Le monde doit se montrer disponible pour traiter de multiples crises

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le ministre polonais des Affaires étrangères, Zbigniew Rau, et la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. (Photo, Reuters)
Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le ministre polonais des Affaires étrangères, Zbigniew Rau, et la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. (Photo, Reuters)
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Publié le Lundi 09 mai 2022

Le monde doit se montrer disponible pour traiter de multiples crises

Le monde doit se montrer disponible pour traiter de multiples crises
  • L’attention est focalisée sur l’Ukraine, mais si vous êtes Afghan, Syrien, Yéménite, Libyen, Palestinien, Soudanais ou citoyen de pays en crise ou déchiré par la guerre, vous vous demandez ce que vous devez faire pour attirer l’attention du monde
  • Les enjeux pour les pays européens dans les multiples points chauds du Moyen-Orient sont tellement importants qu'il est étonnant de constater leur attitude apathique

L'un des dysfonctionnements les plus néfastes du système international est l'incapacité des dirigeants mondiaux à se concentrer sur plus d'un problème à la fois. Lorsqu'il s'agit d'une crise internationale comme celle de l'Ukraine, la plupart des dirigeants politiques d'Europe et d'Amérique du Nord semblent incapables de faire deux choses à la fois. Les gens d’expérience diront que cela a souvent été le cas, mais on peut affirmer que cette tendance est plus actuelle que jamais.

L'Ukraine est la crise du moment, avec toutes ses répercussions directes. Il est plus que probable qu'elle occupe la une pendant un certain temps. Elle monopolise les débats politiques ainsi que la couverture médiatique, du moins pour l'instant. Si les dirigeants mondiaux n'y prêtaient pas une attention particulière, ils en seraient largement critiqués de manière justifiée.

Cependant, si vous êtes Afghan, Syrien, Yéménite, Libyen, Palestinien, Soudanais ou citoyen de tout autre pays en crise ou déchiré par la guerre, vous vous demandez peut-être ce que vous devez faire pour attirer l’attention du monde. Selon le Programme alimentaire mondial (PAM), 44 millions de personnes dans 38 pays sont au bord de la famine. Il y a dix ans, la Syrie était le sujet d’actualité pour les dirigeants occidentaux, mais l'intérêt s’est estompé et a disparu. On pourrait en dire autant de la Libye. L'attention est à prendre en compte, d'autant que les fonds des donateurs sont attirés par des crises très médiatisées, et non par celles que les électeurs ne voient pas sur leurs écrans de télévision et leurs réseaux sociaux.

En ce qui concerne le Moyen-Orient, ce sont les puissances européennes qui devraient lui accorder leur attention. Les États-Unis peuvent arguer que la région n'est pas de leur ressort, ce qui n’est guère le cas de l'Europe. Une analyse des posts sur les réseaux sociaux des ministres des Affaires étrangères des grandes puissances mondiales est hautement significative. Prenez Liz Truss, la ministre britannique des Affaires étrangères. En avril, son compte Twitter était un torrent sans fin de tweets sur l'Ukraine et la Russie. Le Yémen figurait dans une déclaration du ministère britannique des Affaires étrangères du 1er avril, mais Truss n’a mentionné nulle part l'accord de cessez-le-feu.

Elle a également condamné les meurtres de civils israéliens. Cela m’a peut-être échappé, mais la Syrie n'a pas été mentionnée, pas plus que la Libye, l'Afghanistan ou l'agression israélienne contre les Palestiniens et la profanation de la mosquée Al-Aqsa. Les comptes Twitter du ministre français Jean-Yves Le Drian et de la ministre allemande Annalena Baerbock étaient sensiblement les mêmes. L'Ukraine mérite certes une grande attention, mais doit-elle se faire au détriment de tous les autres points de la planète?

Pourquoi en est-il ainsi? Les services diplomatiques bien nantis en personnel des différents membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU pourraient certainement en assumer la charge. Mais ce n'est pas la faute des diplomates diligents. En privé, de nombreux diplomates européens joignent leurs voix à celles de leurs homologues moyen-orientaux pour déplorer le manque d'attention accordée à la région par les politiciens. Les hauts responsables de l'ONU s'arrachent ce qui leur reste de cheveux pour tenter d'obtenir une mobilisation.

Au Moyen-Orient, seuls les pourparlers sur le nucléaire iranien ont suscité une faible attention politique au plus haut niveau. Joe Biden y est impliqué, bien qu'il ne lui accorde pas l'attention que Barack Obama lui avait portée en 2015. Nombreux sont ceux qui ne voudraient sans doute pas d’un renouvellement de l’accord, mais l’on réfléchit peu sur la stratégie si l’accord n’était pas conclu, alors que l'Iran est sur le point de rejoindre le club d'élite des pays en possession de l’arme nucléaire.

