction" – trop "contraignant au niveau des dates et enseignes pour un client qui veut de la liberté"– grâce à sa "monnaie sonnante et trébuchante".
Mais elle l'estime cependant insuffisant pour compenser l'inflation touchant les ménages les plus exposés, d'autant que ce sont rarement eux qui l'utilisent, par manque de temps.
"Les chasseurs de promo n'en ont souvent pas besoin pour leur budget, mais ils en utilisent pour se renvoyer une image d'acheteur malin", décrypte-t-elle.
Ces "smart shoppers", eBuyClub les connaît bien: une population de "jeunes urbains connectés", pas intéressés par les offres de grande distribution, mais qui activent leur "cash- back" pour des voyages, du matériel électronique ou prêt-à-porter. Même si les "mamans" en galère comme Aurélie Pignon constituent encore le gros de la clientèle.
Mais il reste encore "un potentiel assez énorme" de recrutement, le "cash-back" n'intervenant selon M. Yildiz que sur 1-1,5% du total des achats –physiques et en ligne – en France, contre 3% aux États-Unis.
Prochaine étape donc: élargir leur offre de cash-back en magasins, où les banques en ligne – sérieux concurrents des sites spécialisés– se positionnent de plus en plus.