LYON: Le laboratoire pharmaceutique allemand Merck a été définitivement condamné mercredi par la justice française à indemniser plus de 3 300 utilisateurs du Levothyrox ayant souffert d'effets secondaires à la suite d'un changement de formule.
Dans son arrêt, la Cour de cassation (la plus haute juridiction française qui avait été saisie par Merck) confirme que « lorsque la composition d’un médicament change et que cette évolution de formule n’est pas signalée explicitement dans la notice, le fabriquant et l’exploitant peuvent se voir reprocher un défaut d’information », pouvant « causer un préjudice moral ».
En juin 2020, 3 329 consommateurs de ce médicament avaient obtenu en appel à Lyon (centre est de la France) la reconnaissance d'un manque d'information de Merck - filiale basée à Lyon du groupe allemand Merck KGaA - dans la distribution d'une nouvelle formule de ce médicament prescrit contre l'hypothyroïdie.
En première instance, des juges lyonnais avaient auparavant écarté tout manquement du laboratoire pharmaceutique dans le lancement en 2017 du nouveau Levothyrox.
Mais la Cour d'appel avait reconnu en 2020 « une faute », condamnant Merck à verser 1 000 euros à chacun des plaignants pour « préjudice moral », soit un total de plus de 3,3 millions d'euros, alors que ces derniers réclamaient une indemnisation de 10 000 euros par personne.
La nouvelle formule du médicament, modifiant certains de ses excipients afin d'apporter davantage de stabilité au produit, a été incriminée, entre mars 2017 et avril 2018, par quelque 31 000 patients souffrant de maux de tête, insomnies, vertiges, etc.
Durant le procès en appel, la société pharmaceutique a gardé la même ligne de défense et réaffirmé qu'elle ne pouvait pas informer directement les patients, arguant que la loi le lui interdit. Mais selon la Cour d'appel, le laboratoire « avait l'obligation légale d'informer directement les malades, notamment par la boîte et la notice ».
« La seule mention du mannitol et de l’acide citrique dans un texte dense et imprimé en petits caractères, est insuffisante pour informer les patients d’une évolution de la formule », a jugé mercredi de son côté la Cour de Cassation, dans un jugement cette fois définitif.
Concernant le préjudice moral, la plus haute juridiction française estime dans son arrêt que « n’ayant pas été informés de l’évolution de la composition du médicament, ses utilisateurs n’ont pas été en mesure de faire face » immédiatement aux effets secondaires. « Ils ont donc subi un préjudice moral temporaire, qui a duré jusqu’à ce qu’ils aient eu connaissance de ce changement de formule ».
Procédure au pénal
« L'arrêt de mercredi confirme à 100% la décision de la Cour d'Appel », s'est félicité l'avocat des plaignants Christophe Lèguevaques, saluant « la confirmation de la responsabilité » de Merck et la reconnaissance du « fait que les plaignants ont subi des préjudices moraux ».
De son côté, Merck a « pris acte » de cette « position », mais a déploré dans un communiqué « qu’aucune expertise médicale n’ait été ordonnée et réalisée (...) pour confirmer l’existence ou non d’un lien de causalité entre le passage à la nouvelle formule du Levothyrox et les symptômes rapportés ».
Si cette procédure d'ampleur est désormais close, le dossier du Levothyrox fait l'objet au pénal d'une information judiciaire contre X pour des faits présumés de tromperie aggravée, homicide et blessures involontaires et mise en danger de la vie d'autrui. Ouverte en 2018, elle est toujours instruite par le pôle santé d'un tribunal de Marseille (sud).
En juin 2019, l'Agence nationale française contrôlant la sécurité des médicaments avait mené une étude sur plus de deux millions de patients qui avait conclu que le passage à la nouvelle formule du Levothyrox n'avait pas engendré de « problèmes de santé graves ».
Cette agence est aujourd'hui visée par une action collective pour « défaut de vigilance » et « défaut d'anticipation » de quelque 1 100 plaignants, lancée en septembre dernier devant le tribunal administratif de Montreuil.
En France, quelque 2,5 millions de patients utilisent quotidiennement la nouvelle formule du Levothyrox, selon Merck, et moins de 100 000 patients sont aujourd’hui traités avec l'ancienne formule importée depuis fin 2017 sous le nom d'Euthyrox.
La distribution de l'ancienne formule, qui devait s'arrêter, a finalement été prolongée à plusieurs reprises et se poursuivra au moins jusqu'à la fin 2022, alors que la diversification de l'offre thérapeutique se poursuit avec d'autres laboratoires: six médicaments alternatifs à base de lévothyroxine sont disponibles sur le marché.
Merck assure que « la transition vers la nouvelle formule s’est effectuée dans plus de 40 pays dans le monde (...) sans générer d’augmentation notable du nombre d’effets secondaires rapportés.»