France: Marine Le Pen, l'extrême droite banalisée et plus proche que jamais du sacre

Marine Le Pen, qui a réussi à banaliser l'extrême droite, pourrait devenir la première présidente française le 24 avril (Photo, AFP).
Marine Le Pen, qui a réussi à banaliser l'extrême droite, pourrait devenir la première présidente française le 24 avril (Photo, AFP).
Short Url
Publié le Mercredi 06 avril 2022

France: Marine Le Pen, l'extrême droite banalisée et plus proche que jamais du sacre

  • Une petite victoire familiale pour la fille de Jean-Marie Le Pen, figure pendant des décennies de l'extrême droite française, qui n'avait jamais pu rêver aussi haut
  • Sur les plateaux, la candidate, au caractère ombrageux, ne s'énerve plus des piques des journalistes

PARIS: Elle est à deux doigts de prendre sa revanche, largement battue en 2017 par Emmanuel Macron, qui l'avait écrasée lors d'un débat d'entre deux tours: Marine Le Pen, qui a réussi à banaliser l'extrême droite, pourrait devenir la première présidente française le 24 avril. 

Largement distancée par le président sortant il y a quelques mois dans les sondages, elle a refait tout son retard ou presque dans les derniers jours de la campagne. Une enquête d'opinion la donnait lundi à 48,5% d'intentions de vote au second tour du scrutin, contre 51,5% pour M. Macron.

"La dynamique en faveur de Marine Le Pen n'a jamais été aussi puissante. Un espoir se lève. Ne dispersez pas vos voix", s'est réjoui le président par intérim de son parti, Jordan Bardella.

Une petite victoire familiale pour la fille de Jean-Marie Le Pen, figure pendant des décennies de l'extrême droite française, qui n'avait jamais pu rêver aussi haut. Elle a dû pour cela patiemment déconstruire ce qu'il avait bâti à coup de harangues antisémites ou racistes, parfois condamnées en justice.

"Dédiaboliser" le Front national (FN), jusqu'à en exclure en août 2015 son père, dont les propos clivaient trop pour permettre une victoire nationale. "J'ai adulé cet homme", confie-t-elle. "Je me suis beaucoup battue pour lui mais à un moment donné, cela devait s'arrêter".

Changer l'image du parti à travers une "normalisation", qui passait par un nouveau nom. Le FN, à sinistre réputation, devint "Rassemblement national" (RN) en 2018. Sa formation, qu'elle préside depuis 2011, fait campagne sur son prénom, Marine, préféré à son patronyme, lourdement connoté.

Changements

Sur les plateaux, la candidate, au caractère ombrageux, ne s'énerve plus des piques des journalistes. Elle encaisse poliment. S'habille de couleurs claires. Sourit davantage. Montre son côté femme.

Deux fois divorcée, mère de trois enfants, séparée d'une des figures du mouvement, Marine Le Pen, 53 ans, avocate de formation, insiste sur l'économie, parent pauvre du discours du RN, afin de séduire les "perdants" de la mondialisation, souvent attirés par les sirènes de l'extrême droite.

Pour la présidentielle de 2022, elle fait campagne sur le pouvoir d'achat, préoccupation numéro 1 des Français, alors que la guerre en Ukraine fait s'envoler les prix du carburant et des aliments. Face à un Emmanuel Macron, ancien banquier d'affaires, désigné "président des riches".

Un temps débordée à sa droite par Eric Zemmour, elle laisse passer l'orage et voit l'ex-polémiste, qui veut obliger les parents à donner des "prénoms français" aux nouveaux-nés ou créer un ministère de la Rémigration pour renvoyer les étrangers indésirables, s'effondrer dans les sondages.

Par rapport au "discours radical, voire brutal" choisi par M. Zemmour, "Marine Le Pen a fait le choix inverse de normaliser, d’adoucir, de lisser son discours", observe Cécile Alduy, professeure à l'université de Stanford et chercheuse associée au Cevipof (Science Po).

"Son programme n’a guère changé sur les fondamentaux du FN comme l'immigration et l'identité nationale, mais elle a choisi un autre vocabulaire pour le justifier", poursuit cette spécialiste de l’extrême droite. C'est désormais "au nom de la laïcité et des valeurs républicaines, voire du féminisme, qu'elle attaque l'islam et veut limiter drastiquement l'immigration non-européenne."

«Agressive»

Sur le plan migratoire, son programme s'est même "durci" depuis 2010, pointait lundi une étude de la Fondation Jean-Jaurès.

Marine Le Pen prévoit pour 2022 d'inscrire dans la Constitution la "priorité nationale" qui privera les étrangers de plusieurs prestations. Elle veut aussi, comme Éric Zemmour, expulser les clandestins, criminels et délinquants étrangers, ceux qui sont soupçonnés de radicalisation ainsi que... les étrangers sans emploi depuis plus d'un an, notait-elle.

