KIEV : Le conflit en Ukraine, où le devenir des derniers combattants retranchés dans l'usine Azovstal de Marioupol restait incertain, sera en filigrane de la rencontre jeudi du président américain avec les dirigeants suédois et finlandais qui frappent à la porte de l'Otan pour se protéger de Moscou.
L'Alliance atlantique est inscrite au menu des deux côtés de l'océan puisque son secrétaire général Jens Stoltenberg doit discuter à Copenhague à la mi-journée avec la Première ministre danoise Mette Frederiksen, dont le pays est membre de l'Otan depuis 1949.
En revanche, Suède et Finlande viennent tout juste d'entamer les démarches pour intégrer l'Otan en soumettant mercredi leur candidature formelle.
"Je salue avec chaleur et soutiens avec force les candidatures historiques de la Finlande et de la Suède", a déclaré le président américain Joe Biden.
Selon la porte-parole de l'exécutif Karine Jean-Pierre, il recevra jeudi matin à la Maison Blanche la Première ministre suédoise Magdalena Andersson et le président finlandais Sauli Niinistö.
Historiquement non-alignés, ces deux pays nordiques ont opéré un revirement spectaculaire depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février, qui a également fait basculer leur opinion publique, auparavant réticente à rejoindre l'Otan.
La Finlande partage plus de 1 300 km de frontières avec la Russie.
En attendant que s'achève ce processus d'adhésion --qui peut prendre plusieurs mois et nécessite l'unanimité des membres--, "les Etats-Unis travailleront avec la Finlande et la Suède pour rester vigilants face à toute menace contre notre sécurité commune et pour décourager et faire face à toute agression ou menace d'agression", a martelé mercredi la Maison Blanche.
Adhésion à l'UE: Kiev dénonce un «traitement de seconde zone» par «certaines capitales»
Le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba a dénoncé jeudi un "traitement de seconde zone" de la part de "certaines capitales" au sujet de la candidature ukrainienne pour adhérer à l'Union européenne.
"L'ambiguïté stratégique sur la perspective européenne de l'Ukraine pratiquée par certaines capitales de l'UE au cours des dernières années a échoué et doit cesser", a-t-il affirmé sur Twitter, évoquant un "traitement de seconde zone" qui "blesse les Ukrainiens".
Dans son intervention à l'occasion du jour de l'Europe, le 9 mai, M. Macron avait souligné que l'Ukraine, envahie par la Russie, était déjà "membre de coeur de notre union".
Mais le processus d'adhésion à l'UE, à laquelle aspire Kiev, "prendrait plusieurs années, en vérité plusieurs décennies", avait-il estimé, tout en proposant, en parallèle, la création d'une "organisation européenne nouvelle".
Un point de vue qui avait surpris Kiev, le président ukrainien Volodymyr Zelensky rappelant dans un échange avec des étudiants français mercredi dernier qu'"on ne peut nous garder à distance".
"C'est comme une table où toute la famille est réunie, et on t'a invité, mais on ne t'a pas mis de chaise. Je pense que c'est injuste", avait-il lancé.
"Il est très important pour nous de réserver cette place (dans l'UE) à l'Ukraine", a renchéri le lendemain M. Kouleba.
Tandis que les pays occidentaux s'emploient à resserrer leurs rangs pour essayer d'éteindre toutes éventuelles velléités du président russe Vladimir Poutine de s'en prendre à d'autres pays, des combats se poursuivent sur le sol ukrainien. En particulier à l'usine sidérurgique d'Azovstal, dans le port stratégique de Marioupol (sud-est).
Le ministère russe de la Défense a affirmé mercredi que "959 combattants (ukrainiens) dont 80 blessés se sont constitués prisonniers" depuis lundi. Des informations que l'Ukraine n'avait pas commentées.
«Surhommes» d'Azovstal
"Les commandants et les combattants de haut rang du (régiment) Azov ne sont pas encore sortis" du dernier bastion de la résistance ukrainienne dans cette cité portuaire, a assuré Denis Pouchiline, un chef séparatiste prorusse. D'après lui, un millier de membres de cette unité paramilitaire intégrée à l'armée ukrainienne s'y terraient toujours.
