De la Syrie à l'Ukraine, toute une saga d'abandons en série des alliés occidentaux

Si l'abandon des Kurdes n'était qu'un cas isolé, il pourrait être considéré comme un simple accroc (Photo, AFP).
Si l'abandon des Kurdes n'était qu'un cas isolé, il pourrait être considéré comme un simple accroc (Photo, AFP).
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Publié le Jeudi 03 mars 2022

De la Syrie à l'Ukraine, toute une saga d'abandons en série des alliés occidentaux

  • L'Ukraine est la dernière d'une longue lignée d'amis livrés à eux-mêmes pendant la crise
  • Les volte-face de la politique étrangère américaine au Moyen-Orient et en Europe indiquent une tendance évidente

DUBAÏ: En octobre 2019, alors que la Turquie massait ses forces à la frontière avec le nord-est de la Syrie, menaçant d'envahir et de se tailler une soi-disant zone de sécurité, les communautés kurdes situées à quelques kilomètres de là se sont tournées vers leur puissant allié à Washington pour obtenir de l'aide. Les Kurdes pensaient que l'armée américaine pouvait tenir à distance les forces de leur collègue de l'Otan.
Cinq ans d'étroite coopération en matière de sécurité et le sacrifice de plus de 11 000 vies dans leur lutte commune contre Daech avaient convaincu les Forces démocratiques syriennes dirigées par les Kurdes que le lien de confiance qui s'était tissé entre eux et les Américains était indéfectible et que, face à un ennemi encore plus redoutable, leurs alliés les soutiendraient sûrement.
Mais ce que les Kurdes avaient déjà vu, c'était un tweet du président, Donald Trump, et une vidéo de la Maison Blanche le 19 décembre 2018, annonçant le retrait de toutes les forces américaines de Syrie, à l'exception de quelques centaines pour garder les champs pétrolifères près de Deir ez-Zor.

«Nous n'avons jamais eu la moindre intention de défendre l'Ukraine, pas la moindre», a déclaré Anatol Lieven (Photo, AFP).


En octobre 2019, les troupes russes et les forces syriennes avaient repris au moins trois camps américains abandonnés dans le nord de la Syrie. «Les mercenaires russes ont répandu leur bonne fortune sur les réseaux sociaux et ont pris des selfies devant l’équipement américain, tandis que des journalistes russes ont fait des visites à pied de la base», a révélé Business Insider dans un rapport du 16 octobre.
Pendant ce temps, les Turcs avaient lancé des bombardements contre les Forces démocratiques syriennes (FDS) au nom de «l'opération Peace Spring» (Printemps de la paix). L'effort de guerre contre la menace mondiale que représentait Daech, la priorité absolue de l'administration américaine cinq ans auparavant, ne signifiait rien pour Trump. Les soldats des FDS qui les avaient aidés à gagner ont été sommairement livrés à eux-mêmes.
Si cet abandon des Kurdes n’était qu’un événement isolé, il pourrait être considéré comme un simple échec dans un dossier par ailleurs honorable. Mais les revirements américains récurrents ces dernières années, au Moyen-Orient et en Europe, indiquent davantage une tendance qu'une erreur. En Géorgie, en Irak, en Syrie, en Afghanistan et maintenant en Ukraine, les peuples et les gouvernements qui pensaient pouvoir compter sur le soutien militaire de la superpuissance ont tous ressenti le coup écrasant de son absence au moment où ils en avaient le plus besoin.

Les alliés de Washington dans le Golfe ont appris la leçon à leurs dépens (Photo, AFP).


Dans une récente interview accordée au magazine American Prospect, Anatol Lieven, auteur de «Ukraine and Russia: A Fraternal Rivalry), (L'Ukraine et la Russie: une rivalité fraternelle), a déclaré que «nous n'avons jamais eu la moindre intention de défendre l'Ukraine, pas la moindre. Même si la Grande-Bretagne, les États-Unis et le secrétariat de l'Otan se sont prononcés pour l'adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'Otan lors de la conférence de Bucarest en 2008 (le siège de l'Otan était complètement derrière sur ordre américain), aucun plan d'urgence n'a été élaboré, pas même le plus lointain ou le plus contingent, sur la manière dont l'Otan pourrait défendre l'Ukraine et la Géorgie. Il n'y avait aucune intention de le faire un jour.»
Lieven a ajouté que «prétendre que nous allions les admettre dans l'Otan va au-delà de l'irresponsabilité. À mon avis, c'était profondément immoral, de prendre un tel engagement que nous n'avions aucune intention de respecter.»
En août dernier, des scènes choquantes d'avions dévalant la piste de l'aéroport de Kaboul alors que des passagers clandestins désespérés tombaient dans le passage de roue des avions cargo militaires américains, sont devenues l'image emblématique de vingt ans d’occupation américaine. Non loin derrière, on a vu des combattants talibans entrer dans Kaboul en vainqueurs d'une longue guerre, leur ennemi juré ayant pris la fuite et l'armée nationale levée par Washington s'étant effondrée presque du jour au lendemain.

«Il ne fait aucun doute que l'intervention russe en Ukraine est une accumulation d'une série d'interventions militaires russes en Géorgie en 2008», a déclaré Ibrahim Hamidi (Photo, AFP).