Le deuxième tour lui est pourtant promis par tous les instituts de sondage... à condition que ses électeurs, prompts à bouder les urnes, contrairement à ceux du président sortant, se rendent à l'isoloir dimanche, jour du premier tour.

Si elle convainc leurs réticences, un nouveau débat lui est promis face à Emmanuel Macron, pour tenter d'effacer celui de l'entre deux tours en 2017, abordé impréparée, qui avait vu le président sortant l'atomiser.

Marine Le Pen, qui reconnaissait fin mars dans le quotidien Le Parisien, une "erreur stratégique", affirme en avoir "tiré les leçons".

"Il y a cinq ans, j'avais en face de moi un jeune homme venu de nulle part. Je me suis dit qu'il fallait que j'explique aux Français quelle allait être sa politique et donc j’ai été agressive", explique-t-elle.

Mais "cette fois-ci, je vais vraiment utiliser mon temps pour montrer aux Français qu’une autre politique est possible. (...) Je pense que je n'ai jamais été aussi près de la victoire qu'aujourd'hui".


Relations UE/Chine: Macron insiste sur la protection des «intérêts stratégiques» de l'Europe

Le président français Emmanuel Macron (CL) serre la main du Premier ministre japonais Fumio Kishida (Photo, AFP).
Le président français Emmanuel Macron (CL) serre la main du Premier ministre japonais Fumio Kishida (Photo, AFP).
Short Url
  • La visite d'Etat de XI Jinping vise à célébrer 60 ans de relations diplomatiques bilatérales
  • Les grandes crises internationales, et notamment la guerre en Ukraine, devraient également être au menu des discussions franco-chinoises

PARIS: L'Europe doit défendre ses "intérêts stratégiques" dans ses relations économiques avec la Chine, a déclaré jeudi le président Emmanuel Macron dans une interview à The Economist, à quelques jours d'une visite d'Etat en France du président chinois XI Jinping.

"Il faut être d'un grand pragmatisme et regarder cette question avec nos intérêts stratégiques", dit le chef d'Etat français, interrogé sur l'ouverture ou non du marché européen à la Chine.

"C'est un de mes objectifs principaux en accueillant le président Xi Jinping, il faut tout faire pour engager la Chine sur les grandes questions mondiales et avoir un échange sur nos relations économiques qui reposent sur la réciprocité", ajoute le président, qui accueillera son homologue chinois les 6 et 7 mai.

Et de citer le cas des voitures électriques chinoises, selon lui "taxées à 10%" sur le marché européen alors que leur production est "massivement aidée" par l'exécutif chinois. A l'inverse, les véhicules électriques européens, pour lesquels "l'Europe a des règles qui limitent les aides" à leurs producteurs, sont "taxés à 15%" sur le marché chinois.

Plan

"Aujourd'hui nous devons avoir sur le plan commercial avec la Chine un comportement respectueux, mais de défense de nos intérêts, de réciprocité et de sécurité nationale", insiste M. Macron, qui dit soutenir les enquêtes ouvertes par la Commission européenne sur le véhicule électrique, le photovoltaïque, l'éolien concernant des subventions chinoises soupçonnées de fausser la concurrence.

"Il ne faut pas oublier les enjeux de sécurité nationale", souligne M. Macron. "Il y a de nombreux secteurs pour lesquels la Chine exige que les producteurs soient chinois, parce qu'ils sont trop sensibles. Eh bien nous Européens, nous devons pouvoir faire la même chose."

La visite d'Etat de XI Jinping vise à célébrer 60 ans de relations diplomatiques bilatérales. Il s'agira du début de sa première tournée européenne depuis la pandémie de Covid-19, qui avait vu le géant asiatique couper longuement nombre d'interactions avec le reste du monde.

Les grandes crises internationales, et notamment la guerre en Ukraine, devraient également être au menu des discussions franco-chinoises.

"Notre intérêt est d'obtenir de la Chine qu'elle pèse pour la stabilité de l'ordre international. Ce n'est pas l'intérêt de la Chine aujourd'hui d'avoir une Russie déstabilisatrice de l'ordre international, d'avoir un Iran qui peut se doter de l'arme nucléaire et d'avoir un Moyen-Orient plongeant dans une forme de chaos. Il faut donc travailler avec la Chine pour construire la paix", affirme M. Macron.


