ALGER: Effluves de chorba, soirées qui s'étirent, tables fastueuses et musique chaâbi: le charme du mois du ramadan réside dans cette atmosphère spéciale que l’on retrouve exclusivement dans les pays musulmans.
Souvent attendu avec impatience, ce mois revêt également, en Algérie, une tout autre signification, culturelle, qui ne s’explique pas, mais se vit.
Lors du mois sacré, la communauté musulmane à travers le monde marie foi et traditions en observant un mois de jeûne et de prière. Le ramadan est par ailleurs l’occasion de se retrouver, de partager des soirées en famille qui se prolongent généralement jusqu’à l’aurore.
Durant trente jours, on observe un phénomène particulièrement fascinant: tout un peuple bouscule ses habitudes et, à la manière des chauves-souris, se met à vivre la nuit.
À Alger, à quelques minutes de l’appel à la prière du Maghreb, qui annonce la rupture du jeûne, les rues sont désertées: dehors, il n’y a pas âme qui vive. Tout se déroule à l’intérieur des foyers.
Toutes les générations se rassemblent autour de la table du ftour et partagent au fil des veillées du ramadan des moments privilégiés de convivialité et de proximité rare – des instants qui leur ont fait tant défaut le reste de l’année.
Pour les mères de famille comme pour beaucoup de jeunes filles algériennes – qui se voient assignées par devoir et habitude la corvée de la cuisine –, ce mois permet de retrouver l’art de la gastronomie. En effet, la compétition entre amies, sœurs et voisines fait rage pendant tout le mois... À qui reviendra la palme de la recette du kalb el louze la mieux exécutée?
Avant l’heure fatidique de l’appel à la prière, il est quasiment établi dans beaucoup de foyers algériens que les premiers à s’installer à table sont les «dormeurs».
Ces personnes, souvent jeunes, présentent la particularité de sommeiller toute la journée pour se réveiller à quelques minutes du coucher de soleil, les yeux à peine entrouverts. Mais leur estomac, lui, est bien réveillé.
Il y a aussi ces jeûneurs nerveux. Ces derniers, cruellement en manque de nicotine et les nerfs à fleur de peau, se contentent d’un verre de café avant de s’empresser d’allumer une cigarette.
L’autre profil – le plus courant, en réalité – est ce jeûneur pratiquant qui fait de l’observation des règles édictées par la religion musulmane son véritable credo. Il respecte en tous points aux préceptes et s’efforce de suivre l’exemple du Prophète aussi bien dans son attitude vis-à-vis des autres qu’en ce qui concerne sa spiritualité et sa relation à Allah.
À l’issue de ces repas gargantuesques et après qu’une lutte s’engage entre frères et sœurs pour savoir qui s’appropriera la dernière bouraka, chacun s’apprête à passer sa soirée au gré de ses envies, de ses convictions, de ses passe-temps, de ses habitudes, de ses devoirs familiaux ou professionnels…
Des milliers de croyants rejoignent les mosquées pour accomplir la prière des tarawih. Cette dernière n’est pas obligatoire, mais la majorité des croyants l’accomplissent après la dernière prière de Salat Icha, au cours de laquelle le prieur assidu se fixe pour objectif de suivre pendant trente nuits la lecture de l’intégralité du Livre saint.
Certains, notamment les mères de famille et les jeunes, se rendent aux nombreux spectacles, aux concerts et aux autres activités culturelles que les autorités programment spécialement pour ce mois. Par exemple, des représentations du groupe algérien El Dey, connu et reconnu en Algérie et ailleurs pour leur style musical inédit, qui fusionne le chaâbi à la musique diwane, sont prévues. Ou encore la visite de musées, qui reçoivent également des invités musicaux tout au long de ce mois.
D'autres préféreront se regrouper pour veiller dans les cafés, dans d’autres lieux de divertissement ou dans des espaces publics. Durant le ramadan, les villes algériennes connaissent une vie nocturne très animée.
Il ne faut pas oublier pas les hittistes, (ce mot est issu de l’arabe hit, qui signifie «mur» en français). Le hittisme est une activité propre aux jeunes hommes algériens: ils passent l'essentiel de leurs journées, faute d'occupation et de travail, appuyés aux murs à partager leurs opinions sur les sujets les plus divers. Ces personnages incontournables de la société algérienne retournent s’adosser aux murs du voisinage «histoire d’attendre que le temps passe».
Beaucoup d’autres personnes, particulièrement les femmes, optent pour les rencontres familiales et amicales à la maison autour d’un bon thé à la menthe et d’une table garnie de délices sucrés.
Si certains appréhendent l’arrivée du ramadan tant les contraintes du jeûne paraissent insurmontables, il n’en demeure pas moins que cette période reste bénie de tous et qu’elle apporte à chacun l’apaisement, la félicité, la santé et, plus encore, le ressourcement nécessaire pour vivre le reste de l’année avec la détermination et l’espoir que la vie requiert.