PARIS: Saber Lahmar, Algérien de 52 ans innocenté de Guantanamo et jugé pour de la propagande djihadiste en France, a assuré jeudi qu'il ne "pensait pas" avoir incité à des départs en Syrie ou en Irak en 2015.
La troisième demi-journée d'audience, sur quatre prévues, touche à sa fin lorsque la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris finit par aborder le cœur du dossier d'association de malfaiteurs terroriste.
La présidente plonge dans les retranscriptions d'enregistrements de prêches de M. Lahmar. Auréolé de son statut d'ancien de Guantanamo et d'études théologiques poussées, notamment en Arabie saoudite, il avait fini par officier régulièrement au début des années 2010 comme imam, à Bordeaux puis à Saint-André-de-Cubzac (Gironde).
Si tous les prêches "n'appellent pas de commentaires négatifs", la présidente égrène ceux qui ont attiré l'attention: dans l'un, il "s'en prend aux Juifs et à leur tactique rusée", dans un autre "il cite le Prophète en disant que l'apostat doit être tué", dans un troisième il dit que le Prophète "prescrit" un martyr.
D'après l'enquête, ces prêches datent de "mars à juillet 2015", juste avant le départ de plusieurs fidèles en Syrie. Après les attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher, avant ceux du 13-Novembre à Paris et Saint-Denis.
Sept départs sont mis à son passif, par la justice et par des proches des partants: Othman Yekhlef est considéré comme "mort sur zone" depuis la fin 2015, tandis que Salim Machou, parti avec sa femme et ses quatre enfants, a été condamné à mort en 2019 par la justice irakienne pour son appartenance au groupe Etat islamique.
"Ne pensez-vous pas que vous avez pu inciter des personnes à partir faire le jihad armé offensif" en Irak ou en Syrie ?, interroge la magistrate.
Tee-shirt vert, main sur la vitre du box des prévenus, oreille attentive à son interprète en langue arabe, Saber Lahmar remue la tête négativement: "je ne le pense pas".
Criminel
Il conteste d'abord la "sélection" d'"extraits" tirés de ses prêches, puis minimise leur portée.
D'après cet homme né à Constantine (Algérie), seuls "les blédards", nés et ayant grandi au Maghreb, maîtrisant l'arabe classique, les comprennent. "Le reste", dans lequel il classe notamment Othman Yekhlef qu'il a assuré ne pas connaître, "ne pouvait comprendre qu'une infime partie de mes propos".
La présidente s'étonne aussi d'une conversation téléphonique du prévenu avec l'autre partant, Salim Machou, après son départ dans les zones djihadistes: "vous passez votre temps à faire des cours de théologie, des prêches où vous dites aux gens comment se comporter (...) et vous ne pouvez pas dire à ces deux hommes que c'est criminel d'être parti avec ces quatre enfants mineurs en Irak ?"
Saber Lahmar, qui vient de dire sa fatigue, s'anime: "je suis le père de personne, ni de Salim, ni de l'autre (Othman Yekhlef). Je ne suis pas là pour empêcher les gens de partir, c'est le rôle de la police".
Il évoque sa détention passée à Guantanamo de 2002 jusqu'à ce que la justice américaine le reconnaisse innocent, en 2008. D'après lui, ce passé aurait pu amener la justice à lui "coller" ces départs "sur le dos".
"C'est pour ça que (Salim Machou) n'a pas évoqué le sujet avec moi et qu'il ne m'a pas tenu informé, je l'aurais empêché !"
"C'est curieux, vous ne lui dites pas ça au téléphone", grince la présidente. "Qu'est-ce qu'il restait à dire ? Il est passé à l'acte, parti. Il n'y a plus rien à dire", répond Saber Lahmar.
Son co-prévenu, Mohamed H., considéré par la justice comme le "second" de M. Lahmar mais qui s'en est dissocié à plusieurs reprises, tranche peu après: "jamais de la vie j'aurais influencé ou incité une personne à partir."
Ce restaurateur prend l'exemple de son ex-compagne, radicalisée comme lui à l'époque et qui exprimait le désir de partir en Irak ou en Syrie: "je ne l'ai pas incitée à partir, j'ai fait le contraire."
Réquisitions et plaidoiries en défense vendredi.