KIEV: Plus de six millions d'Ukrainiens ont fui leur pays depuis le déclenchement de l'offensive de la Russie, dont les livraisons de gaz à l'Europe étaient perturbées jeudi pour le deuxième jour consécutif.
La Pologne accueille à elle seule plus de la moitié -3,27 millions- des Ukrainiens partis à l'étranger depuis le 24 février, dont 90% sont des femmes et des enfants, a souligné le Haut commissariat aux réfugiés (HCR) à Genève, relevant toutefois que le flot de ces départs s'est au fil du temps considérablement tari.
S'y ajoutent les quelque huit millions de personnes déplacées à l'intérieur de l'Ukraine qui, avant les hostilités, avait 37 millions d'habitants dans les régions sous le contrôle de son gouvernement, la Crimée ayant été annexée en 2014 par la Russie et les zones de l'est étant contrôlées par des séparatistes prorusses.
Des civils abattus dans le dos
Jeudi également, les autorités ukrainiennes et des témoins interrogés par l'AFP ont accusé les militaires russes d'avoir tiré à partir d'un char sur une maison dans un village près de Kharkiv, dans le nord-est du territoire ukrainien, tuant plusieurs civils.
La chaîne de télévision américaine CNN a pour sa part diffusé le même jour ce qu'elle présente comme des images de vidéosurveillance montrant deux civils ukrainiens abattus dans le dos par des soldats russes, une affaire sur laquelle le parquet ukrainien enquête.
La scène se déroule près d'un concessionnaire automobile le 17 mars, dans la banlieue de Kiev. Un groupe de cinq militaires fouille les deux hommes avant de les laisser partir. Lorsqu'ils s'en vont, deux soldats leur tirent dessus.
Selon la procureure générale ukrainienne, Iryna Venediktova, un premier militaire russe doit en outre être jugé prochainement pour avoir abattu un Ukrainien de 62 ans qui circulait, non armé, sur son vélo.
Le soldat, Vadim Chichimarine, 21 ans, se déplaçait avec quatre de ses camarades après l'attaque de leur convoi le 28 février, a-t-elle expliqué. Ils auraient volé une voiture dans la région de Soumy (est) et Vadim Chichimarine aurait abattu le civil "afin qu'il ne les dénonce pas".
Dans le même temps, à Genève, le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU a donné son feu vert à l'ouverture d'une enquête par une commission spéciale formée début mars sur l'Ukraine à propos des atrocités imputées aux Russes.
Ces investigations devraient s'ajouter à celles de la Cour pénale internationale et des autorités ukrainiennes déjà en cours.
Parallèlement, des représentants de l'ONU à New York ont réclamé l'arrêt des bombardements d'écoles en Ukraine, tout en dénonçant leur utilisation à des fins militaires.
Avertissement de Moscou à la Finlande
Sur le front diplomatique, le ministère russe des Affaires étrangères a menacé de "mesures réciproques", en particulier "militaro-techniques", la Finlande, dont les plus hauts dirigeants se sont dit favorables à une adhésion "sans délai" à l'Otan, dans le contexte de la guerre en Ukraine.
Un prélude à une candidature officielle dimanche de ce pays nordique partageant une frontière de 1.300 km avec la Russie qui l'a longtemps contraint à une sorte de neutralité forcée.
Côté occidental, le secrétaire général de l'Alliance atlantique Jens Stoltenberg, puis le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron ont assuré la Finlande de leur soutien, tout comme des élus clés du Sénat américain.
Si elle postule, "elle sera chaleureusement accueillie au sein de l'Otan et le processus d'adhésion se déroulera sans heurts et rapidement", a affirmé M. Stoltenberg.
Livraisons de gaz en forte baisse
Les tensions montaient aussi autour des questions énergétiques.
L'Allemagne, l'un des principaux acheteurs européens de gaz russe, a vu son approvisionnement via l'Ukraine fondre de près de 40% en deux jours.
Le géant russe Gazprom avait confirmé mercredi que les volumes livrés à l'Europe en passant par le territoire ukrainien baisseraient de près de 30% ce jeudi, après 18% la veille.
La Russie et l'Ukraine s'en rejettent la responsabilité.
Kiev dit depuis mardi ne plus pouvoir garantir les livraisons via les installations de Sokhranivka, dans la région de Lougansk (est), en raison de la présence des forces armées russes, et a demandé à Gazprom d'accroître les volumes fournis via un autre point de transit, celui de Soudja.
