PARIS: Arrivée en deuxième position du premier tour de l’élection présidentielle, la dirigeante du Rassemblement national (RN), Marine Le Pen, n’en est pas moins isolée.
Maintenue dans la course à l’Elysée et plébiscitée par 23,1 % des électeurs, elle souffre toutefois d’un manque flagrant d’alliés potentiels et de sympathisants au sein de la classe politique française.
Sa campagne présidentielle a plus été marquée par les défections successives que par les adhésions. Pourtant, Le Pen soutient haut et fort que si elle est élue, elle formera un gouvernement composé de personnes compétentes et efficaces. Elle assure aussi qu’il s’agira un gouvernement d’union nationale.
Si Le Pen venait à être élue présidente, comment fera-elle pour atteindre son objectif?
Arab News en français a posé la question au politologue et spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus, qui affirme que «précisément l’un des gros problèmes du Rassemblement national, c'est qu'il peut rassembler des millions de voix sans avoir aucun allié». Ce parti n’ayant jamais exercé le pouvoir, il pâtit d’un manque de compétences qui rend impossible qu’un potentiel gouvernement Le Pen soit cantonné au seul vivier du RN.
La formation du gouvernement à elle seule s’avère donc problématique. «Je ne vois pas très bien qui sont ses soutiens prêts à rallier son gouvernement, à moins que ces soutiens existent et qu’ils ne se soient pas encore déclarés» souligne Camus, sceptique. S’agissant de la formation d’un gouvernement d’union nationale, la tâche semble être encore plus compliquée.
Union nationale ou casting?
Le Pen a affirmé se moquer «complètement des appartenances à tel ou tel mouvement politique» et a assuré qu’elle irait chercher «des gens de partout, sans tenir compte des étiquettes, ni des engagements partisans, y compris précédents», et que son objectif était de «prendre le meilleur de la droite et le meilleur de la gauche».
Après avoir écarté tout rapprochement avec son concurrent d’extrême droite, Éric Zemmour, Le Pen pourra toujours attirer des personnes de la mouvance de ce dernier ou des adeptes de la droite décomplexée du parti Les Républicains, voire de la France Insoumise (extrême gauche), mais ce serait, souligne Camus, «confondre l’union nationale avec un casting».
Dans chaque famille politique, il y a toujours une ou deux personnes qui, pour des raisons d’ambition personnelle, accepteront de prendre des responsabilités, mais selon Camus, «cela ne voudra pas dire qu’il s’agira d’une union nationale qui reposera sur un consensus avec les électeurs ou sur un accord avec les partis politiques».
L’union nationale implique l’existence d’un programme partagé, et cela semble impossible avec le RN, indique Camus, autant sur les options de politique étrangère que sur les problématiques migratoires et la question identitaire. De son point de vue, l’union nationale n’a réellement fonctionné qu’une fois en France, pendant la Première Guerre Mondiale, lorsqu’une alliance très large s’est étendue de la droite de la droite à la gauche socialiste de l’époque.
Après l’échéance de la formation du gouvernement, Marine Le Pen, si elle est élue, devra mener la bataille des élections législatives au mois de juin. Ces législatives seront pour le RN un second baptême de feu, puisqu’elles se dérouleront suivant les termes d’une loi électorale qui ne prévoit aucune dose de proportionnelle.
Risque de blocage
Traditionnellement, depuis que les législatives se déroulent après la présidentielle, elles viennent amplifier ses résultats. Marine Le Pen, une fois élue, pourrait donc bien posséder une majorité à l’Assemblée nationale. Cette hypothèse peine cependant à convaincre Camus. Pour le spécialiste, «il est fort probable qu’une partie des électeurs qui ne voteront pas au second tour rectifieront le tir en allant voter contre Le Pen aux législatives, réalisant leur imprudence». Selon lui, il y même des Français qui croient que «l’élection de Marine le Pen n’a pas tant d’importance, et qu’elle peut être corrigée par un vote aux législatives» la sanctionnant, poursuit-il.
Pour Camus, un tel cas de figure «exposera le pays à une grande pagaille et pourra le mener à une cohabitation», une grave erreur. Les cohabitations classiques entre un président de droite et un Parlement de gauche ou vice versa entraînent des difficultés bien connues, mais dans le cas d’une potentielle élection de Marine Le Pen et une majorité qui lui est opposée, «je ne sais pas à quoi cela pourrait ressembler», affirme Camus, parce que sur certains sujets, aucune conciliation n’est possible.
En tête des sujets polémiques figureraient encore une fois l’immigration, l’identité, tout ce qui touche à l’Europe, les relations avec la Russie, avec l’Allemagne, qui ne seront pas négociables avec une majorité opposée à l’extrême droite. La France sera donc menacée par un vaste blocage qui s’ajoutera aux turbulences politiques et à l’instabilité.