PARIS : Bernard Tapie à nouveau devant la justice: quinze mois après sa relaxe, l'homme d'affaires est rejugé à Paris à partir de lundi avec cinq co-prévenus dans l'affaire de l'arbitrage lui ayant accordé 403 millions d'euros en 2008 et qui a été annulé au civil pour « fraude ».
Bien que très affaibli par un double cancer de l'estomac et de l'œsophage, M. Tapie, 77 ans, veut « participer pleinement au procès » en appel et sera « présent » à son ouverture, lundi à 13H30, indique son avocat Hervé Temime.
Le 9 juillet 2019, le tribunal correctionnel de Paris avait prononcé une relaxe générale en faveur du patron du groupe de médias La Provence, du PDG d'Orange Stéphane Richard et de quatre autres prévenus poursuivis pour « escroquerie » ou complicité de ce délit.
Pour les juges, « aucun élément du dossier » ne permettait d'affirmer que l'arbitrage, censé solder un vieux litige entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais et qui a été définitivement jugé irrégulier par la justice civile, ait fait l'objet de « manoeuvres frauduleuses ».
Le parquet de Paris, qui estime que l'arbitrage était « truqué » et qui avait requis des peines d'emprisonnement contre cinq des six prévenus, dont cinq ans ferme contre Bernard Tapie pour « escroquerie » et « détournement de fonds publics », avait fait appel.
La cour d'appel doit se replonger pendant cinq semaines dans cette affaire feuilletonnesque, qui trouve son origine dans la revente de l'équipementier sportif allemand Adidas au début des années 90.
La première après-midi d'audience devrait être entièrement consacrée à d'âpres batailles de procédure entre la défense et le parquet général. Les avocats des prévenus questionnent notamment la régularité de l'appel formé par le parquet.
Sur ces questions soulevées par la défense, la cour peut rendre sa décision immédiatement ou décider de se prononcer au moment du délibéré.
Restituer des millions perçus
Cinq personnes sont rejugées aux côtés de Bernard Tapie, douze ans après l'arbitrage -un mode de règlement privé- qui lui avait octroyé 403 millions d'euros, dont 45 millions au seul titre de son préjudice moral, en réparation de la « faute » du Crédit Lyonnais lors de la revente d'Adidas.
L'ancien avocat de M. Tapie Maurice Lantourne et l'un des trois juges-arbitres Pierre Estoup sont également poursuivis pour « escroquerie », soupçonnés d'avoir « truqué » la sentence arbitrale en faveur de l'ancien patron de l'Olympique de Marseille.
Stéphane Richard, directeur de cabinet de l'ex-ministre de l'Economie Christine Lagarde à l'époque des faits, et les deux ex-dirigeants des entités chargées de gérer le passif du Crédit Lyonnais, Jean-François Rocchi et Bernard Scemama, sont eux rejugés pour « complicité ».
Il est reproché à Bernard Tapie d'avoir activé ses soutiens à l'Elysée pour que le pouvoir sarkozyste choisisse la voie arbitrale au lieu d'une résolution judiciaire classique.
Puis de s'être assuré de la « partialité » du haut magistrat Pierre Estoup, principal rédacteur de la sentence arbitrale. Une fois la sentence rendue, l'ancien ministre de Pierre Bérégovoy aurait tout fait pour que Bercy n'engage pas de recours.
Cette absence de recours a valu à Christine Lagarde, fin 2016, d'être reconnue coupable de « négligence » par la Cour de justice de la République, qui l'a toutefois dispensée de peine. Elle est à l'heure actuelle la seule personne condamnée dans ce dossier.
Les audiences, prévues à raison de trois demi-journées par semaine jusqu'au 18 novembre, devraient se tenir une nouvelle fois sans Pierre Estoup, 94 ans, absent de la quasi totalité du premier procès pour raisons médicales.
L'Etat et le Consortium de réalisation (CDR), l'organisme chargé de gérer le passif du Crédit Lyonnais, sont parties civiles.
Dans cette affaire, la justice civile a annulé l'arbitrage pour « fraude » et condamné Bernard Tapie à restituer les millions perçus. Ces deux décisions étaient définitives avant l'ouverture du premier procès pénal.
Le montant exact de la dette de Bernard Tapie est toujours l'objet d'âpres joutes procédurales. La cour d'appel de Paris a estimé en février qu'elle s'élevait à 438 millions d'euros, mais l'homme d'affaires s'est pourvu en cassation.
Dernier rebondissement: les sociétés de M. Tapie, en faillite personnelle depuis décembre 1994, ont été placées le 30 avril en liquidation judiciaire, ouvrant la voie à la vente de ses biens afin qu'il puisse rembourser. Une décision dont il a fait appel.