L'Ukraine a donné ce même chiffre, mais la semaine dernière.
Plusieurs centaines de civils s'étaient réfugiés dans ces sous-sols, ils ont été évacués fin avril.
L'armée russe a concentré ses efforts mercredi "sur le blocage de nos unités près d'Azovstal" avec des tirs d'artillerie et des frappes aériennes, a signalé l'état-major des forces ukrainiennes.
Dans les rues de la capitale ukrainienne, la population a rendu hommage aux "surhommes" de ce complexe sidérurgique. Ils "ont réussi des choses impossibles", a commenté Andriï, 37 ans.
La prise totale de Marioupol, sur la mer d'Azov, constituerait une avancée importante pour la Russie. Elle lui permettrait de relier par voie terrestre la péninsule de Crimée (sud), que Moscou a annexée en 2014, aux parties du Donbass (est) déjà aux mains de séparatistes prorusses.
"Les Russes volent à Marioupol. Les occupants essaient désormais de remettre en ordre le port de commerce pour exporter l'équivalent de millions de dollars de céréales, de produits métallurgiques" notamment, a fait valoir mercredi soir sur Telegram la mairie de Marioupol.
Selon un responsable américain s'exprimant mercredi sous couvert d'anonymat, "des responsables russes reconnaissent que bien qu'elles revendiquent être les 'libératrices' de la ville russophone de Marioupol, les troupes russes commettent des actes graves dans la ville, y compris le passage à tabac et l'électrocution de responsables de la ville, et elles pillent des logements".
"Des responsables russes s'inquiètent du fait que ces actes puissent inciter davantage les habitants de Marioupol à résister à l'occupation russe", a-t-il poursuivi.
Des enquêtes des autorités ukrainiennes et d'organismes étrangers sont en cours concernant les nombreuses accusations à l'encontre des troupes russes d'exactions et de crimes de guerre. La Cour pénale internationale a dépêché une équipe de 42 enquêteurs et experts, soit sa plus grande mission jamais envoyée sur le terrain.
Crimes de guerre
"Plus de 8 000 cas" présumés de crimes de guerre ont été identifiés en Ukraine, affirmait fin avril la procureure générale d'Ukraine Iryna Venediktova.
Un procès pour crime de guerre s'est ouvert mercredi à Kiev, le premier depuis l'invasion.
Le soldat de 21 ans Vadim Chichimarine est accusé d'avoir abattu fin février un civil de 62 ans qui circulait, non armé, à bicyclette. Il a plaidé coupable et risque la prison à perpétuité.
Le Kremlin a dit n'avoir "aucune information" sur cette affaire, clamant que les crimes de guerre imputés à l'armée russe étaient "des fakes ou des mises en scène".
Dans l'est de l'Ukraine, "les occupants ont bombardé 43 localités dans les régions de Donetsk et de Lougansk", provoquant la mort d'"au moins 15 civils", a affirmé dans la soirée l'armée ukrainienne.
Ukraine : Scholz réticent à une adhésion rapide à l'UE
Le chancelier allemand Olaf Scholz a affirmé jeudi qu'il n'était pas favorable à l'octroi à l'Ukraine d'un "raccourci" en vue d'une adhésion à l'Union européenne (UE) qui, selon lui, n'est "pas une affaire de quelques mois ou quelque années".
"Le fait qu'il n'y ait pas de raccourci sur la voie de l'adhésion à l'UE (de l'Ukraine) est un impératif d'équité envers les six pays des Balkans occidentaux" qui souhaitent de longue date rejoindre le bloc européen, a-t-il souligné lors d'un discours devant les députés du Bundestag.
Le président français "Emmanuel Macron a raison de souligner que le processus d'adhésion n'est pas une affaire de quelques mois ou de quelques années", a-t-il ajouté.
"C'est pourquoi nous voulons actuellement nous concentrer sur le soutien rapide et pragmatique à l'Ukraine" soumise à l'offensive russe depuis le 24 février, a-t-il répété avant le sommet UE-Balkans occidentaux lundi à Bruxelles.
