TUNIS : À quelques jours de sa clôture, la consultation populaire en ligne présentée par le président Kais Saied comme une étape clef de son plan pour redresser le pays, laisse toujours indifférents des Tunisiens plus préoccupés par la dégradation de leur situation économique.
Lancé le 15 janvier pour recueillir des propositions en vue d'un référendum constitutionnel prévu cet été, ce vaste sondage s'achève dimanche.
L'affluence sur le portail électronique dédié, www.e-istichara, reste faible avec quelque 412 000 participants, soit 6% du corps électoral (7,07 millions), selon les statistiques officielles.
Ces derniers jours, les partisans du président Saied, qui s'est accaparé les pleins pouvoirs fin juillet, faisant vaciller la démocratie balbutiante dans le berceau du Printemps arabe, ont installé des stands dans les rues pour inciter la population à accomplir son "devoir national".
"C'est l'occasion pour chaque Tunisien d'être un acteur et un décideur de l'avenir" du pays, assure à l'AFP, Ilyès Hamdi, 35 ans, un bénévole rencontré sur l'avenue Bourguiba, au centre-ville.
"C'est bien de chercher à connaître l'avis des gens pour mettre en place les réformes nécessaires", abonde Sarra, une fonctionnaire de 32 ans qui fait partie des rares participants que l'AFP a pu rencontrer.
La consultation est un questionnaire abordant la politique, l'économie, les problèmes sociaux, la transition numérique, la santé, la qualité de la vie, l'éducation et la culture.
«Obstacles»
M. Saied impute la modeste participation à des "obstacles techniques" et à "des tentatives de l'ancien système de faire avorter cette expérience", en allusion à ses détracteurs comme le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, sa bête noire.
Pour encourager la participation, il a enjoint la semaine dernière la Première ministre, Najla Bouden, de rendre l'accès à internet gratuit du 10 au 20 mars, date de la fin de l'opération.
"Le peuple meurt de faim et leur principal souci c'est la consultation", a commenté un internaute.
Le président "veut instrumentaliser le peuple pour réaliser ses objectifs", s'emporte Safia, gérante d'une boutique.
Son collègue Hassen renchérit: "Les gens s'enfoncent dans la pauvreté et le désespoir et lui nous parle du régime politique! Nous sommes vraiment fatigués!"
Les réponses à cette consultation serviront de base, selon le président, à une commission d'experts chargée d'élaborer des réformes politiques. Ces dernières seront soumises en juillet à un référendum sur une nouvelle Constitution, que M. Saied veut rendre plus "présidentielle".
De nombreux Tunisiens ont affirmé tout ignorer de cette consultation malgré une campagne de sensibilisation à la télévision nationale. "Ils auraient dû nous chercher sur Instagram, Facebook, Twitter", estime Wajdi, un étudiant.
"Il est clair qu'il y a un manque d'intérêt pour cette consultation", confirme le politologue Hamza Meddeb.
"Le timing n'était pas bien étudié", explique-t-il, convaincu que la consultation aurait enregistré une participation importante si elle avait été lancée juste après le coup de force de M. Saied le 25 juillet, applaudi à l'époque par de nombreux Tunisiens. Sept mois après, "beaucoup de problèmes ont émergé, démotivant les gens", dit-il.
«Grande arnaque»
Le soutien manifesté le 25 juillet "était un rejet de ce qui se passait avant (un Parlement paralysé, des gouvernements instables, NDLR), avec l'espoir de voir des changements. Mais le président a montré qu'il n'avait pas de projet ni de programme d'amélioration du quotidien des Tunisiens", estime M. Meddeb.
La population est désormais obnubilée par les problèmes économiques: la hausse des prix, le manque de moyens d'un Etat surendetté, et depuis un mois, des pénuries sporadiques d'aliments de base.
"Kais Saied n'incarne plus le changement, il est occupé à ouvrir des fronts: contre Ennahdha, la magistrature, etc.", souligne M. Meddeb.
Ennahdha et diverses formations politiques ont appelé à boycotter la consultation. De surcroît, la société civile, forte de dizaines de milliers d'associations, n'a pas accompagné le mouvement.
Le président "avance seul, trace sa route seul et décide de l'avenir du pays seul", estime M. Meddeb, prévoyant un échec du processus.
M. Saied "utilise les ressources de l'Etat pour réaliser un projet politique personnel! Nous ne sommes pas des figurants (...) de la plus grande arnaque contre le peuple tunisien", dénonçait récemment Abir Moussi, cheffe du Parti destourien libre (PDL, anti-islamiste), qui grimpe dans les sondages.