PARIS: Le français s'uniformise en France, mais le fera-t-il au point de devenir le même sur tout le territoire? Impossible, et pas souhaitable, répondent deux auteurs publiés par les frères ennemis du dictionnaire, Larousse et Robert.
Jeudi, Larousse sort «Le français, une si fabuleuse histoire» du journaliste Michel Feltin-Palas, et Robert «Comme on dit chez nous, le grand livre du français de nos régions» du linguiste Mathieu Avanzi. Deux façons de parler de la même langue et de ses variations, dans le temps et dans l'espace.
«Mon intérêt vient des langues régionales. Et très vite j'ai vu que je ne les comprendrais pas si je ne comprenais pas la langue française et son histoire», dit à l'AFP Michel Feltin-Palas, qui parle «un peu» béarnais, et se passionne pour le destin de toutes les langues du pays.
Synthétique et d'un style léger, l'ouvrage raconte le processus très long par lequel «un vague idiome pratiqué pendant le haut Moyen Âge par quelques dizaines de milliers de personnes dispersées le long et la Seine et de l'Oise», comme il l'écrit, a conquis tout le territoire.
«Ce qui est fascinant avec la France, c'est qu'à l'origine il n'y a rien de commun entre par exemple un Breton, un Languedocien et un Mosellan. La langue le montre bien. Pourtant ils finissent par parler la même», dit-il.
La fameuse ordonnance de Villers-Coterêts (en 1539), ville de Picardie où le président Emmanuel Macron compte installer la Cité internationale de la francophonie, y est pour quelque chose. «Il y a un cliché, repris par le président, qui veut que cette ordonnance ait imposé le français. C'est faux: elle dit que la Justice doit s'adresser à tous en langage maternel francois. Or sous François Ier, 90% des Français parlent une autre langue que le français. Donc ça peut être en occitan, en normand, en bourguignon... Tout sauf en latin», souligne Michel Feltin-Palas.
«Je suis une cagole»
Le français «ne s'est vraiment imposé qu'au XXe siècle», en étant la langue de l'instruction obligatoire. Et de nos jours, relève l'auteur, «il existe plusieurs français»: non seulement selon les régions, mais aussi selon les générations, selon les classes sociales, et selon le contexte, oral ou écrit. «C'est le signe de la vitalité d'une langue. La façon dont on la parle au quotidien ne peut pas être figée».
Mathieu Avanzi, maître de conférences en linguistique française à la Sorbonne, détaille des expressions représentatives de la variété géographique de notre langue. Depuis les «carabistouilles» (propos grossièrement faux ou exagérés, un terme qu'avait employé Emmanuel Macron) qu'on se raconte dans le Nord, qui se répandent dans le «tiékar» (quartier) en région parisienne, et qui peuvent amener des «cagades» (erreurs monumentales) dans le Sud.
«Les régionalismes sont devenus un étendard, une fierté. Ils font même vendre! Ils ne sont pas près de disparaître», dit ce Savoyard.
D'après lui, «c'est relativement nouveau: il y a eu un tournant à l'époque du Comité de défense de la chocolatine, dont on a parlé quand Jean-François Copé a commis sa bourde sur le prix du pain au chocolat» (en 2016). «Il y a une vingtaine d'années, on n'aurait jamais imaginé que les Marseillaises achètent un t-shirt avec écrit: Je suis une cagole».
Cet atlas condensé, avec son humour et ses couleurs, a des fondations scientifiques solides. Il a été «construit sur la base d'enquêtes auxquelles des milliers de francophones ont participé», y explique le linguiste.
Aujourd'hui, les réseaux sociaux l'aident énormément dans son travail: à repérer l'évolution des usages, et à faire passer des questionnaires. Mais au départ, tout était parti d'une colonie de vacances très loin de chez Mathieu Avanzi, dans les Landes, où il avait croisé des enfants d'autres régions. «Quelqu'un avait dit crayon de bois, et j'avais pensé: hein?! c'est crayon à papier! Alors que c'est les deux, ou celui qu'on veut».