ATHÈNES : «Nous avons toujours été du bon côté de l'Histoire»: quand le Premier ministre grec prend la parole lors d'un débat parlementaire sur la guerre en Ukraine, nul doute sur la position de son gouvernement.
«On est soit du côté de la paix et du droit international, soit contre», a exhorté Kyriakos Mitsotakis, annonçant un convoi d'aide humanitaire en Ukraine.
Mais pour de nombreux Grecs, après des siècles de liens étroits religieux, culturels et même existentiels avec la Russie, le choix n'est pas aussi évident.
«L'opinion publique grecque a une dimension russophile, nourrie de sentiments amicaux liés à l'histoire, à une culture commune basée sur l'orthodoxie et pour certains, à une méfiance vis-à-vis de l'Occident», note Nikos Marantzidis, professeur d'études slaves, orientales et des Balkans, à l'Université de Macédoine.
Selon un sondage du centre de recherche Kappa, 20% des Grecs interrogés après l'invasion russe de l'Ukraine se disent «plus proches» de Moscou et 45% soutiennent Kiev.
A peine 8% promettent de boycotter les produits russes, 2% d'éviter tout contact avec les Russes. Et si 75% condamnent la position du président Vladimir Poutine, plus de 60% restent critiques vis-à-vis de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky.
Poutine, «un grand dirigeant»
«Une minorité, pas insignifiante du tout, considère toujours Poutine positivement», observe M. Marantzidis.
Quelle que soit l'issue du conflit, «un noyau dur» de 10 à 15% de l'électorat «continuera de le voir comme un grand dirigeant», estime l'expert.
Les Grecs ont combattu au côté de la Russie depuis le 18e siècle, l'État-ami orthodoxe étant considéré historiquement comme le contre-poids protecteur et puissant contre le rival turc voisin.
En 1827, la Russie rejoint l'Angleterre et la France dans la bataille de Navarin, décisive pour l'indépendance grecque de l'empire ottoman.
Les souvenirs des bombardements de l'Otan sur le pays ami et voisin serbe en 1999 pendant la guerre du Kosovo restent vivaces, note M. Marantzidis.
De même que l'animosité résiduelle contre l'Occident née des cures d'austérité imposées par l'Allemagne et ses alliés européens pendant la crise de la dette grecque.
Les Russes sont aussi d'excellents clients de l'industrie du tourisme, avec des centaines de milliers de visiteurs chaque année en Grèce.
Il y a un an, le Premier ministre russe Mikhaïl Michoustine était invité d'honneur aux célébrations du bicentenaire de la révolution grecque de 1821.
Mais douze mois plus tard, les relations bilatérales sont gelées et des milliers de Grecs manifestent contre la guerre aux côtés des Ukrainiens vivant en Grèce.
«Menaces et insultes»
L'ambassade russe à Athènes a fustigé cette semaine les «menaces et insultes» à l'encontre de ses ressortissants en Grèce, appelant la police à enquêter.
Le ministre grec des Affaires étrangères Nikos Dendias figure parmi les derniers chefs de la diplomatie à rencontrer son homologue russe Sergei Lavrov juste avant l'invasion du 24 février.
Mais la mort d'une dizaine de Grecs d'Ukraine, issus d'une diaspora de 100.000 âmes vivant dans la région de Marioupol, a porté un coup aux relations gréco-russes.
Pour Athènes, ces pertes humaines sont le fait de frappes aériennes russes, ce que dément Moscou, qui accuse Kiev.
Le 27 février, l'ambassade russe d'Athènes a appelé les hommes politiques et les médias grecs à «être raisonnables» et à cesser de disséminer «une propagande antirusse».
«Les Grecs ne sont pas historiquement naïfs et étourdis au point d'être impressionnés par des voix extérieures», a riposté le porte-parole du gouvernement Yiannis Economou, estimant que «personne ne peut semer la discorde parmi nous».
Sur la page Facebook de l'ambassade russe, des Grecs pro-russes et pro-ukrainiens échangent tous les jours des insultes.
La plupart sont choqués par les attaques russes contre des civils, alors que plus de 7.000 Ukrainiens ont trouvé refuge en Grèce.
«Votre peuple a résisté et combattu les nazis et maintenant vous marchez sur leurs pas», fustige Leila Rosaki.
Mais beaucoup restent ouvertement pro-Poutine.
«On se souviendra de Poutine dans l'Histoire comme d'un grand et valeureux dirigeant», écrit ainsi Stelios Markou.
«Bravo, poursuis-les tous jusqu'en Allemagne, comme par le passé», applaudit Ilias Karavitis.
«Zelensky supplie l'Europe et l'Otan de s'impliquer, il essaie de commencer la troisième guerre mondiale. Prions pour qu'il se taise», acquiesce Nelli Ign.
«Que Dieu protège le président Poutine et tous les Russes qui se battent pour la liberté», implore aussi Thiresia Sakel.