DNIPRO, Ukraine : Des corps abandonnés dans les rues, les civils tentant de fuir bombardés: les très rares informations émanant du port ukrainien de Marioupol racontent le désespoir des habitants piégés dans la ville assiégée par l'armée russe.
Les habitants qui ont pu sortir cherchent maintenant par tous les moyens à avoir des nouvelles de ceux qui sont restés dans cette ville où les communications sont coupées quasiment en totalité depuis plus d'une semaine.
Quelques rares endroits dans la ville permettent encore d'obtenir parfois un faible signal téléphonique.
Ioulia, une institutrice de 29 ans qui a fui Marioupol le 3 mars, explique que sa belle-mère, restée là-bas, a réussi à l'appeler à partir d'une tour loin de chez elle. "C'était vraiment dangereux pour elle de faire ce trajet" dans la ville bombardée, mais elle a réussi à faire savoir à son fils et sa bru qu'au moins elle était toujours vivante.
"Elle nous a dit qu'elle allait bien, mais que les attaques sont incessantes. Il y a des corps dans les rues, personne ne les enterre. Ils peuvent rester là plusieurs jours, jusqu'à ce qu'un camion de la municipalité vienne les récolter et les dépose dans une immense fosse commune", a-t-elle raconté à l'AFP.
La ville est sans eau, sans gaz, sans électricité, sans communications, et ces derniers jours on y voyait des gens se battre pour de la nourriture.
"C'est vraiment quasi désespéré", admet Stephen Cornish, le patron de MSF Suisse et l'un des coordinateurs de l'action de l'ONG en Ukraine dans un entretien à l'AFP.
"Des centaines de milliers de personnes (...) sont littéralement assiégées". Or "les sièges sont une pratique médiévale" interdite par les lois modernes de la guerre.
"Nous nous acheminons réellement vers une tragédie inimaginable", met-il en garde.
"Marioupol assiégée est à présent la pire catastrophe humanitaire sur la planète. 1.582 civils tués en 12 jours, enterrés dans des fosses communes comme celle-ci", accuse pour sa part vendredi le chef de la diplomatie ukrainienne Dmytro Kouleba dans un tweet, accompagné d'une photo montrant une longue tranchée contenant semble-t-il plusieurs corps enveloppés dans du plastique.
"Incapable de battre l'armée ukrainienne, (Vladimir) Poutine bombarde les gens désarmés, bloque l'aide humanitaire. Nous avons besoin d'avions pour arrêter les crimes de guerre russes !" s'indigne-t-il.
« Nous avons cru que c'était la fin »
En-dehors de Marioupol, les familles espèrent des nouvelles. Elles sont nombreuses à poster par exemple sur l'application de messagerie Telegram photos et informations sur leurs proches restés là-bas, espérant que quelqu'un puisse avoir des nouvelles.
Ioulia et son mari sont parmi les rares personnes qui ont réussi à fuir Marioupol depuis le début du siège, après avoir passé, la peur au ventre, des postes de contrôle russes.
A un moment, il y avait des gens qui tentaient de fuir à pied. Un obus est tombé à 50 mètres d'eux. Ils ont tous commencé à supplier ceux qui étaient en voiture de les prendre, mais rares étaient ceux qui avaient des places de libres, raconte-t-elle.
"Sur la route, nous avons vu des voitures civiles brûlées, parfois renversées sur le côté. Nous avons compris que les Russes leurs avaient tiré dessus", explique-t-elle encore.
"Alors que nous étions déjà à deux kilomètres de Marioupol, nous avons vu des Russes, avec leur équipement militaire marqué de la lettre "Z". Nous avons pensé que c'était la fin, qu'ils allaient nous tuer", ajoute-t-elle encore.
Marioupol, un port et une ville stratégiquement importante pour l'avancée russe, est bombardée à l'artillerie de façon constante depuis 10 jours, selon Petro Andriouchtchenko, un conseiller municipal.
Bombardements constants
Selon les estimations de l'administration régionale, plus de 1.200 personnes ont été tuées depuis le début du siège, mais ce chiffre ne tient pas compte des corps qui pourraient se trouver sous les débris des immeubles détruits.
Les tentatives d'établir des corridors humanitaires pour permettre aux civils de partir ont échoué à plusieurs reprises, les deux parties s'accusant mutuellement de l'échec.
Iana Karban, 30 ans, explique qu'elle vient de recevoir de ses parents, via une voisine qui a pu joindre sa fille très brièvement, un message désespéré: "C'est le désastre total dans l'immeuble. On vient d'être bombardé, et huit appartements sont en feu".
Elle a envoyé à l'AFP des photos envoyées par une autre voisine, qui montrent des éclats d'obus dans l'armoire de sa chambre.
"Ils veulent quitter la ville, mais ce n'est pas possible. Les obus tombent partout, tout le temps. Ce n'est même pas possible de sortir dans la rue", explique-t-elle.
Depuis, personne n'a réussi à joindre qui que ce soit dans leur quartier, et Iana ne sait pas ce que sont devenus ses parents et leurs voisins.