PARIS: Satire des "vices" pontificaux, colère contre un "chien envieux", supplique à la "France, mère des arts": les vers de Joachim Du Bellay (1522-1560), déclamés et slamés avec force, résonnent sous la coupole de l'Académie française à Paris.
"Comme un, qui veut curer quelque cloaque immunde/S'il n'a le nez armé d'une contresenteur": roulant les "r" et avec force gestes, Antoine Brémaud, 18 ans, étudiant en lettres à l'université d'Angers, s'est lancé le premier vendredi dans cette performance de diction de sonnets en ancien français.
Vêtu d'un costume gris, il s'est échauffé la voix au préalable avec cinq de ses camarades (trois filles, deux garçons) sous la direction du musicien Denis Raisin Dadre, entre l'austère statue de Napoléon et le cénotaphe de Mazarin (monument funéraire sans corps) qui ornent le hall menant à la salle de la coupole, espace solennel où se tiennent les sessions d'intronisation des membres de l'Académie française.
Fondateur du collectif angevin Doulce Mémoire, spécialisé dans la musique de la Renaissance, M. Dadre accompagne les six étudiants et leur professeure de littérature du XVIe siècle, Luce Albert, "fan de slam", pour cet hommage inédit au poète né il y a 500 ans.
S'il a le trac, Antoine le masque bien. Dès qu'il commence, sa voix porte. Il scande avec élégance et assurance les mots plein de malice des "Regrets" de Du Bellay, originaire, comme lui, d'Angers.
«Espérance, sauvagerie»
Antoine explique avoir choisi ce sonnet parce qu'il "témoigne bien de cette verve de Du Bellay qu'on a trop associé à la mélancolie, à la nostalgie. C'est un fervent rêteur qui sait aussi manier les mots pour attaquer et faire rire", ajoute-t-il, évoquant sa "modernité".
Suivent notamment le sonnet 130 ("Et je pensois aussi ce que pensoit Ulysse/ Qu’il n’estoit rien plus doux que voir encor' un jour") et un slam dédié à un autre sonnet dans lequel Du Bellay attaque un personnage qu'il ne nomme pas. Parfois, deux musiciens jouant de l'épinette (famille du clavecin, ndlr) et du luth accompagnent les étudiants.
La performance est filmée et sera retransmise sur internet dans le cadre de l'hommage rendu au poète par l'Institut de France, qui abrite l'Académie française et ses quatre soeurs (beaux-arts, sciences, sciences morales et politiques, inscriptions et belles lettres), ainsi que France-Mémoire, chargée des commémorations nationales, précise son directeur, Yves Bruney.
L'auditoire est sous le charme et tout particulièrement son invité de marque: l'écrivain et académicien Erik Orsenna qui, recueil des "Regrets" en main, applaudit. "Cela montre à quel point cette langue du XVIe siècle est celle d'aujourd'hui ! Toute cette espérance et cette sauvagerie, c'est grâce à vous qu'elle va continuer !", lance-t-il, enthousiaste.
Il a lui-même, dit-il, slamé avec "Grand Corps malade" et le rappeur Abd al Malik, qui n'a pu être présent vendredi. L'artiste a envoyé une petite vidéo retransmise sous la coupole, encourageant les étudiants à se servir comme ils le font de la langue française pour "magnifier Du Bellay", "poétiser le monde" et "faire acte de résistance" en montrant comment cette langue est "celle de tous".
Du Bellay, dit Erik Orsenna, "c'est la vie, c'est exactement le reflet de ce nous vivons (...) dans la violence, dans l'espérance, dans la crainte, dans la fureur, dans l'invention. La langue en est le reflet, le moteur".