PARIS: Deux génies des arts graphiques, le Belge torturé et solitaire Léon Spilliaert et le dandy britannique Aubrey Beardsley se partagent les cimaises du Musée d'Orsay à l'occasion de sa rentrée d'automne : deux artistes d'avant et d'après 1900 peu connus mais de grande virtuosité.
Explorateur de l’inconscient et des angoisses existentielles, Léon Spilliaert (1881-1946) est présenté dans ses plus intenses années de création, entre 1900 et 1919.
L’exposition « Lumière et solitude » fait découvrir un artiste qui dessine et peint à l'encre, principalement sur papier, des figures fantomatiques, désincarnées, et des visages-masques aux yeux hallucinés qui évoquent l’univers d’Edvard Munch.
De la Buveuse d'absinthe à l'Autoportrait au miroir, de la Digue de nuit à Vertige, ses thèmes disent l'angoisse nocturne du marcheur solitaire victime d'insomnies que lui causaient ses ulcères à l'estomac.
Mélangeant crayons, fusain, pastel, craie de couleur, aquarelle, maniant avec un talent particulier l’encre de Chine, il explore la mélancolie infinie de sa ville, Ostende, assiégée par l'immense mer aux couleurs de plomb, dont il rend la puissance envoûtante.
Ami de Stefan Zweig, inspiré par la littérature de ses contemporains Emile Verhaeren et Maurice Maeterlinck, ce peintre-dessinateur est « atypique, au creuset de beaucoup de mouvements : le symbolisme, les Nabis, l’expressionnisme, et même, dans certains paysages, ce qui deviendra l’abstraction géométrique », note Leïla Jarbouai, conservatrice des arts graphiques.
Plus tard, après son mariage, « son œuvre sera moins torturée et perdra l'intensité » qui en faisait l'envoûtement, relève la commissaire.
L'autre exposition, en partenariat avec la Tate, est une rétrospective consacrée à Aubrey Beardsley (1872-1898), dessinateur virtuose britannique qui se savait condamné par la tuberculose (elle l'emportera à l'âge de 25 ans) et sera un phénomène provocateur dans le milieu artistique londonien. Certains parleront des années 1890 comme d'une « Beardsley period ».
« Il avait construit son image de dandy décadent, était très connecté à la presse et dessinait pour être diffusé dans les revues », raconte Elise Debreuil, conservatrice des arts décoratifs au musée.
Ses dessins en noir et blanc, à la ligne précise et nerveuse, à la limite de la caricature, mettent en scène un univers anticonformiste. Il y a dans son œuvre l'influence du japonisme, de l’art nouveau, du symbolisme.
La série Lysistrata, avec ses évocations de bacchanales, d’après la comédie paillarde d’Aristophane, met en scène la révolte des femmes et l’inversion des genres.
--Beardsley, jusqu'au 10 janvier
--Spilliaert, Lumière et solitude, jusqu'au 10 janvier