Mais Moscou assure que le transit peut parfaitement se faire à travers Sokhranivka et que réorienter le flot vers Soudja est impossible.
Si les baisses ont été compensées côté allemand par du gaz importé de Norvège et des Pays-Bas, Gazprom a semblé prêt à réduire davantage encore ses livraisons européennes jeudi en annonçant qu'il n'utiliserait plus un gazoduc-clé passant par la Pologne, le Yamal-EuroPol.
Le ministre allemand de l'Energie Robert Habeck a accusé la Russie d'utiliser l'énergie "comme une arme".
Washington accuse Moscou d'avoir transféré «de force» en Russie «plusieurs milliers» d'Ukrainiens
Les Etats-Unis ont accusé jeudi l'armée russe d'avoir transféré "de force" en Russie "plusieurs milliers" d'Ukrainiens depuis le début de la guerre fin février, souvent en passant par des "camps de filtration" où ils sont soumis à un traitement "brutal".
Kiev a avancé le nombre de 1,2 million de personnes déportées par Moscou en Russie. Les autorités ukrainiennes dénoncent aussi l'existence de "camp de filtration" russes, souvent dans les territoires contrôlés par la Russie dans l'est de l'Ukraine, par où passent ces "déportés".
"Les Etats-Unis estiment que les forces russes ont transféré au moins plusieurs milliers d'Ukrainiens dans ces +camps de filtration+, et évacué au moins plusieurs dizaines de milliers d'autres en Russie ou dans des territoires contrôlés par la Russie, parfois sans dire aux évacués quelle était leur destination finale", a déclaré jeudi l'ambassadeur américain auprès de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Michael Carpenter.
Le diplomate a évoqué des témoignages sur les "interrogatoires brutaux", assortis de "torture", subis dans ces "camps de filtration", visant à identifier toute personne avec "la moindre allégeance à l'Ukraine".
Réunion du G7
Le président Vladimir Poutine a quant à lui jugé jeudi que les sanctions économiques imposées par les Occidentaux à la Russie affectaient plus l'Europe que son pays.
La question des sanctions et des perturbations dans les fournitures de gaz devrait être au menu de la visite du ministre ukrainien des Affaires étrangères Dmytro Kouleba en Allemagne, où il devait participer vendredi et samedi à une réunion avec ses homologues du G7 (Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni et Etats-Unis).
"L'Europe doit couper l'oxygène énergétique" à la Russie et "se débarrasser de sa dépendance du gaz russe", a lancé jeudi M. Kouleba.
Les 27 Etats de l'UE s'efforcent de réduire leur dépendance aux hydrocarbures russes depuis le début du conflit, mais n'ont pas réussi pour l'instant à s'entendre concernant un arrêt progressif des achats de pétrole russe.
Les ministres des Affaires étrangères des pays de l'Otan se réuniront aussi vendredi et samedi pour discuter de leur soutien militaire à l'Ukraine et peut-être également à la Moldavie.
La Russie est en effet soupçonnée de vouloir faire avancer ses troupes jusqu'à la Transdniestrie, une région séparatiste prorusse sur le territoire moldave.
Lente progression
Jeudi, l'armée russe continuait son offensive dans le Donbass, où elle ne progresse que lentement, et essaie notamment de prendre "le contrôle total" des localités de Roubijné et de Severodonetsk, a noté la présidence ukrainienne.
Les habitants de la région ayant refusé d'évacuer sont souvent favorables à Moscou. "Ils donnent aux Russes nos coordonnées, c'est certain", a raconté à l'AFP un soldat dont le nom de guerre est "Zastava" rencontré sur la ligne de front à Novomykolaïvka
En gare de Kiev, les retours d'Ukrainiens partis à l'étranger se multiplient depuis le 9 mai, date à laquelle l'Ukraine redoutait une action militaire d'éclat de la Russie pour l'anniversaire de la victoire sur l'Allemagne nazie.
Lorsqu'un train en provenance de Pologne entre en gare, des cris de joie retentissent.
"On s'habitue à la guerre, à la menace. Les craintes qu'on avait il y deux mois sont différentes de celles d'aujourd'hui", explique sur un quai Dana Pervalska, 27 ans.