L'un des grands défis à relever pour s'adresser aux politiciens européens et américains est de leur ouvrir les yeux sur le double jeu flagrant dans leur gestion contrastée de l'Ukraine et d'autres crises, comme la Palestine. Ce qui est aussi clair que le soleil dans le ciel pour les habitants du monde en développement semble étranger à la vision du monde de tant de personnes à Washington, Londres, Berlin et Paris.
C'est pourquoi le prince Turki al-Faisal a eu raison de fustiger l'hypocrisie de l'Occident. Partout dans le monde, les bien-pensants s'accordent à dire que l'invasion russe de l'Ukraine est une agression flagrante contre un voisin pacifique, une violation du droit international et un acte auquel il faut s'opposer.
Mais ce que tant de politiciens occidentaux ne comprennent pas, c'est que, dans les décombres de Marioupol, les Palestiniens voient Gaza; les Syriens voient Alep, Raqqa et Homs, et les Irakiens voient Mossoul. Les Palestiniens de Gaza naviguent encore dans les décombres de non pas un, mais au moins cinq grands bombardements israéliens de leur prison à ciel ouvert au cours de ce siècle. Lorsque les Arabes voient des réfugiés ukrainiens traverser la Pologne, ils pensent aux Syriens qui fuient au Liban, en Jordanie et en Turquie. Les Palestiniens pensent à leur Nakba («catastrophe»), il y a soixante-quatorze ans, lorsque 70 % de la population est devenue réfugiée. Ils frémissent devant le racisme flagrant affiché quand les Européens accueillent les Ukrainiens parce qu'ils sont «comme nous»: ils ont les cheveux blonds et les yeux bleus, regardent Netflix et ont des comptes Instagram.
Pourtant, le plus choquant reste peut-être ce sur quoi le prince Turki s'est concentré: la rapidité et la sévérité des sanctions imposées à la Russie, renforcées tous les deux jours, contrastant avec l'absence totale de responsabilité dont bénéficie Israël concernant son oppression des Palestiniens. C’était clair avant même la dernière invasion russe en Ukraine; après tout, il n'a fallu que quelques jours à l'Union européenne (UE) pour imposer des sanctions à Moscou en 2014 pour son invasion et son annexion de la Crimée.
L'Occident et ses amis, tels qu'Israël, doivent se soumettre exactement aux mêmes règles que tout le monde.
Chris Doyle
Toute évocation de sanctions à l'encontre d'Israël est non seulement écartée, mais, dans de nombreux cas, presque criminalisée. Israël occupe la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, la bande de Gaza et le plateau du Golan depuis près de cinquante-cinq ans. Tout comme la Russie a été accusée du crime de guerre de transférer des citoyens en Crimée occupée, Israël a transféré plus de six cent cinquante mille de ses citoyens en territoire occupé. La Russie et Israël ont apparemment transféré des Ukrainiens et des Palestiniens, respectivement, hors du territoire occupé, ce qui constitue également une violation de la Quatrième Convention de Genève. Et Israël a bombardé des cibles civiles à Gaza, en utilisant fréquemment les mêmes excuses boiteuses que la propagande officielle russe nous sert désormais.
La Cour pénale internationale (CPI) a, à juste titre, ouvert une enquête sur d'éventuels crimes de guerre russes en Ukraine, avec un financement supplémentaire des grandes puissances. Mais lorsque la CPI s’est aventurée à envisager d'ouvrir une enquête sur les éventuels crimes commis en Palestine par n'importe quelle partie – autrement dit, les groupes israéliens et palestiniens – l'administration Trump a sanctionné non pas Israël, mais les responsables de la CPI.
Tout naturellement, aucune puissance occidentale ne vend d'armes à la Russie. À juste titre. Pourtant, pratiquement toutes les puissances occidentales ont un commerce d'armes florissant dans les deux sens avec Israël. Les États-Unis fournissent chaque année des milliards de dollars d'aide militaire.
De grands groupes internationaux ont, en quelques semaines, mis fin à leurs activités en Russie. Malheur à toute entreprise qui envisagerait de faire de même en Israël. L'année dernière, la société de crème glacée Ben & Jerry's a pris la décision de principe de ne plus vendre ses produits dans les colonies israéliennes illégales. Le tollé provoqué par cette décision a été entendu dans le monde entier.
Pourquoi Israël devrait-il continuer à bénéficier d’un blanc-seing? La colère pourrait être apaisée par un minimum d'efforts afin d’obliger Israël à rendre des comptes, même si ceux-ci sont loin de correspondre aux mesures draconiennes mises en œuvre contre la Russie. Le consensus international est, à titre d’exemple, que les colonies israéliennes sont illégales. Les déclarations de l'UE l’indiquent régulièrement. Pourquoi alors l'UE continue-t-elle à commercer avec les colonies? Il s'agit du commerce des produits du crime. Au mieux, les gouvernements ont émis des directives pour garantir l'étiquetage de ces produits. Les dirigeants israéliens rient sous cape.
On aimerait croire qu'Israël modifiera son comportement et qu’il mettra fin à son occupation et à sa discrimination systémique à l'encontre des Palestiniens sans sanctions ni mesures juridiques. On espère qu'un jour, les dirigeants israéliens comprendront que la paix et la sécurité véritables ne peuvent être obtenues qu'en mettant fin à ces pratiques. Jusqu'à présent, il semble que ce ne soit pas le cas, pas plus que les dirigeants russes n'ont compris la folie de leur pari ukrainien.
Après l'Ukraine, l'ordre international devra être repensé. Il est dépassé, inadapté au XXIe siècle. Une chose en particulier doit changer: l'ère du deux poids deux mesures doit prendre fin. Les principes doivent être appliqués de manière égale et équitable. L'Occident et ses amis, tels qu’Israël, doivent se soumettre exactement aux mêmes règles que tout le monde. Alors que nous aspirons tous à voir la fin de l'agression et de l'occupation russes de l'Ukraine, nous devons également faire pression et exiger la fin de l'occupation et de l'agression d’Israël contre la Palestine.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding, basé à Londres.
Twitter : @Doylech
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.