DUBAÏ: Chaque jour, Nasima, 16 ans, et Shakila, 17 ans, attendent avec impatience la nouvelle de la réouverture de leur école à Kaboul, Lameha-e-Shaheed, pour pouvoir reprendre leurs études. Cela fait maintenant un mois qu'elles attendent, depuis que les talibans ont fermé les écoles secondaires pour filles du jour au lendemain, revenant sur une décision antérieure consistant à accorder aux femmes plus de liberté ainsi que l’accès à l'éducation.
Le 23 mars au matin, plus d'un million de filles de l’âge de Nasima et Shakila se sont présentées à leur école en Afghanistan pour la première fois depuis que les talibans ont pris le pouvoir en août de l'année dernière, mais elles ont été refoulées.
«Sous l’égide de l'émirat islamique d'Afghanistan, les écoles pour femmes à partir de la classe de sixième sont fermées jusqu'à nouvel ordre», peut-on lire dans un rapport de l'agence de presse protalibans Bakhtar.
«Ils trouveront toujours des prétextes pour empêcher les filles d'apprendre parce que les filles éduquées et les femmes autonomes leur font peur», a déclaré Malala Yousafzai, lauréate du prix Nobel de la paix.
Bien que de nombreux Afghans aient été consternés par la nouvelle, ceux qui connaissent la vision puritaine et les politiques erratiques des talibans pendant leur règne de 1996 à 2001 n'ont pas été surpris.
L'ultraconservatisme rampant ressort clairement dans les nouvelles règles qui interdisent aux femmes non voilées ou non accompagnées d'un chaperon masculin de voyager sur de longues distances. Il en va de même pour le licenciement des femmes de leurs emplois et des postes d'influence et, surtout, dans la volte-face du 23 mars en matière d’éducation.
EN BREF
- La nouvelle interdiction de l'éducation des filles dévoile les dissensions au sein du leadership taliban
- Les enseignants et les filles afghanes ont peu d'espoir de voir les écoles rouvrir
- Le taux d'alphabétisation des femmes a plus que doublé entre 2000 et 2018
«Ils nous ont répété à l’envi qu'ils allaient rouvrir les écoles et laisser tout le monde y retourner», a déclaré à Arab News Lina Farzam, enseignante dans une école primaire de Kaboul.
«Bien que nous n'ayons jamais cru que les talibans changeraient, nous avions de l'espoir. Nous ne savons pas pourquoi le monde leur a fait confiance et leur a donné une autre chance.»
La volte-face sur l'enseignement secondaire, qui aurait eu lieu après une réunion secrète de la direction du groupe à Kandahar, suggère que son aile ultraconservatrice continue d’orienter la trajectoire idéologique du régime.
«Le plus cruel dans cette affaire, c'est le fait qu'ils ont annoncé que les filles pouvaient retourner à l'école, puis qu'ils ont fait marche arrière», affirme Farzam. «Imaginez ces filles qui se préparaient joyeusement pour l'école la veille et qui attendaient de retourner en classe.»
En Afghanistan, les filles en âge de fréquenter l'école primaire sont autorisées à recevoir un enseignement jusqu'à la sixième. Les femmes sont également autorisées à fréquenter l'université, mais dans le cadre de règles strictes de ségrégation des sexes et à condition de respecter un code vestimentaire strict.
Après le retrait chaotique d'Afghanistan de la coalition dirigée par les États-Unis en août 2021, les talibans ont insisté sur le fait qu'ils avaient changé d’approche et qu'ils permettraient aux femmes et aux jeunes filles de continuer à étudier comme elles le faisaient sous le gouvernement reconnu par les Nations unies.
Lors d'une conférence de presse tenue à Kaboul le 18 août, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a promis que le nouveau gouvernement respecterait les droits des femmes.
«La vérité est que la vision des talibans en matière des droits des femmes, des droits de l'homme et des libertés individuelles n’a nullement changé au cours des vingt dernières années», déclare à Arab News Nilofar Akrami, une universitaire de 30 ans qui enseigne aux femmes à l'Université de Kaboul.
«La vérité est que la vision des talibans en matière des droits des femmes, des droits de l'homme et des libertés individuelles n’a nullement changé au cours des vingt dernières années», déclare à Arab News Nilofar Akrami, une universitaire de 30 ans qui enseigne aux femmes à l'Université de Kaboul.
«Les talibans sont aussi intransigeants qu'ils ne l'étaient dans les années 1990 et, en ce qui concerne les femmes, ils sont même pires aujourd’hui. Malheureusement, ils ont appris à porter un masque pour tromper le monde.
«Ils pensent toujours que les femmes doivent rester à la maison et que les femmes qui quittent leur foyer pour étudier ou travailler sont mauvaises, et qu'elles vont corrompre la société.»
Pour Akrami, tout espoir d'émancipation des femmes en Afghanistan est depuis longtemps anéanti. «En tant que femme qui a commencé sa carrière à l'université pour faire une différence dans la vie des femmes, je suis désolée que mes rêves et ceux de centaines de femmes comme moi se soient effondrés depuis l'arrivée au pouvoir des talibans», déclare-t-elle.
