PARIS : Longtemps perçue comme un matraqueur fiscal des hauts revenus, la France est en réalité un pays où la fiscalité est désormais favorable aux plus riches, via une politique défendue par un gouvernement soucieux de retenir et d'attirer les investisseurs.
Plusieurs études sont venues documenter cette évolution cette semaine. La banque suisse UBS a ainsi révélé mercredi que la fortune des milliardaires français atteint 443 milliards de dollars et a quintuplé en dix ans (+439% par rapport à 2009). Seule la Chine fait mieux en termes d'accroissement des richesses.
Un rapport qui tranche avec l'avertissement de la Banque mondiale, pour qui la crise sanitaire devrait faire basculer près de 10% de la population mondiale dans l'extrême pauvreté en 2020. En France, le Secours populaire craint aussi un appauvrissement sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale.
Pour Gabriel Zucman, professeur d'économie à Berkeley, trois facteurs expliquent la "prospérité" des très grandes fortunes françaises: une "fiscalité favorable", une "bonne entente avec les milieux politiques" et la "spécialisation dans les secteurs à très forte marge qui ont bénéficié de la mondialisation, comme le luxe" par exemple, résume pour l'AFP ce spécialiste des inégalités.
"Il y a aussi des effets de valorisation boursière", complète Jacques Le Cacheux, professeur d'économie à Pau et à Sciences Po Paris. "Les grosses fortunes ont les reins plus solides, donc ils ne vendent pas lorsque les cours sont bas et au contraire ils peuvent se permettre d'acheter et s'enrichissent lorsque les cours boursiers remontent", explique-t-il à l'AFP.
A cela s'ajoutent les stratégies d'optimisation fiscale. "Si on se concentre sur les 0,5% les plus fortunés, ils ont un taux d'imposition inférieur à la tranche juste en dessous car ils ont les moyens de manipuler leur base fiscale pour limiter leurs impôts", explique Jonathan Goupille, chercheur en économie au CNRS.
Effets des réformes fiscales
Pensée pour stimuler l'investissement dans l'économie réelle, la réforme emblématique du président Emmanuel Macron, qui a transformé l'impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI), a eu pour effet de "beaucoup alléger la fiscalité des très très riches, qui n'ont pas forcément beaucoup de biens immobiliers dans leur patrimoine", constate Jacques Le Cacheux.
Une autre réforme fiscale a encouragé le versement de dividendes. Avant 2018, ils étaient imposés, comme les autres revenus, selon un barème progressif allant jusqu'à 45%. Avec l'instauration d'une taxe forfaitaire de 30% sur les revenus du capital (dite "flat tax"), percevoir des dividendes est devenu plus intéressant sur le plan fiscal.
Résultat, en un an, les versements aux actionnaires ont augmenté de 9 milliards pour atteindre 23,2 milliards en 2018, dont les deux tiers versés à seulement 0,1% des foyers fiscaux, selon un rapport publié jeudi par France Stratégie, un organisme rattaché aux services du Premier ministre.
Pour Jonathan Goupille, un ancien élève de l'économiste Thomas Piketty, "si les réformes de François Hollande avaient permis d'obtenir une progressivité fiscale", celles d’Emmanuel Macron ont "réintroduit une régressivité fiscale et les individus les plus fortunés payent moins d’impôts (en pourcentage de leur revenus) que la classe moyenne supérieure. Dans les années à venir, cela va avoir un impact sur le concentration de patrimoine" et donc sur l'accroissement des inégalités.
Toutefois, cette politique a permis de limiter l'exil fiscal. "En 2017, dans un contexte où le candidat puis président élu (Emmanuel Macron) annonce qu'il supprimera l'ISF pour le remplacer par l'IFI, le nombre de départs chute nettement, à 380", constate France Stratégie. De 2002 à 2007, environ 900 foyers redevables de l'ISF quittaient la France chaque année.
Cette politique fiscale a-t-elle aussi des effets sur l'investissement ?
Pour France Stratégie, il est trop tôt pour tirer des conclusions.
L'augmentation des dividendes versés est liée à des "comportements d'optimisation fiscale" mais "ce n'est pas de la création de richesse", a fustigé en revanche Thomas Piketty sur la radio France Inter vendredi.
Le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt défend pour sa part la politique fiscale. Il assurait jeudi sur l'antenne de FranceInfo que la France est "devenue le premier pays en termes d'attractivité pour les investisseurs étrangers", et que le gouvernement "travaille aussi pour faire revenir des contribuables de l'étranger vers la France". (AFP)