PARIS: Une plainte pour «violences volontaires» et «injure publique par personnes dépositaires de l’autorité publique» a été déposée le 21 avril par deux jeunes femmes voilées âgées de 24 et de 23 ans. Ces dernières affirment avoir été frappées le jeudi 14 avril sur le pont de Clichy, dans les Hauts-de-Seine. L’une d’entre elles soutient avoir reçu plusieurs gifles au visage.
Les vidéos de la scène sur les réseaux sociaux
Prises par des automobilistes qui ont assisté à la scène, des vidéos de l’altercation ont été largement partagées sur les réseaux sociaux. Samedi 23 avril, les deux plaignantes témoignent dans une vidéo publiée sur le site Action contre l’islamophobie (ACI); elles racontent leur version des faits. «Il m’assène une claque. […] On a senti de la haine dans ses yeux», explique l’une de ces deux jeunes femmes qui préfèrent garder l’anonymat par peur de représailles.
Sollicité par Arab News en français, Me Nabil Boudi, avocat des deux plaignantes, raconte: «Elles étaient engagées à mi-chemin sur le passage piéton quand une voiture de police arrive à toute vitesse, activant les gyrophares, pour forcer le passage. L’une de mes clientes a pointé du doigt le bonhomme vert [signalement du passage piéton] en sous-entendant: “J’ai la priorité, donc je peux traverser.” Pile à ce moment-là, un des policiers sort du véhicule et procède au contrôle d’identité que je qualifie d’“illégal” en la forme. Les deux jeunes femmes n’étant pas en infraction, ce contrôle d’identité est fondé sur le seul élément distinctif des deux jeunes femmes: le port du voile», nous révèle-t-il, précisant que le contrôle d’identité est assez symptomatique des violences policières.
«Cette action va dégénérer en violence; les deux jeunes filles n’en comprennent pas les motifs», raconte-t-il. «Mes clientes, qui ont continué à traverser le passage piéton, ont été attrapées par les bras. L’une d’entre elles essaie de se libérer, le policier lui assène une énorme gifle sur le visage», poursuit-il. «Le fonctionnaire de police va continuer à s’acharner sur elle pendant plusieurs secondes, allant jusqu’au plaquage ventral. Elle se retrouve au sol avec le genou du policier sur son omoplate droite. C’est une technique qu’on utilise en général pour les personnes dangereuses», déplore-t-il. «Ma cliente était en état de choc. Elle dispose de certificats médicaux qui établissent des blessures, notamment sur le visage.»
L’automobiliste, le témoin clé
«Dans cette affaire, nous avons un témoin clé, un témoin visuel et oculaire. Il s’agit d’une automobiliste qui, la première, laisse traverser les deux jeunes filles. Elle assiste à toute la scène. Face à cette violence, elle décide de descendre de voiture, appelle les passants à l’aide et demande aux policiers d’arrêter, car elle était en train de filmer. La présence de la caméra a eu un effet immédiat. Ils [les fonctionnaires de police] arrêtent. Pour tasser l’affaire, ils changent de comportement et déclarent avoir été insultés», nous révèle Me Boudi.
Selon lui, le témoin clé a signifié aux policiers avoir filmé toute la scène. Or, précise-t-il, «ce n’était pas le cas. L’automobiliste a commencé à filmer après la gifle. Le fonctionnaire de police est tombé dans le piège et déclare, devant les témoins sur place: “Oui je l’ai tapée, j’avais le droit.” Avec ces mots, il passe aux aveux et reconnaît avoir porté des gifles», souligne Me Boudi.
Peur de porter plainte
«Les deux jeunes femmes ont hésité à porter plainte par peur des représailles. Dans une ville comme Clichy, où la police est omniprésente, il est difficile aux victimes de porter plainte. Mais grâce aux associations et au soutien de leurs proches, elles ont pu franchir le pas. Elles se sont orientées vers moi. Ces jeunes filles sont impressionnantes par leur résilience. Elles aimeraient que justice soit rendue et souhaitent, surtout, que leur démarche puisse aider à ce que ce type d’agressions cessent d’exister dans notre société», nous fait savoir l’avocat des deux plaignantes.
Interrogé par Arab News en français sur les chances de succès des dossiers qui traitent de violences policières, Me Boudi, habitué à plaider ce genre d’affaires, affirme: «C’est un parcours du combattant. On assiste, ces derniers temps, à une espèce de ras-le-bol où tout le monde est excédé par les faits d’agressions ou de violences policières. En outre, j’ai le sentiment que les choses sont en train de changer, d’évoluer. Depuis l’avènement des réseaux sociaux et de la vidéosurveillance, les faits de violences sont plus faciles à prouver. C’est d’ailleurs grâce à cela que les affaires éclatent.»
Précisons que les trois policiers concernés par cette affaire ont, eux aussi, déposé plainte pour «outrage», «rébellion en réunion» et «violence sur personnes dépositaires de l’autorité publique». Une enquête préliminaire a été ouverte à Nanterre.