PARIS: Une France des catégories populaires face à celle des « CSP+ » et des retraités, des petites villes périphériques face aux grandes agglomérations: les « logiques sociologiques du vote s'accentuent » avec le deuxième duel présidentiel entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, estiment des analystes.
Très écouté par la candidate du RN, le sondeur et politologue Jérôme Sainte-Marie (PollingVox) martèle depuis 2019 sa thèse d'un « bloc populaire » face à un « bloc élitaire ».
Dans ce premier tour de l'élection présidentielle, « il y a eu un processus d'unification des « CSP+ » (catégories socio-professionnelles supérieures) autour d'Emmanuel Macron: un alignement des cadres et des retraités », estime-t-il, interrogé par l'AFP.
Il y a cinq ans, une large part des seniors avaient voté pour le LR François Fillon. Cette fois, près de 40% des « 65 ans et plus » ont opté pour le président sortant. Inquiets pour leur pension ou la dette du pays, les retraités constituent un atout électoral de poids pour le second tour: ils représentent un tiers du corps électoral et sont ceux qui se déplacent le plus aux urnes.
En face, Marine Le Pen convainct d'abord des « CSP- du secteur privé », poursuit Jérôme Sainte-Marie, en associant le pouvoir d'achat à son discours sur la « priorité nationale » et la lutte contre l'immigration.
« France d'en haut et d'en bas »
Dans l'entre-deux tours, la candidate d'extrême droite devra selon lui consolider son socle « nationaliste populiste » en agrégeant les voix d'Eric Zemmour de Nicolas Dupont-Aignan voire de Jean Lassalle.
Mais aussi « développer sa thématique sociale pour susciter de l'adhésion ou de l'abstention chez les électeurs de gauche » et pour mobiliser les catégories populaires ou des jeunes à la lisière du vote, analyse M. Sainte-Marie.
Le sondeur de l'IFOP Jérôme Fourquet évoque aussi un face-à-face entre une « France d'en haut » macroniste et une « France d'en bas » mariniste, même « si c'est un peu plus nuancé que ça ».
Dans les enquêtes, Emmanuel Macron obtient « 18% chez les ouvriers et les employés, ce n'est pas rien mais il fait 35% chez les cadres. Marine Le Pen fait 15% chez les cadres et 35% chez les employés et les ouvriers », souligne-t-il sur France Inter.
« On le retrouve aussi sur le niveau de diplôme. Plus les électeurs sont diplômés, plus la tendance à voter Emmanuel Macron était forte et inversement » pour Marine Le Pen, avec des électeurs aux « métiers plus subis » et « plus exposés au chômage ».
Géographiquement, la carte montre un net renforcement d'Emmanuel Macron dans l'Ouest du pays par rapport à 2017, par exemple en Loire-Atlantique, ancien bastion LR. Tandis que Marine Le Pen consolide encore ses positions dans ses bastions du Nord et Nord-Est.
« Beaux quartiers » et « stations balnéaires »
Une opposition se dessine entre d'une part les grandes agglomérations, très favorables à Emmanuel Macron et à l'insoumis Jean-Luc Mélenchon, et les petites communes.
La candidate du RN termine en tête dans 20 036 communes contre 11 861 pour son rival LREM.
Et « Emmanuel Macron se renforce dans tous les fiefs traditionnels de la droite, les stations balnéaires, Arcachon, La Baule, Royan, avec une très forte progression, les beaux quartiers comme à Neuilly ou des zones frontalières » près de la Suisse et du Luxembourg, souligne Jérôme Fourquet.
Dans les plus grandes villes, la candidate du RN divise son score par deux ou trois par rapport à sa moyenne nationale.
Plutôt que la logique du bloc contre bloc, plusieurs spécialistes soulignent une « tripartition » de la vie politique avec trois candidats dominants au premier tour Emmanuel Macron (27,85%), Marine Le Pen (23,15%) et Jean-Luc Mélenchon (21,95%), écrasant le reste.
Le sociologue Erwan Lecoeur parle sur France info d'un « pôle central gestionnaire » autour d'Emmanuel Macron, d'un « pôle social écologiste dont Jean-Luc Mélenchon est devenu le leader absolu, incontestable et incontesté au soir de ce premier tour » et d'un pôle d'extrême droite avec Marine Le Pen.
Pour le politologue Gaël Brustier, la « tripartition » est la clé de voûte du « nouveau monde politique français », pendant que les vieux partis LR et PS s'effondrent, dit-il sur le site Slate. « Le macronisme est un champ politique autonome qui révèle un processus sociologique déterminant pour nos démocratie: l'autonomisation relative des élites », estime-t-il.