PARIS: L'écrivain ukrainien Andreï Kourkov voit l'humour comme une arme face à un "tsar" qu'il trouve "très vieux", le président Vladimir Poutine, égratignant au passage une certaine littérature française trop déprimée à son goût.
Le romancier, qui a publié en français "Les Abeilles grises" en février, était de passage à Paris mercredi soir pour une conférence au Centre culturel de l'ambassade d'Ukraine, avant de repartir vendredi dans le pays où il vit et a assisté il y a plus de 30 jours aux premiers bombardements dans la capitale.
Comme dans ses livres, où l'absurde et le comique côtoient le tragique, il a fait rire un auditoire majoritairement fait de compatriotes... dans un français très fluide.
"J'étais à Londres, j'étais ce matin encore à Oslo, là je suis à Paris. Et partout je me sens chez moi... parce que partout il y a des drapeaux ukrainiens !", a-t-il relevé.
Ce francophile trouve quelques torts à la littérature française. "Je pense que la littérature passe de l'énergie: la littérature de happy end, d'espoir. C'est peut-être banal mais elle aide les gens à rester optimistes. La littérature comme Céline... Houellebecq... j'aime ces livres aussi, mais il y a des lectures qui détestent la vie", a-t-il considéré.
"Les Abeilles grises", paru en russe en 2018, raconte le conflit dans l'est de l'Ukraine du point de vue d'un retraité des mines du Donbass reconverti en apiculteur, qui tente d'offrir des "vacances" à ses insectes en les emmenant en Crimée.
Face à l'intérêt suscité en raison de l'actualité, l'éditeur français a triplé un premier tirage de 6 000 exemplaires, et également réimprimé le roman le plus connu de l'auteur, "Le Pingouin".
Poutine «très vieux»
"Je fais ce que je peux faire. J'écris sur la guerre, j'explique les raisons derrière la guerre. J'essaie de comprendre la mentalité de Poutine, qui est très fragile, très vieux, qui se cache, qui ne veut pas parler aux gens, et dont l'entourage est devenu trop petit", a expliqué le romancier de 60 ans.
Mais au moment de finir ce roman qui raconte le conflit mené par les séparatistes russes, "je ne pensais pas qu'on pouvait lancer une guerre totale du style de la Deuxième guerre mondiale, en Europe, au XXIe siècle", a-t-il admis.
Celui qui se définit comme "écrivain russophone ukrainien" et "Russe ethnique né à Léningrad" parie aujourd'hui sur un conflit long.
"Ça va durer peut-être jusqu'à la mort de Poutine. Peut-être jusqu'à la mort de Poutine numéro 2, parce que 80% des Russes soutiennent Poutine", a-t-il souligné.
"Ils sont habitués à avoir un tsar qui reste tsar jusqu'à sa mort. Parfois quand ils ne sont pas très contents avec le tsar ils le tuent, et adorent le suivant. C'est une grande différence dans les mentalités, parce que les Ukrainiens n'acceptent pas le tsar", a-t-il poursuivi.
Selon lui, ses compatriotes ne capituleront jamais. "Pour les Ukrainiens, la liberté est plus importante que l'argent, que la qualité de la vie, que la stabilité. Et pour les Russes la stabilité est plus importante".
Andreï Kourkov a prévenu qu'il rentrait en Ukraine dès vendredi. "Je pense que les écrivains doivent rester dans le pays où ils écrivent. Parce que si un écrivain devient un exilé, il ne perd pas seulement le contact avec les gens de ce pays. Il perd les sujets, les histoires, et il ne sera jamais capable de comprendre les gens d'un pays nouveau: il écrira sur l'exil et la vie des exilés".