EVRY: Défauts d'organisation ou de maintenance et baisses d'effectifs: le tribunal d'Evry a débattu jeudi d'un rapport qui accable la SNCF et incrimine la "banalisation du risque" qui aurait conduit à la catastrophe ferroviaire de Brétigny-sur-Orge en 2013.
Selon cette expertise, réalisée par le cabinet Aptéis à la demande du comité d'hygiène et de sécurité (CHSCT) de l'établissement sud-ouest francilien de la SNCF, le déraillement "est avant tout le résultat d'un dysfonctionnement organisationnel".
Le cabinet, cité devant le tribunal par l'avocat du syndicat Sud-Rail, partie civile, rappelle que le "retard de maintenance" général du réseau ferré vieillissant est la conséquence des contraintes budgétaires.
L'expertise de 300 pages est vivement critiquée par la défense de la SNCF: "le rapport Aptéis n'apporte aucun élément technique et scientifique nouveau de nature à expliquer l'accident. Ce n'est d'ailleurs ni l'objet, ni son champ de compétence", avait répondu Me Emmanuel Marsigny, dans des observations transmises pendant l'instruction.
La SNCF (héritière pénalement de SNCF Infra, chargée de la maintenance), le gestionnaire de voies SNCF Réseau (ex-Réseau Ferré de France) et un ancien cadre cheminot sont jugés depuis la semaine dernière pour "homicides involontaires" et "blessures involontaires".
Les deux sociétés encourent jusqu'à 225.000 euros d'amende.
Le 12 juillet 2013, le retournement d'une éclisse en acier - une sorte de grosse agrafe joignant deux rails - a fait dérailler un train en gare de Brétigny-sur-Orge (Essonne).
Entendu jeudi par le tribunal, un des rédacteur du rapport Aptéis, Nicolas Spire, sociologue du travail, a longuement décrit son travail, fruit de l'audition d'une centaine d'agents.
"Comment l'accident a pu survenir ? L'esprit de notre travail n'est pas de chercher les responsables, nous ne sommes pas sur le terrain judiciaire", dit-il à la barre.
M. Spire s'est notamment appuyé sur le rapport Rivier paru en 2005 et en 2012 sur l'état du réseau en France, réalisé par l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, dont les travaux font autorité en matière ferroviaire.
Tout était maîtrisé
Selon le sociologue, la restriction des moyens cumulée à un "manque de vision à long terme" et à la "poursuite des recherches économiques" va "engendrer une dégradation durable" de ce réseau.
Souhaitant élever la productivité, la SNCF a "augmenté le travail de nuit", ainsi "le volume d'activité ne décroit pas mais les effectifs baissent", affirme M. Spire.
"Les voies sont insuffisamment renouvelées, donc plus dures à maintenir", enchaîne-t-il en incriminant une "banalisation du risque" et du "travail dans l'urgence", une inquiétante "réduction de l'effectif compétent" et un "dysfonctionnement organisationnel", notamment dans l'entretien des voies.
Pour l'expert, la baisse du nombre d'agents de surveillance des voies en Ile-de-France et dans la zone de Brétigny "semble y avoir été plus importante qu'ailleurs" en France.
Cette baisse a eu des conséquences "sur les conditions d'organisation de la maintenance", la "pénibilité" et "la sécurité" des agents lors des opérations de maintenance, souligne l'expert. "On préfère sous-traiter qu'engager des agents, dans un contexte d'un besoin de maintenance qui augmente".
Or, "soit on maintient le réseau pour tenir la qualité, soit il se dégrade, et le vieillissement devient ainsi dégradations, assurément", affirme Nicolas Spire.
Le rapport relève également que l'usure de l'éclisse avait été repérée depuis plusieurs années et son renouvellement demandé dès 2007, et rappelé en 2011. Mais son remplacement n'avait été programmé que pour 2016.
Selon M. Spire, d'autres facteurs ont provoqué l'accident, comme la maintenance difficile et technique des appareils de voie, la vitesse de circulation des trains et les risques sous estimés de la vitesse.
"Aucun renoncement n'a touché la substance des voies et n'a affecté la zone de Brétigny, en ce qui concerne les voies principales", lui répond à la barre Alain Autruffe, représentant légal de la SNCF. Il y avait une "attention plus soutenue" de la maintenance sur ce secteur et "tout était maîtrisé et conforme aux référentiels", assure-t-il.
Les juges d'instruction, qui ont renvoyé la SNCF devant le tribunal, reprochent à la SNCF "des défaillances "dans l'organisation, le contrôle et la réalisation des opérations de maintenance".