L'Ukraine, la Géorgie et la Moldavie ont récemment demandé le statut de candidat tandis que six pays des Balkans occidentaux --Serbie, Kosovo, Albanie, Macédoine du Nord, Monténégro et Bosnie-- aspirent à intégrer l'UE mais le processus d'élargissement est bloqué depuis des années.
Ces six pays "entreprennent des réformes intensives depuis des années", a jugé le chef du gouvernement. "Le respect de nos engagements envers eux n'est pas seulement une question de crédibilité", a-t-il fait valoir.
Le dirigeant allemand a insisté sur le fait qu'un élargissement était "dans notre intérêt stratégique" face aux aspirations de la Russie qui exerce déjà une grande influence sur certains pays de la région.
"Il s'agit aussi de notre propre sécurité qui ne peut exister sans des Balkans occidentaux européens et stables", selon lui.
Les Russes tentent une percée près de Popasna et en direction de Severodonetsk, l'une des grandes villes aux mains des Ukrainiens dans cette zone, a averti un haut responsable local.
L'état-major ukrainien a précisé jeudi matin que les "occupants" avaient lancé une offensive et mené des assauts près de Severodonetsk "mais ils n'ont pas eu de succès".
L'armée russe cherche à "encercler" et à "vaincre" les unités ukrainiennes "afin de prendre le contrôle total des régions de Donetsk, Lougansk et Kherson", a noté le ministère ukrainien de la Défense.
L'est de l'Ukraine est l'objectif prioritaire des troupes russes depuis leur retrait des environs de la capitale ukrainienne fin mars.
Libération «pas à pas»
Le président Volodymyr Zelensky s'est voulu rassurant: "Les forces armées ukrainiennes (...) vont libérer notre terre pas à pas. Combien de temps cela prendra-t-il? Seule la situation réelle sur le champ de bataille donnera la réponse à cette question.
Nous tentons de le faire le plus vite possible, c'est sûr", a-t-il insisté dans son message vidéo quotidien dans la soirée.
A l'aube jeudi, un bombardement dans un village du sud-ouest de la Russie, situé à la frontière avec l'Ukraine, dans la région de Koursk, a fait un mort et des blessés, a indiqué le gouverneur de cette région.
"Une autre attaque ennemie à Tyotkino, qui a eu lieu à l'aube, s'est malheureusement achevé en tragédie. Pour le moment, nous avons connaissance de la mort d'au moins un civil", a indiqué Roman Starovoyt sur Telegram où il a publié des photos de bâtiments calcinés, avec les vitres soufflées et des brèches sur le sol.
Dans ce contexte, les pourparlers entre Moscou et Kiev "n'avancent pas", a jugé mercredi le Kremlin, qui a accusé les négociateurs ukrainiens d'"absence totale de volonté" de parvenir à un règlement politique.
Sur le plan diplomatique, les Etats-Unis ont rouvert leur ambassade à Kiev, fermée juste avant l'offensive russe.
Au même moment, le Kremlin annonçait l'expulsion de 34 diplomates français, 24 italiens et 27 espagnols, en représailles à celles de diplomates russes peu après le déclenchement de l'invasion. Un acte "condamné fermement" par Paris, qualifié d'"hostile" par Rome et "rejeté" par Madrid.
Mais ces mesures de rétorsion n'entament pas la détermination des Occidentaux à aider l'Ukraine en lui livrant des armements et en lui fournissant des fonds.
M. Zelensky s'est dit "reconnaissant" de la "nouvelle assistance macrofinancière exceptionnelle" proposée mercredi par l'Union européenne, d'un montant allant "jusqu'à neuf milliards d'euros en 2022".
Bruxelles a présenté un plan de 210 milliards d'euros pour affranchir l'UE "le plus vite possible" des importations de gaz russe.
Les ministres des Finances du G7 (Etats-Unis, Japon, Canada, France, Italie, Royaume-Uni, Allemagne), réunis jeudi et vendredi en Allemagne, veulent en particulier boucler un nouveau tour de table pour couvrir le budget ukrainien du trimestre en cours mais aussi lutter contre la hausse des prix alimentaires.
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a appelé Moscou à ne pas entraver les exportations de céréales ukrainiennes, et les Occidentaux à ouvrir l'accès des engrais russes aux marchés mondiaux.