L’Ukraine constitue un tournant pour les entreprises mondiales

La crise en Ukraine est avant tout une tragédie humaine (Photo, AN).
La crise en Ukraine est avant tout une tragédie humaine (Photo, AN).
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Publié le Mercredi 30 mars 2022

L’Ukraine constitue un tournant pour les entreprises mondiales

L’Ukraine constitue un tournant pour les entreprises mondiales
  • Sur le plan géopolitique, la situation semble s'apparenter à la pire crise en Europe depuis 1945
  • De nombreux dirigeants affirment que l’invasion russe devrait pousser à des mesures plus importantes au niveau environnemental, social et de gouvernance

La crise en Ukraine est avant tout une tragédie humaine. Selon les estimations, plus de 3,5 millions de réfugiés auraient déjà été contraints de fuir le pays, soit environ 10% de la population.
Sur le plan géopolitique, la situation devient rapidement la pire crise en Europe depuis 1945, avec la possibilité que les hostilités aillent au-delà de la frontière ukrainienne. La possibilité que la Russie utilise des armes nucléaires tactiques, qui pourraient tuer des millions de personnes, suscite de vives inquiétudes.
Pour les entreprises, le mois qui s’est écoulé depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie est une période vertigineuse au cours de laquelle on assiste à ce que Jeffrey Sonnenfeld, professeur à Yale, qualifie de démantèlement de la «diplomatie capitaliste», avec une rupture des relations commerciales à une échelle considérée comme inimaginable.
Vladislav Zubok, enseignant à la London School of Economics, déclare que le retrait des entreprises de Russie pourrait bien marquer la fin d’une ère dont il avait connu les prémices. En effet, en se rendant au travail chaque jour peu après l’effondrement du communisme soviétique, il passait à côté du premier restaurant McDonald’s qui devait ouvrir ses portes à Moscou.
Les gouvernements du monde entier ont pris des mesures coordonnées en réponse à la situation en Ukraine, utilisant des sanctions pour cibler des entités russes spécifiques comme le système bancaire du pays, les entreprises contrôlées par l’État et les puissants oligarques. En vertu de ces mandats légaux et de restrictions auto-imposées plus larges, plusieurs centaines d’entreprises ont mis fin à leurs relations commerciales avec la Russie, rompant ainsi les chaînes d'approvisionnement.
Pourtant, malgré les actions généralisées prises contre Moscou, qui a déclaré que ces dernières ressemblaient plutôt à une déclaration de guerre, des appels sont lancés aux entreprises pour qu’elles mettent en place plus de sanctions. Natalie Jaresko, une ancienne ministre ukrainienne des Finances est, entre autres, à l’origine de ces appels. Elle affirme que l’invasion russe devrait pousser à des mesures plus importantes au niveau environnemental, social et de gouvernance.
Elle a même suggéré que la crise en Ukraine pourrait provoquer «l’équivalent au XXIe siècle du mouvement antiapartheid de la fin du XXe siècle, au cours duquel les entreprises de nombreux secteurs et sociétés se sont regroupées pour lutter contre le racisme systémique et systématique du régime des nationalistes blancs sud-africains. Le moyen le plus rapide de mettre fin à la guerre est de cesser de faire du commerce avec la Russie, de céder les actifs russes et de refuser de financer le régime de Poutine».
Si nous prenons du recul par rapport à la situation immédiate en Ukraine, la crise apparaît comme l’incident le plus récent qui met en lumière le potentiel croissant des entreprises à intervenir au niveau des relations étrangères entre les États dans les domaines politique, des droits de l’homme, technologique et/ou juridique.
De nombreux autres défis ont vu le jour ces dernières années dans ce qui est parfois un territoire inexploré. Des entreprises individuelles, et parfois des industries entières, se sont retrouvées sous le feu des projecteurs politiques et des parties prenantes dans divers régimes politiques à travers le monde.


«Le degré d’instabilité qui accompagne le niveau élevé d’interdépendance internationale des dernières décennies pourrait désormais signifier que les crises sont récurrentes et deviennent ainsi la règle plutôt que l’exception.»
Andrew Hammond


Bien qu’il ne s'agisse en aucun cas d’un phénomène entièrement nouveau au XXIe  siècle, il semble néanmoins augmenter en termes de fréquence et d’importance, renforcé par la mondialisation au sein du monde volatil, incertain, complexe et ambigu dans lequel nous vivons. Au cours des quinze dernières années, nous avons assisté à une succession de crises internationales de premier ordre, dont la crise financière de 2007-2008 et la pandémie de Covid-19.
Le degré d’instabilité qui accompagne le niveau élevé d’interdépendance internationale des dernières décennies pourrait désormais signifier que les crises sont récurrentes et deviennent ainsi la règle plutôt que l’exception.
Au-delà du respect de la loi et d’autres mandats gouvernementaux, les entreprises sont guidées dans ce paysage instable, incertain, complexe et ambigu par des codes de conduite internationaux, y compris les principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme. Cependant, certaines entreprises ont reconnu la nécessité d’aller encore plus loin, en adoptant par exemple ce qu’on appelle la politique étrangère des entreprises.
La politique étrangère des entreprises comprend une gamme d’activités – y compris les affaires publiques, la gestion des risques, les questions environnementales, sociales et de gouvernance, ainsi que la planification opérationnelle – dans un cadre stratégique clair. En reconnaissant la nécessité d’un mélange inhabituel de compétences de base dans certaines fonctions d’entreprise internationales, les capacités, y compris les mécaniques, la formation et les infrastructures, peuvent être améliorées là où des lacunes existent.
Les cadres environnementaux, sociaux et de gouvernance sont souvent un domaine de capacité qui doit être renforcé dans les entreprises. Cela inclut la nécessité d’orientations internes plus claires pour favoriser la prise de décision, protéger les parties prenantes, y compris les employés et les clients, et rester fidèle aux valeurs de l’entreprise dans des situations de crise rapides et imprévisibles comme celles résultant de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Un domaine d’activité connexe est l’analyse prospective et la planification de scénarios qui permettent aux entreprises de mieux anticiper et planifier les possibilités et les risques sociaux, économiques et politiques, en plus d’intégrer la résilience dans toutes les structures organisationnelles.
La mondialisation au cours des dernières décennies signifie que peu d’entreprises internationales échapperont complètement à ces pressions. Au même moment, en raison de la prolifération des médias et de l’influence des organisations non gouvernementales et des parties prenantes associées, les actions des entreprises sont de plus en plus passées au crible.
Pour les entreprises qui sont proactives et investissent dans leurs capacités, les récompenses – à la fois en termes d’atténuer les risques et de saisir les possibilités offertes – sont potentiellement de plus en plus importantes.
Pourtant, pour celles qui sont perçues comme faisant de faux pas, les répercussions peuvent être préjudiciables, à la fois pour la réputation et les résultats financiers.


Andrew Hammond est un associé à la London School of Economics.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com