Ukraine: Macron assume à nouveau la possibilité d'envoyer des troupes occidentales au sol

Le président français Emmanuel Macron (Photo, AFP).
Le président français Emmanuel Macron (Photo, AFP).
Short Url
  • Macron a créé la controverse fin février en affirmant que l'envoi de troupes occidentales sur le sol ukrainien ne devait pas «être exclu»
  • Ce débat doit dépasser l'Union européenne, avance encore le président français

PARIS: Emmanuel Macron a détaillé, dans The Economist, son plan pour éviter une mort "brutale" de l'Europe, assumant au passage sa position controversée sur la possibilité d'envoyer des troupes au sol en Ukraine, si Moscou allait "percer les lignes de front".

"Si les Russes devaient aller percer les lignes de front, s'il y avait une demande ukrainienne – ce qui n'est pas le cas aujourd'hui – on devrait légitimement se poser la question", a dit le président français dans un long entretien publié jeudi par l'hebdomadaire britannique.

Le chef de l'Etat français a créé la controverse fin février en affirmant que l'envoi de troupes occidentales sur le sol ukrainien ne devait pas "être exclu" à l'avenir. La plupart des pays européens, ainsi que les Etats-Unis, s'étaient nettement démarqués, même si certains ont depuis fait un pas en sa direction.

Dans The Economist, Emmanuel Macron affirme que la Russie "est rentrée dans une logique de guerre totale". Et il faut l'empêcher de gagner en Ukraine, faute de quoi "nous n'aurons plus de sécurité en Europe".

Plus largement, il inscrit cette question dans la nécessité d'aboutir à une "crédibilité militaire européenne", lors d'un débat qu'il a appelé de ses voeux il y a une semaine à la Sorbonne.

Dans ce discours, à l'approche des élections européennes de juin qui voient son camp largement distancé dans les sondages par l'extrême droite, il avait mis en garde: "l'Europe peut mourir".

Cette "mort" peut être "beaucoup plus brutale qu'on ne l'imagine", insiste-t-il jeudi. Selon lui, "un sursaut est possible" mais doit être "beaucoup plus profond" face à un "triple risque existentiel pour notre Europe": "militaire et de sécurité", "économique" et démocratique.

Sur la défense, les Européens doivent s'asseoir "autour de la table pour bâtir un cadre cohérent", plaide Emmanuel Macron. "L'Otan apporte une de ces réponses et il ne s'agit pas de balayer l'Otan. Mais ce cadre est beaucoup plus large", ajoute-t-il.

«Braqueurs»

Ce débat doit dépasser l'Union européenne, avance encore le président français, qui veut "arrimer la discussion dans le cadre de la Communauté politique européenne", ce nouveau format qu'il a inspiré pour inclure notamment Londres après le Brexit. "Ce serait une erreur d'exclure des pays qui ne sont pas dans l'UE", comme la Norvège, le Royaume-Uni ou les Balkans".

La réflexion doit aussi inclure l'arme nucléaire, dont la France et le Royaume-Uni sont dotés en Europe, réitère-t-il. Il propose que les partenaires européens "prennent en compte" cette "capacité" française, "sans pour autant la mutualiser".

Sur le plan économique, à la veille d'une visite d'Etat en France du président chinois Xi Jinping, lundi et mardi, Emmanuel Macron appelle l'Europe à défendre ses "intérêts stratégiques" et "les enjeux de sécurité nationale" au nom de la "réciprocité" dans ses relations commerciales avec Pékin. "Il y a de nombreux secteurs pour lesquels la Chine exige que les producteurs soient chinois, parce qu'ils sont trop sensibles. Eh bien nous Européens, nous devons pouvoir faire la même chose."

S'agissant de la "vulnérabilité démocratique", le chef de l'Etat, qui a promis de s'impliquer dans la campagne des européennes, lance enfin un avertissement aux électeurs: "la meilleure façon de construire ensemble, c'est d'avoir le moins de nationalistes possible".

"Je dis aux Européens: réveillez-vous!", "tous les nationalistes européens sont des brexiters cachés", ajoute-t-il, visant particulièrement l'extrême droite française.

Après avoir prôné la sortie de l'Europe, le Rassemblement national tire maintenant "les dividendes de l'Europe en voulant la détruire sans rien dire", accuse le président Macron. "C'est comme si on était en train de dire +ce n'est pas grave de confier la banque à des braqueurs+", ajoute-t-il.


