BEYROUTH: Taxi 404 est un groupe de jeunes auteurs, compositeurs et interprètes libanais qui ont choisi le français pour véhiculer leur art et leur message. Arab News en français les a rencontrés à Beyrouth, la veille de la sortie publique de leur nouvel album « Amoureux », le 18 mars.
Mar-Mikhaël, quartier des artistes et des créatifs de la ville, rasé par la double explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, ne porte presque plus de traces de la tragédie advenue. Seulement un peu plus mélancolique, il ouvre ses cafés comme des refuges à une nouvelle bohème qui vient y chercher l’inspiration, « les poings dans les poches crevées ».
« Crise existentielle »
C’est au « Slow », le bien nommé, entre bois blond et plantes vertes, que nous retrouvons Aminn, Andy et Hanna. Aminn raconte que le double « n » de son prénom est un hommage à son grand-père, qui s’appelle, lui, Amin, et qui a demandé à la famille de laisser ce petit-fils doué suivre sa passion et faire carrière dans la musique. Aminn est poète. Il écrit des textes qu’il déclame en slam, de temps en temps, lors d’événements « Open Mic ». Andy raconte qu’ils se sont connus à Abidjan, Aminn et lui, sur les bancs du lycée. Tous deux font partie de la troisième génération d’émigrés libanais en Côte d’Ivoire.
La mère d’Andy est prof de philo. A 12 ou 13 ans, prenant au hasard un livre de Descartes « pour s’endormir », il en attrape une crise existentielle et perd le sommeil pour longtemps. Aminn dit d’Andy que « c’est un génie des instruments » capable de tirer de la musique de tout ce qui lui tombe sous la main, sans même apprendre.
« Se défaire de tout cadre et juste faire »
Ensemble, en 2015, ils reviennent au Liban -qu’ils n’ont jamais vraiment quitté- pour leurs études universitaires. Aminn s’inscrit en cinéma et Andy en pub. Et toujours ensemble, ils créent à Abidjan une agence de pub qu’ils décident un jour de revendre pour lancer leur premier EP. « On croyait que le fait de créer, quel que soit le résultat, nous rapporterait quelque chose » confient-ils. La langue française est leur outil de prédilection ; « Faire » est leur devise. Ou plutôt, comme le martèle Andy : « Se défaire de tout cadre et juste faire ». « Ne pas entrer dans les codes, c’est un code en soi. Avoir des vertus est la nouvelle rébellion. Nous n’avons pas de tatouages, au propre comme au figuré », explique le musicien.
Hanna est enseignant en littérature anglaise. Quand il entend Aminn déclamer ses poèmes, il est fasciné. Lui qui joue de la batterie depuis l’âge de cinq ans, depuis qu’un oncle batteur lui a passé sa passion, se joint à l’aventure presque les yeux fermés. « C’est le batteur le plus complet », disent de lui ses partenaires : « impro, jazz, performance sur scène, tout lui vient avec fluidité».
EN BREF
- Aminn (basse), Andy (guitare/chant), Hanna (batteur). Formé en 2017, Taxi 404 est géré à son lancement par Tia Murr.
- Taxi 404 est présenté par Scene Noise comme l'un des 100 meilleurs albums du Moyen-Orient en 2020
- Leur label est WHITEKID records @whitekidrec
- Ils sont distribués par @warnermusicme & @believearabia
- Ils ont deux albums : Vortex 404 (4 chansons) et Deux (4 chansons) ainsi qu’un single sorti le 27 janvier 2022 intitulé Je Cours.
- Ils ont fait partie de la programmation de l’édition « Shine On Lebanon » du Festival de Baalbeck
- Inspirations : The Strokes, Serge Gainsbourg, Chet Baker, Chopin, Kendrick Lamar, Philippe Katerine, Parcels, Britney Spears
- Collaboration de rêve : Julian Casablancas (chanteur principal de The Strokes)
«Sans itinéraire fixe»
Le groupe est formé, reste à lui trouver un nom. « Taxi » enchante tout le monde : Un taxi va partout, ne s’arrête pas, écoute les histoires des gens, raconte les siennes, nomade, itinérant et, comme eux, sans itinéraire fixe. « 404 » pourrait faire penser aux vieilles Peugeot qui survivent encore en Afrique. Mais c’est plutôt une évocation du message d’erreur qui apparaît sur votre écran quand vous cherchez un site inconnu des moteurs de recherche. Un code d’alerte qui leur ressemble, eux dont l’ambition est de rester sous le radar pour mieux cultiver leur singularité.
Le premier grand moment de scène de Taxi 404 leur est offert au Liban par Maria Antoun, de Sofar sounds, une start-up d'événements musicaux, qui crée de petites performances dans des endroits uniques, dans plus de 400 villes à travers le monde. Elle assiste à une performance d’Aminn et lui propose de participer à un concert, cinq jours plus tard, avec quatre chansons originales. Aminn fait appel à Andy et Hanna « comme une évidence » et le groupe accepte le challenge. « Nous avons vécu à trois l’expérience de créer quatre chansons en une semaine, dans une symbiose étonnante », affirme Hanna. « Nous avons été pitoyables, mais les gens ont aimé et nous ont encouragés », commente Aminn qui ajoute « le public libanais est bienveillant ».
Dès lors, Taxi 404 se lance dans un parcours professionnel et enchaîne les compositions. Aminn et Andy travaillent les textes au corps, les écoutent résonner, les assouplissent, les musclent, les dégraissent, les font chanter. Le français est leur marque de fabrique dans un contexte culturel où l’anglais a tendance à dominer la scène. « Le français est tellement précis qu’il permet de dire exactement ce qu’on sent » affirme Andy. « Il y a même un mot pour dire l’odeur de la terre après la pluie : pétrichor » enchérit Aminn. Le Festival de Baalbeck les inclut dans sa programmation post-explosion «Shine On Lebanon».
Il pleut sur Beyrouth et ils chantent « pour toi l’averse est illusoire ». La voix grave d’Aminn se superpose à la voix mélodieuse d’Andy : «J’ai jamais su me réparer moi/ Avant que tu ne brilles dans mes yeux ». Le morceau s’appelle « Amoureux ». Il est sorti sur YouTube le 18 mars. « Notre génération n’a rien », commentent-ils. « Il ne nous reste que l’amour ».