ISTANBUL: Le mécène turc Osman Kavala, détenu depuis quatre ans et demi, a été condamné lundi à Istanbul à la perpétuité après les plaidoiries de la défense qui avait réclamé son acquittement pour manque de preuves et dénoncé l'acharnement du pouvoir.
Osman Kavala, accusé d'avoir tenté de renverser le gouvernement du président Recep Tayyip Erdogan, ne pourra bénéficier d'aucune remise de peine, ont précisé les juges dont le verdict, énoncé après moins d'une heure de délibéré, a été accueilli par des huées dans la salle du tribunal.
Il a été seulement acquitté de l'accusation d'espionnage.
Par avance, à la clôture des débats, Osman Kavala - qui a toujours nié les charges pensant contre lui - avait dénoncé un « assassinat judiciaire » contre sa personne: « Les théories du complot, avancées pour des raisons politiques et idéologiques, ont empêché une analyse impartiale des événements et (les ont) déconnectés de la réalité », avait-il lancé avant que les juges ne se retirent.
Figure de la société civile turque, Osman Kavala, 64 ans, était accusé d'avoir cherché à renverser le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan via le financement des manifestations anti-gouvernementales dites « mouvement de Gezi » en 2013 et lors du coup d'Etat raté de juillet 2016.
C'est depuis la prison de haute sécurité de Silivri, en lisière d'Istanbul, par visioconférence et vêtu comme à l'accoutumée d'une chemise blanche impeccable, qu'il a suivi lundi les plaidoiries et entendu l'énoncé du verdict, épilogue d'un feuilleton judiciaire renvoyé de mois en mois.
Les trois avocats de l'homme d'affaires, éditeur et philanthrope, ont notamment fait valoir que jamais les juges ne lui ont demandé « où il se trouvait » lors des faits qui lui étaient reprochés.
« Il n'y a pas eu de procès: vous n'avez pas posé une seule question à Osman Kavala », a lancé Me Tolga Aytöre. « Pas même: ‘Êtes-vous allé au parc Gezi?’ », épicentre des manifestations de 2013 qui avaient essaimé dans le pays.
« lâchez vos téléphones »
De même, le dernier défenseur à s'exprimer, Ilkan Koyuncu, a rappelé que « Kavala est accusé d'avoir joué un rôle dans la tentative de putsch en 2016, mais personne ne lui a demandé où il était la nuit du coup ».
Pendant les plaidoiries, la représentante du Pen Club, association de défense de la liberté d'expression, Caroline Stockford, a demandé aux juges de « lâcher leur téléphone » pour écouter la défense, laissant entendre qu'ils recevaient leurs ordres sur écran.
Face à la cour vendredi, Osman Kavala avait dénoncé l'influence du président Erdogan sur son procès.
Ses sept co-accusés - qui comparaissaient libres - ont écopé d'une peine de dix-huit ans de prison, accusés de lui avoir apporté leur soutien.
Les militants des droits humains avaient espéré une libération qui enverrait un signal positif, alors que la Turquie essaie de faciliter les pourparlers entre l'Ukraine et la Russie.
D'autant que le président Erdogan recevait simultanément à Ankara le secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres.
Comme à chaque audience, une dizaine de diplomates occidentaux étaient présents pour témoigner de leur soutien à celui qui est devenu la bête noire du régime Erdogan.
Surnommé le « milliardaire rouge » par ses détracteurs, Osman Kavala, né à Paris, avait été arrêté en octobre 2017.
« Graves erreurs de la justice turque »
Acquitté en février 2020 pour les charges liées aux manifestations de 2013, l'éditeur avait été arrêté quelques heures plus tard - avant même de pouvoir rentrer chez lui - puis renvoyé en prison, cette fois accusé d'avoir cherché à « renverser le gouvernement » lors du putsch raté de juillet 2016, ainsi que d'espionnage.
Son acquittement avait ensuite été invalidé par la justice turque, mais la reconduction régulière de sa détention en a fait le héros de l'opposition au président Erdogan.
« Avoir passé quatre ans et demi de ma vie en prison ne pourra jamais être compensé. La seule chose qui pourra me consoler sera d'avoir contribué à révéler les graves erreurs de la justice turque », avait-il prévenu vendredi.
L'affaire Kavala a déclenché à l'automne une crise diplomatique, Ankara menaçant d'expulser une dizaine d'ambassadeurs occidentaux, dont celui des Etats-Unis, qui avaient réclamé sa libération.
En février, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a lancé une « procédure en manquement » contre la Turquie.
Le mois dernier, les procureurs avaient réclamé sa condamnation pour « tentative de renversement » du gouvernement, soit une peine de prison à vie sans possibilité de libération anticipée.