PARIS: Énergies renouvelables, climat et efficience énergétique sont les maîtres mots de Louis Boisgibault, professeur à l’International School of Business de Sfax. Ces questions, il y travaille depuis le début de sa carrière, d’abord dans le privé, pour de grands groupes tels que le géant français Engie, puis dans l’enseignement supérieur. Louis Boisgibault a accepté de répondre à Arab News en français sur l’un de ses sujets de prédilection, la transition énergétique en Tunisie.
Ce pays, situé au nord-est de l’Afrique, dispose de maigres réserves d’hydrocarbures, contrairement à son voisin algérien. Les réserves de pétrole et de gaz de la Tunisie sont évaluées à cent mille barils équivalent pétrole par jour, «une petite production donc», explique Louis Boisgibault, «mais qui existe». Ces ressources limitées ne permettent pas au pays d’être autosuffisant, l’obligeant à recourir aux importations pour subvenir à ses besoins énergétiques.
Ambitions non réalisées
Dès 1985, retrace M. Boisgibault, la Tunisie crée sa propre agence nationale de maîtrise de l’énergie, «affichant une politique volontariste en matière d’efficacité énergétique», estime-t-il. Ce départ aussi précoce que prometteur n’a pourtant pas vraiment été suivi d’effet. Une tendance qui se poursuit jusqu’à notre époque récente: en 2008, dans le cadre du Plan solaire méditerranéen (visant à réduire la dépendance énergétique des pays signataires), la Tunisie s’était engagée à ce que 12 % de sa production électrique provienne des énergies renouvelables à l’horizon 2020. Aujourd’hui, ce chiffre peine pourtant à attendre 5 %, explique Louis Boisgibault, qui s’avoue «désolé» que la politique énergétique tunisienne «ne se soit pas développée plus rapidement».
La tendance demeure: en 2014, une nouvelle Constitution mentionne pour la première fois le climat et les enjeux environnementaux. Lors de la COP21, la Tunisie s’engage également à réduire ses émissions de dioxyde carbone (CO2). Beaucoup de bonne volonté donc, mais avec peu de résultats.
Cette inaction, M. Boisgibault l’explique notamment par l’instabilité politique qui règne dans le pays «depuis la chute de Ben Ali en 2011». La transition énergétique est forcément un processus à long terme qui requiert une certaine continuité de la part des décideurs. L’incertitude qui règne dans le pays freine aussi l’investissement fourni par secteur privé, déjà refroidi par les attentats terroristes de 2015. La toute récente dissolution du Parlement tunisien décidée par le président Kaïs Saïed confirme cet état des lieux. À cela s’ajoute «un contexte juridique et administratif complexe» qui complique encore la mise en place d’ambitieuses politiques de réduction des émissions de carbone.
Une transition inéluctable
La Tunisie tirerait pourtant profit de telles réformes. Une part significative de son territoire (plus de 33 %) est en effet couverte par le désert du Sahara, offrant des conditions idéales au développement de la production locale d’énergie solaire.
Le secteur énergétique est actuellement le plus grand émetteur de CO2 dans le pays. Les émissions engendrées participent à l’accélération du réchauffement climatique, qui risque d’après l’expert d’accentuer l’érosion des côtes tunisiennes et la progression de la désertification des sols. L’impact de cette dernière sur l’agriculture tunisienne serait «dramatique si ce réchauffement était trop important», avertit Louis Boisgibault, dans un pays qui importe déjà une quantité significative de céréales. L’augmentation des prix des matières premières liée à l’épidémie de coronavirus et à la guerre en Ukraine renforce encore l’idée de viser une certaine autosuffisance. «On prend conscience que la production locale est importante, et c’est vrai aussi pour la production électrique», résume-t-il.
Le gouvernement tunisien semble en avoir pleinement pris conscience. L’exécutif vise désormais le seuil de 30 % de sa production énergétique qui devra provenir du renouvelable d’ici à 2030. Énième ambition creuse? Louis Boisgibault reste optimiste: «Un Conseil des ministres fin 2021 a été entièrement consacré aux énergies renouvelables, au cours duquel a été décidée la construction de cinq centrales solaires», se réjouit-il. «Dans l’objectif 2030, le solaire représente deux tiers (l’éolien, un tiers), et il va forcément se développer.» Le retard pris par le pays en matière de transition énergétique pourrait également lui permettre de profiter des expériences de ses voisins comme le Maroc, bon élève en la matière. La Tunisie éviterait ainsi de reproduire «les mêmes erreurs» et elle pourrait acquérir «des équipements meilleur marché» à mesure que les technologies deviennent plus accessibles.
L’optimisme est donc de rigueur pour Louis Boisgibault, qui compte «à son petit niveau» former la jeunesse tunisienne, déjà sensibilisée aux enjeux climatiques, à redéfinir la production énergétique de demain.