TOFTA: "Maintenant, c'est pour de vrai": avec la guerre en Ukraine et la candidature d'adhésion à l'Otan, l'armée suédoise se retrouve en position d'alerte, soucieuse de dissuader tout coup de force russe.
Sur l'île du Gotland, stratégiquement située au milieu de la mer Baltique, des réservistes ont été activés ces dernières semaines et les exercices multipliés à l'approche de l'officialisation de la demande d'adhésion.
A moins de 350 kilomètres de l'enclave russe de Kaliningrad, cette destination de vacances prisée des Stockholmois a retrouvé son statut de position stratégique avec le retour des tensions avec Moscou.
Pour les jeunes conscrits, l'état d'esprit a changé.
"On se dit: +merde+, maintenant c'est pour de vrai, je ne suis pas là pour un camp d'été d'un an", raconte à l'AFP Axel Byström, qui fait son service dans le régiment "P18", gardien de l'île.
Utilisant des branches de bosquets voisins, le jeune chef d'équipe et ses camarades camouflent méticuleusement trois véhicules blindés.
"On travaille du mieux possible tout le temps, parce qu'on se dit: +ça pourrait être une réalité, on pourrait devoir s'en servir", juge ce natif de Visby, le chef-lieu médiéval du Gotland.
La Suède a traversé la Guerre froide avec la "peur du Russe", déjà bien ancrée dans un pays qui s'est longtemps disputé avec Moscou le contrôle de la Finlande et des rives de la Baltique.
Mais tirant profit des "dividendes de la paix" après la fin de l'Union soviétique, le pays scandinave a drastiquement coupé dans ses dépenses militaires.
L'annexion de la Crimée par Moscou en 2014 avait déjà été une première alarme, déclenchant des réinvestissements dans l'armée, le retour du service militaire en 2017 et la remilitarisation du Gotland.
Nouvelle frontière
Mais c'est l'invasion de l'Ukraine qui a poussé la Suède à candidater à l'Otan cette semaine --avec toutefois une menace de blocage turc.
Un bond pro-Otan dans l'opinion publique et un proche voisin finlandais bien décidé à rejoindre l'alliance ont convaincu le pays de rompre avec un non-alignement historique.
De récentes émissions à la télévision russe spéculant sur une prise de contrôle du Gotland pour ensuite lancer une invasion des pays baltes ont fait racler quelques gorges de ce côté-ci de la Baltique.
Durant la période d'adhésion, la Suède ne bénéficie pas de la protection de l'article 5 de l'Otan qui est réservé aux membres.
Avec la Finlande, le pays a toutefois obtenu de nombreuses assurances de sécurité de la plupart des pays occidentaux, des Etats-Unis à la France en passant par le Royaume-Uni ou dernièrement la Pologne.
"Si vous avez le Gotland, vous contrôlez pratiquement les mouvements aériens et navals en mer Baltique", souligne le commandant du "P18", Magnus Frykvall.
Fermé en 2005 et rouvert officiellement en 2018, le régiment du Gotland continue à croître, avec désormais quelque 800 soldats.
Les renforts ont été accélérés après que Vladimir Poutine "a clairement montré qu'il était prêt à utiliser la force militaire pour atteindre ses objectifs politiques", explique le colonel Frykvall.
"Le plan actuel est de pouvoir augmenter à 4 000 en temps de guerre", dit-il à l'AFP.
Au pic de la Guerre froide, quelque 25 000 soldats et réservistes étaient stationnés au Gotland.
Si une "petite brigade" suffirait "probablement" à faire face à toute menace, une adhésion suédoise à l'Otan dissuaderait quiconque d'attaquer l'île, selon le militaire.
"Trente-deux pays sont plus forts qu'un seul", souligne-t-il.
Pour les personnes vivant près du régiment, le changement d'activité a été très remarqué.
"On a des rafales, des explosions, des tirs d'artilleries, de chars aussi", décrit Robert Hall, un élu local des Verts --un des deux partis suédois sur huit au Parlement encore opposés à l'Otan.
L'"écovillage de Suderbyn" qu'il a créé se trouve juste en face de la zone militaire. Une grande banderole colorée montre un tank où des plantes ont poussé un peu partout proclamant: "Faites des jardins pas la guerre".
Pour M. Hall, originaire de Californie, l'île a bien changé depuis son arrivée ici.
"On s'est installés ici en 1995 et il y avait toujours beaucoup d'euphorie sur la chute du Rideau de fer et le fait que le Gotland serait un lieu de rencontre neutre au milieu de la Baltique".
Maintenant, "on est de retour à l'avant-1989, une mer divisée, même si la ligne de division n'est plus au même endroit", constate le Gotlandais d'adoption.