Asma Faraz, qui travaillait auparavant à l'ambassade d'Afghanistan à Washington D.C., est également écœurée de voir s'envoler les libertés et les opportunités de ces vingt dernières années.
«Ma patronne était ambassadrice», a-t-elle expliqué à Arab News, faisant référence à Roya Rahmani, la première femme afghane à occuper le poste de diplomate de haut rang de son pays aux États-Unis. «En tant que femme, j'étais si fière de voir une femme entrer dans la pièce et susciter autant de respect.»
«Les femmes peuvent être ambassadrices, les femmes peuvent être membres du Parlement, les femmes peuvent être journalistes et médecins. Mais maintenant, à Kaboul, les femmes et les filles verront que les femmes ne peuvent pas aller à l'école et ne peuvent que se marier. Elles verront leurs mères travailler uniquement à la maison.»
Les dirigeants talibans ont cherché à justifier leur interdiction de l'enseignement secondaire pour les filles afghanes en invoquant un principe religieux – un point de vue que les spécialistes de l'islam et la société civile contestent.
«Je suis troublée parce que rien ne justifie de refuser l'éducation aux filles», déclare à Arab News Daisy Khan, fondatrice de l'Initiative islamique des femmes en matière de spiritualité et d'égalité, basée à New York.
«Dans l'islam, la quête de la connaissance est une obligation pour tous les musulmans. Le prophète Mahomet ne faisait aucune distinction entre l'éducation des garçons et celle des filles. Il a dit: «Le meilleur d'entre vous est celui qui donne une bonne éducation à ses enfants.»
Les messages contradictoires véhiculés par les hauts responsables pourraient être le signe d'un schisme dans les rangs des talibans, entre la ligne dure basée dans le bastion de Kandahar et les responsables plus modérés qui gèrent les affaires depuis la capitale.
Selon certains rapports, Hibatullah Akhundzada, le chef suprême de l'Émirat islamique, a ignoré les appels répétés, même de la part de nombreux religieux, à revenir sur la décision concernant l'éducation secondaire des filles.
«Les gens parlent en permanence d'Hibatullah, mais personne ne l'a vu ni ne sait où il se trouve à Kandahar», commente Faraz. «Peut-être vit-il dans un village où les gens ne permettent pas à leurs filles d'aller à l'école et il ne sait pas comment est la vie en dehors du village.»
«Si nous voulons donner une chance aux talibans, soit, donnons-leur une chance, mais ils ne peuvent ni tout contrôler, ni importer ce qu'ils pensent être la norme de leurs villages aux villes et à la capitale où les gens avaient l'habitude d'aller à l'école et de travailler.»
Contrairement à la vision du camp de Kandahar, un haut responsable a récemment déclaré à NPR que les talibans n'avaient pas changé de cap en ce qui concerne l'éducation des filles, mais qu'ils avaient simplement besoin de plus de temps pour décider d'un uniforme scolaire approprié.
«Il n'est pas question d'interdire les filles dans les écoles», a déclaré Souhail Chahine, ambassadeur permanent désigné des talibans auprès des Nations unies, au média. «Il s'agit uniquement d'une question logistique consistant à décider de l'uniforme scolaire pour les filles. Nous espérons que la question de l'uniforme sera résolue dès que possible.»
Désireux de voir la question résolue rapidement et les droits des femmes et des filles afghanes préservés, des militants des États-Unis se sont rendus à Kaboul à la fin du mois de mars pour rencontrer des responsables talibans.
«Alors que l'attention du monde s'est tournée vers la crise en Ukraine, il est extrêmement important de ne pas oublier ce qui se passe en Afghanistan, un pays qui connaît actuellement l'une des pires années de son histoire», a déclaré à Arab News Masuda Sultan, entrepreneur américain d'origine afghane et défenseur des droits de l'homme, qui faisait partie de la délégation.
«L'asphyxie économique continue de cette nation peut entraîner des conséquences qui seront beaucoup plus coûteuses à résoudre si elles ne sont pas traitées immédiatement.»
En effet, à moins que les talibans ne montrent qu'ils sont prêts à assouplir leur ligne dure, notamment sur les questions relatives aux droits des femmes, il est peu probable que le régime ait accès aux milliards de dollars d'aide, aux prêts et aux actifs gelés par les États-Unis, le FMI et la Banque mondiale, dont il a désespérément besoin.
En outre, selon les Nations unies, le fait de priver les femmes de travail coûte à l'Afghanistan jusqu'à 1 milliard de dollars, soit 5% du produit intérieur brut. Comme l'a noté The Economist dans un article récent, «en pleine crise économique, le pays peut difficilement se permettre cette perte».
Pour Farzam et ses élèves de Kaboul, l'issue de la querelle idéologique au sein de la direction des talibans décidera de leur sort, et peut-être même du sort de millions d'Afghans qui ont urgemment besoin d’aides économiques.
«Aujourd’hui, les filles sont tristes de ne pas pouvoir poursuivre leur éducation», déclare-t-elle à Arab News. «Elles attendent avec impatience la réouverture de leurs écoles.»
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com