L'un des éléments les plus frappants du dernier embrasement autour d'Al-Aqsa et de la répression israélienne contre les Palestiniens à Jérusalem est le silence effrayant des capitales européennes. L'administration américaine y a accordé un peu plus d'attention, mais reste encore en deçà de ce qui est requis. Les ingrédients sont en place pour une autre importante guerre contre Gaza, et cette fois-ci, contre la Cisjordanie.

Qu’en est-il de l'Afghanistan? L’évacuation américaine bâclée l'année dernière a laissé le pays à la merci des talibans, avec des millions d'Afghans fuyant une fois de plus. L'énorme tollé et les critiques justifiées de ce départ précipité et mal planifié auraient pu donner l'impression que de nombreuses voix se souciaient de ce qui s'était passé. Si l’ont fait une rétrospective rapide, on s’aperçoit que l'Afghanistan est une crise oubliée depuis longtemps. Les Afghans ont faim et sont quasiment proches de la famine.

La Syrie pourrait tout aussi bien ne pas exister pour de nombreux dirigeants internationaux. Biden a à peine mentionné ce pays depuis son entrée en fonction. La seule fois où elle a été évoquée, c'était pour rappeler ce que les forces russes ont fait dans le pays aux côtés du régime syrien. Pour preuve, une anecdote: de nombreux Européens à qui j'ai parlé supposent que les combats et la crise sont terminés, et sont stupéfaits de savoir que de nombreux Syriens estiment que les conditions actuelles sont les pires depuis 2011.

Les médias ne sont pas toujours d’un grand secours, comme ce fut le cas lors des conflits précédents, bien que les difficultés soient considérables. Les énormes déploiements de formidables et courageux correspondants étrangers et de guerre en Ukraine, en Russie et dans les pays voisins sont ardus. De nombreux journalistes ayant été tués ou blessés dans des conflits, la sécurité est donc primordiale. Tout cela suppose un grand coût à payer. Après 2011 et la forte couverture des soulèvements au Moyen-Orient, un rédacteur en chef à Londres a déclaré que, pour 2012, il n'existait presque plus de budget pour envoyer des journalistes à l’étranger. La plupart des médias ne peuvent pas se permettre de couvrir correctement l'Ukraine et par exemple l'Afghanistan dans le même temps. Cependant, cela n'explique pas tout, et consacrer plus d'articles à la région pourrait aider à créer une image équilibrée des crises mondiales.

L'opinion publique a également une capacité d'attention de plus en plus courte. Déjà on sent, du moins aux États-Unis, dont l'Ukraine est plus éloignée, une certaine lassitude face à ce conflit. Ce n'est peut-être pas encore le cas en Europe, où le conflit est beaucoup plus proche et les risques plus élevés. Pourtant, après tant de guerres et de visions infernales d'autres conflits, trop de personnes sont devenues indifférents aux horreurs de la guerre dans des pays lointains.

«Consacrer plus d'articles à la couverture du Moyen-Orient pourrait aider à créer une image équilibrée des crises mondiales»

Chris Doyle

Les enjeux pour les pays européens dans les multiples points chauds du Moyen-Orient sont tellement importants qu'il est étonnant de constater leur attitude apathique. Est-ce un laisser-aller, ces derniers croyant que tout cela ne les touchera pas, se sentant en sécurité derrière les barrières qu'ils ont construites pour empêcher l’entrée des réfugiés et se protéger de l'extrémisme violent?

Les principaux membres de la communauté internationale doivent renforcer les mécanismes et leur disponibilité politique pour faire face aux crises multiples. Ignorer les conflits et simplement prier pour qu'ils ne s’aggravent pas n'est pas une stratégie. De nombreux pays européens pourraient renforcer leurs moyens politiques, voire le nombre de ministres des Affaires étrangères et de la Défense, afin de pouvoir gérer cette charge supplémentaire. Ne pas le faire augmentera dangereusement la colère et le ressentiment et rendra ces crises plus difficiles à résoudre.

Il faudrait également espérer qu’en fin de compte, la principale leçon à tirer de l'Ukraine soit de ne pas laisser les conflits s'envenimer pendant des années, voire des décennies. Les résoudre est important et constitue un intérêt primordial pour l'Europe.

 

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, basé à Londres. Twitter: @Doylech

Clause de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cette rubrique par leurs auteurs sont personnelles, et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d’Arab News.

 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com