PARIS: Après des débuts prometteurs, les négociations patinent entre La France insoumise, EELV et le PCF en vue d'un accord aux législatives. Le PS, lui, entre dans la danse via une rencontre avec les Insoumis programmée mercredi.
"C'est un peu compliqué", grimace Manuel Bompard. Le chef des négociateurs pour La France insoumise, placée en position de force après la solide 3e place de Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle (21,95%), était pourtant optimiste jeudi dernier.
M. Mélenchon lui-même s'était réjoui vendredi que les "discussions avancent mieux" que ce qu'il pensait.
Las! Les deux principales tractations bilatérales menées par LFI avec leurs anciens concurrents et potentiels partenaires connaissent des turbulences, alors que la date butoir évoquée par les protagonistes, la fin de semaine, se rapproche.
Avec EELV d'abord. Des discussions ont eu lieu tout le weekend autour du programme. Et si les convergences sont réelles sur de nombreux sujets - "services publics, salaires, climat, égalité hommes-femmes, enseignement supérieur...", dixit le chef d'EELV Julien Bayou -, le sujet de l'Europe est épineux.
Les Insoumis pensaient convaincre les écologistes, amoureux d'une Union européenne fédéraliste, en capitalisant sur leur désapprobation commune des traités actuels, via le concept de "désobéissance". Mais les dirigeants verts y voient la traduction de "l'opt-out" mélenchoniste, un refus d'appliquer certaines règles européennes qui peut mener selon eux à un bras de fer dangereux.
L'ex-candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot, qui a appelé mardi matin à "une coalition très ouverte" et respectant "l'identité des partenaires", s'est dit aussi clairement opposé à "un système d'Europe à la carte".
La répartition des circonscriptions est un autre obstacle de taille. Manuel Bompard assure avoir pris en compte les remarques des écologistes, leur proposant "20% des 165 circonscriptions" dites "de qualité", notamment dans les villes qu'ils détiennent (Grenoble, Strasbourg, Lyon, Tours, Poitiers, Bordeaux...).
Il estime que les "Verts sont traversés par des contradictions internes entre ceux qui veulent qu'on gouverne ensemble et ceux qui n'y ont pas intérêt". Pour preuve, avance-t-il, le fait que la circonscription proposée à Paris pour Sandrine Rousseau, partisane d'une alliance avec LFI, n'ait pas été considérée comme une priorité par EELV.
Jadot favorable à une coalition de gauche, mais derrière Mélenchon, "ça ne marchera pas"
L'ex-candidat écologiste à la présidentielle Yannick Jadot s'est dit mardi favorable à une "coalition" de "toutes les forces de gauche" aux législatives, mais il estime que derrière l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon, "ça ne marchera pas", contrairement à d'autres figures d'EELV.
"Je suis pour qu'il y ait évidemment La France insoumise, le résultat du 10 avril les oblige de ce point de vue-là, et aussi toutes les forces politiques de gauche, qui peuvent se réunir autour d'un projet", a-t-il expliqué sur France inter.
Mais à la question de savoir si cela devait se faire derrière Jean-Luc Mélenchon, il a répondu: "ça ne marchera pas".
"C'est lui le chef?", lui demande la journaliste. "Non", a répondu l'eurodéputé.
Sur BFMTV, l'ex-candidate à la primaire écologiste Sandrine Rousseau, qui a beaucoup critiqué la campagne menée par Yannick Jadot, a de son côté reconnu "le leadership de Jean-Luc Mélenchon". "Il est arrivé premier (de la gauche au premier tour de la présidentielle, ndlr), c'est à lui de mener cette coalition".
Yannick Jadot s'est dit en outre surpris du "détournement des institutions" opéré par Jean-Luc Mélenchon. "On peut pas se battre pour la VIe République et considérer que les législatives sont un troisième tour de la présidentielle", a asséné l'ex-candidat écolo.
Pour lui, "c'est dans le respect de la diversité, des identités, qu'on gagnera des députés à l'Assemblée nationale". Sinon "ce sera sans moi", a-t-il prévenu.
Alors que la question de la "désobéissance" aux traités européens, défendue par les Insoumis, est en débat entre LFI et EELV, Yannick Jadot a expliqué qu'il n'était "pas pour un système de l'Europe à la carte".
"Je ne suis pas prêt à mettre un pied dans une logique où chaque pays va choisir les thèmes sur lesquels il est prêt à avoir une souveraineté partagée", a-t-il dit.
"Mon parti ne dira pas ok sur le point de la désobéissance civile aux traités de l'Union européenne, telle que conçu par Jean-Luc Mélenchon. S'il le fait, je ne serai pas d'accord avec cet accord-là", a-t-il assuré.
Yannick Jadot a par ailleurs confirmé qu'il ne rejoindrait pas le gouvernement si Emmanuel Macron le lui proposait. "Les débauchages, ça ne sert à rien".
Mais "si ce président de la République décide enfin d'agir pour le climat, évidemment nous (le) soutiendrons (...), ce quinquennat ne peut pas être un nouveau quinquennat inutile, un nouveau quinquennat de l'inaction", a-t-il affirmé.
«Partenariat respectueux»
Julien Bayou objecte que LFI "ne prend pas les mêmes critères de gagnabilité".
Il confie que le pôle écologiste a une revendication majeure, la construction d'une "coalition", et non l'inclusion dans une "Union populaire".
"On ne veut pas faire la présidentielle bis, l'Union populaire ripolinée ferait le score des Insoumis", dit-il, prônant "une coalition pour nous additionner".
Symptomatique de ces arguties, le logo à présenter aux électeurs les 12 et 19 juin. Manuel Bompard consent à ce que l'Union populaire ait pour "sous-titre" ou "dans la charte graphique", le mot "écologie". Tandis qu'EELV réclame une présence dans le nom même de la coalition.
Même s'il souhaite un accord, l'ancien patron d'EELV, l'eurodéputé David Cormand, cogne fort contre les Insoumis: "Ils pensent qu'on fait la manche alors qu'on veut un partenariat respectueux. Ils veulent nous invisibiliser, demandent d'entrer dans l'Union populaire et ainsi d'admettre tacitement qu'il n'y a plus d'utilité à un parti écologiste".
La relation avec les communistes est aussi refroidie. Fabien Roussel aimerait que les socialistes soient inclus dans l'accord pour renforcer la coalition, quitte à temporiser pour le faire comprendre à LFI. Il n'y a donc pas eu de réunions le weekend dernier et les négociations ont repris seulement lundi soir. "On a perdu quatre jours", soupire Manuel Bompard.
Côté PS en revanche, un chemin s'ouvre. LFI a proposé une rencontre mercredi, que les socialistes ont acceptée, ont indiqué les deux parties à l'AFP. La retraite à 60 ans ne convainc pas sur le plan financier les cadres du PS, qui veulent rester ouverts sur cette question pourtant cruciale pour LFI.
Un cadre socialiste prévient: "Si Mélenchon veut que cette coalition dure, il n'a pas intérêt à nous tordre le bras. Mais il peut parfaitement nous humilier et nous faire disparaître de l'Assemblée".
Dans Le Parisien, l'ex-Premier ministre Lionel Jospin juge "positif pour (le PS) de participer à un accord électoral de toute la gauche. A condition qu’on ne cherche pas à l’écraser".