ATHENES: "Je veux être caressée et giflée par l'homme que j'aime". Déjà présente dans la chanson populaire des années 60, la culture machiste subsiste dans la Grèce d'aujourd'hui, où elle fomente souvent les féminicides, estiment des spécialistes interrogés par l'AFP.
Dans une visioconférence récente, un petit groupe d'officiers garde-côtes grecs tournaient en dérision le meurtre de la Britannique Caroline Crouch par son mari, Babis Anagnostopoulos, un pilote d'hélicoptère grec.
"J'ai dit à ma femme, comporte-toi bien ou alors je passe ma licence de pilote", ricanait ainsi un officier dans cette vidéo divulguée début avril par un site local d'informations.
"C'est comme ça qu'on leur donne des leçons", rétorquait un autre participant.
"Est-ce que les jeunes filles ne voulaient pas toutes se marier avec des pilotes quand elles étaient petites ?", interrogeait un troisième dans un éclat de rire.
Cette vidéo n'a été condamnée que discrètement par une source anonyme du ministère grec de la Marine marchande.
La jeune Anglaise a été tuée en mai 2021 à l'âge de 20 ans, son mari a tenté de masquer sa responsabilité pendant des semaines, prétextant d'un cambriolage raté, avant d'avouer son crime qui a suscité l'indignation en Grèce.
Ce féminicide est l'un parmi les dizaines survenus en Grèce ces dernières années, comme celui précédé d'un viol de la scientifique américaine Suzanne Eaton sur l'île de Crète en 2019.
Onze féminicides par an
La Grèce enregistre en moyenne 11 féminicides par an, selon la ministre adjointe à l'Egalité des genres, Maria Syrengela.
Une ligne téléphonique dédiée aux femmes victimes de violences domestiques a reçu près de 7.000 appels en 2021, précisait-elle en janvier.
L'éveil tardif du mouvement #MeToo en Grèce a braqué les projecteurs sur les agressions de femmes dans le milieu du sport ou du spectacle.
Mais la culture machiste est toujours solidement ancrée dans le pays, estiment Eleftheria Koumandou et Eleonora Orfanidou, co-animatrices d’une émission quotidienne primée traitant de la misogynie ou de l'homophobie à la radio municipale d'Athènes.
"Une jeune fille (qui grandit) en Grèce fait face à des siècles de tradition", explique Mme Orfanidou à l'AFP, soulignant que "l'éducation grecque, l'Eglise (orthodoxe) et la justice sont des institutions conservatrices construites selon le modèle patriarcal".
«Ne pas nous montrer trop intelligentes»
"On nous apprenait à ne pas nous montrer trop intelligentes", se souvient-elle.
Mme Koumandou raconte que sa mère, qui a abandonné ses études dentaires pour éviter d'"offenser" son mari, lui disait que les femmes "ne devraient pas trop parler".
La Grèce a accordé le droit de vote aux femmes en 1952 et a élu en 2020, au suffrage indirect, une présidente de la République.
Mais le Premier ministre conservateur Kyriakos Mitsotakis - dont la sœur a été la première maire d'Athènes et ministre des Affaires étrangères de Grèce - n'a choisi que deux femmes parmi les 21 ministres de son gouvernement.
Il y a quelques décennies, il était fréquent de voir des femmes battues au cinéma - souvent à des fins comiques - tandis que des crimes d'honneur liés à la jalousie et à l'adultère étaient dépeints dans les chansons populaires.
"Dans mon groupe de danse à l'école, l'une de nos chansons folkloriques préférées parlait d'un homme qui massacre sa femme et la pleure ensuite", se rappelle Mme Orfanidou.
De nombreux films grecs des années 1950 à 1970, l'âge d'or du cinéma grec, régulièrement rediffusés à la télévision, font la promotion du patriarcat, explique Fotini Tsibiridou, anthropologue sociale à l'université de Macédoine.
Dans une comédie à succès de 1966, le héros aligne ses six sœurs et les gifle pour les punir de s'être chamaillées.
"Je veux être caressée et giflée par l'homme que j'aime", proclame aussi une chanson de la même époque.
Aujourd'hui, les publicités et les feuilletons télévisés sont encore truffés de "références et de stéréotypes sexistes", ajoute Mme Tsibiridou.
En 2016, la principale chaîne de jouets grecque Jumbo a suscité la controverse avec une publicité qui arborait le slogan "frappez comme un homme".
Beaucoup appellent en outre à ce que le féminicide soit puni plus durement par la loi grecque. Le code pénal prévoit en effet une réduction de peine selon "l'état de rage" de l'auteur.
C'est d'ailleurs la ligne de défense adoptée par le mari meurtrier de Caroline Crouch. Son avocat a déclaré que son client "était dans un état d'excitation psychologique" lorsqu'il a commis le crime "sous la fièvre de la passion".