Sciences Po: place au débat interne, après la mobilisation de soutien à Gaza

Des manifestants brandissent des pancartes du drapeau palestinien alors qu'ils manifestent près de l'entrée de l'Institut d'études politiques (Sciences Po Paris) occupé par des étudiants, à Paris, le 26 avril 2024 (Photo, AFP).
Des manifestants brandissent des pancartes du drapeau palestinien alors qu'ils manifestent près de l'entrée de l'Institut d'études politiques (Sciences Po Paris) occupé par des étudiants, à Paris, le 26 avril 2024 (Photo, AFP).
Short Url
  • A Saint-Etienne, le blocage d'un des sites de l'université Jean Monnet par une quinzaine d'étudiants réclamant le cessez-le-feu à Gaza a repris jeudi matin
  • Des actions se sont multipliées en France ces derniers jours, principalement sur les sites de Sciences Po en régions, mais aussi dans quelques universités

PARIS: Sciences Po Paris a accueilli jeudi un débat interne sur le Proche-Orient, qualifié de "dur" et de riche en "émotion" par la direction, au moment où le gouvernement redouble de vigilance face à la multiplication d'actions en soutien à Gaza sur les campus français.

"Ça a été un débat dur, avec des prises de position assez claires, beaucoup d'émotion et donc j'aspire maintenant à ce que chacun retrouve le calme" avant les examens prévus lundi, a indiqué Jean Bassères, l'administrateur provisoire de la prestigieuse école parisienne.

Il a admis rester "extrêmement prudent sur la suite des événements", alors que la mobilisation se diffuse en France, en écho à la mobilisation croissante des campus aux Etats-Unis, marquée par le déploiement de la police sur plusieurs sites.

Le débat à peine fini, les organisations étudiantes mobilisées - Union étudiante et Solidaires - ont appelé à sit-in jeudi après-midi dans le hall d'entrée de Sciences Po.

L'administrateur provisoire a reconnu avoir "pris des positions assez fermes sur certains sujets", en refusant "très clairement la création d'un groupe de travail qui était proposé par certains étudiants pour investiguer nos relations avec les universités israéliennes".

"Après un début où les débats étaient apaisés, la tension est montée à la fin", a témoigné auprès de l'AFP Hugo, 22 ans, étudiant en master à Sciences Po, pour qui "la principale information est le refus du directeur de créer un groupe de travail pour réévaluer les partenariats de Sciences Po".

«Maintien de l'ordre»

"Il y avait des demandes claires et il n’y a pas eu de réponse claire", a regretté une étudiante en master d'urbanisme, qui a refusé de donner son nom, fustigeant "une mollesse de l'administration".

Après une mobilisation émaillée de tensions vendredi dernier, le mouvement avait été suspendu à Sciences Po Paris: la direction avait accepté d'organiser un débat interne "ouvert à toutes les communautés de Sciences Po", qualifié de "townhall", terme utilisé aux Etats-Unis pour une grande réunion publique.

Sur la demande des étudiants d'interroger les "partenariats de l’école avec les universités et organisations soutenant l’Etat d’Israël", la ministre de l'Enseignement supérieur Sylvie Retailleau avait répété jeudi matin qu'il était "hors de question que les universités prennent une position institutionnelle en faveur de telle ou telle revendication dans le conflit en cours au Proche-Orient".

La ministre a demandé aux présidents d'université de veiller au "maintien de l'ordre" public, en utilisant "l'étendue la plus complète des pouvoirs" dont ils disposent, notamment en matière de sanctions disciplinaires en cas de troubles ou de recours aux forces de l'ordre, lors d'une intervention en visioconférence au conseil d'administration de France Universités.

A l'issue de cet échange, France Universités, qui fédère 116 membres, dont 74 universités, a "salué la détermination de la ministre à porter une voie équilibrée et ferme pour un retour au calme".

Actions à Lille et Saint-Etienne 

Des actions se sont multipliées en France ces derniers jours, principalement sur les sites de Sciences Po en régions, mais aussi dans quelques universités. Le tout dans un contexte politique électrique, en pleine campagne des européennes, La France Insoumise étant notamment accusée par la droite d'"instrumentalisation" du mouvement.

Jeudi matin à Lille, l'institut d'études politiques est resté fermé et les accès à l'école supérieure de journalisme (ESJ) étaient bloqués et les cours annulés.

A Saint-Etienne, le blocage d'un des sites de l'université Jean Monnet par une quinzaine d'étudiants réclamant le cessez-le-feu à Gaza a repris jeudi matin, a constaté l'AFP. Ils n'ont pas trouvé d'accord avec la présidence de l'université pour l'organisation d'une conférence sur la situation à Gaza, selon un représentant étudiant.

La police était intervenue mardi sur ce site stéphanois pour déloger des militants pro-Palestiniens. La police est aussi intervenue lundi pour évacuer des manifestants de la Sorbonne après avoir déjà mis fin à une occupation nocturne d'un site de Sciences Po Paris la semaine dernière, les deux fois à la demande du Premier ministre Gabriel Attal.

Selon l'organisation étudiante Le Poing Levé, le campus Jourdan de l'Ecole normale supérieure (ENS) à Paris était bloqué jeudi, des étudiants appelant à un rassemblement sur le site à 15H00.