Deux décennies après avoir promis d'apporter la démocratie et la liberté en Afghanistan, les États-Unis avaient tout simplement renoncé. Trump d'abord, puis Biden, se sont détournés de leur obligation morale évidente envers une population qui a fait un énorme sacrifice au cours de la «guerre contre le terrorisme» des États-Unis. Neuf mois plus tard, l'Afghanistan est un pays brisé, gouverné par un groupe fondamentaliste islamique impopulaire à qui le pouvoir a été remis pratiquement sur un plateau par une nation qui a perdu la volonté de diriger et la patience de continuer à se battre.
Au Moyen-Orient, où les États-Unis ont laissé une lourde empreinte depuis le 11 septembre, il est peu probable qu'un pays qui souffre autant de la polarisation politique ait lui-même une vision cohérente à offrir.
Depuis 2000, le pendule a oscillé entre le zèle missionnaire des conseillers de George W. Bush et le réalisme impitoyable des loyalistes de Barack Obama, et entre l'état d'esprit transactionnel de Trump et l'image «Obama lite» de Biden.
À différents moments au cours des deux dernières décennies, les priorités de la politique étrangère de Washington ont été dictées par les droits de l'homme, les intérêts commerciaux, la promotion de la démocratie ou des caprices individuels. Une telle approche protéiforme a appris à ses amis de se méfier.

L'avenir de l'Europe et de l'UE semble bien différent aujourd'hui de ce qu'il était il y a à peine une semaine», a indiqué Carl Bildt, coprésident du Conseil européen des relations étrangères (Photo, AFP).


Les alliés de Washington dans le Golfe ont appris la leçon à leurs dépens. L'étreinte chaleureuse d'une administration se posant en partenaire essentiel de la sécurité régionale a été remplacée par la distance de la suivante et par des ouvertures vers l'Iran.
La reconnaissance de l'Iran comme un acteur malveillant et la menace posée par la prolifération des mandataires iraniens dans la région sont passées à la trappe du jour au lendemain. Les Houthis ont été retirés de la liste des organisations terroristes, malgré l'implication du groupe dans la déstabilisation du pays le plus pauvre de la région, le Yémen, et dans les attaques contre des installations civiles et des centres de population en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis.
Commentant récemment sur Twitter la neutralité des partenaires américains du Golfe sur la crise ukrainienne, Hasan al-Hasan, chargé de recherche à l'Institut international d'études stratégiques, a estimé que «le message subliminal: ce n'est pas notre guerre» était similaire à «celui systématiquement envoyé par Washington aux États du Golfe sur le Yémen et l'Iran au cours des dernières années».
Faisant référence à l'accord de 2015 sur le nucléaire iranien, Al-Hasan a ajouté que «l'Iran a fait des ravages dans la région et s’est enfermé dans une guerre par procuration avec l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. Mais les États-Unis, et en particulier l'UE, étaient prêts à normaliser les relations avec l'Iran après le JCPOA malgré tout.»

Deux décennies après avoir promis d'apporter la démocratie et la liberté en Afghanistan, Washington a tout simplement abandonné (Photo, AFP).


Plus de deux ans après le retrait de Trump en Syrie, les FDS, une unité militaire mixte kurde-arabe créée et financée sous l'administration Obama dans le but de mener la lutte contre Daech, ne se sont pas remises militairement de la trahison américaine. Les Kurdes de l'autre côté de la frontière irakienne, qui ont également participé à la campagne de la coalition mondiale contre Daech, restent tout aussi méfiants. L'idée selon laquelle les États-Unis sont un partenaire tout-terrain et un allié naturel en qui les Kurdes du Moyen-Orient peuvent avoir une confiance aveugle en cas de besoin s'est avérée particulièrement fantaisiste pendant la présidence de Trump.
Six ans avant le retrait syrien, Obama a pris une autre décision qui a probablement changé le cours de la guerre civile dans le pays, tout en mettant en doute la capacité ou la volonté de l'Occident de faire preuve du courage de ses convictions déclarées.
Si un problème pouvait émouvoir les dirigeants occidentaux, c’est bien celui de l'utilisation généralisée de gaz neurotoxiques sur des civils. Mais lorsque le président syrien Bachar al- Assad a utilisé le gaz contre les forces de l'opposition au moment où elles s'approchaient des portes de Damas, tuant plus de 1 300 personnes par une matinée d'été en 2013, la «ligne rouge» qu'Obama avait fixée comme déclencheur d’intervention est soudainement devenue un point de négociation.

Les priorités de la politique étrangère de Washington ont été dictées par les droits de l'homme, les intérêts commerciaux, la promotion de la démocratie ou les caprices individuels (Photo, AFP).


Plutôt que de se ranger du côté des civils syriens, Obama a fini par les soumettre à une nouvelle décennie de misère. L'impunité s'est enracinée en Syrie et, dans quelques années, la Russie en profitera également.
Ce faisant, le principal adversaire géopolitique de l’Amérique a établi une année de préparation au terrain d’entraînement pour l'annexion de la Crimée en 2016, qui, avec le recul, était une répétition générale de ce qui devait arriver en février 2022, l'invasion de l'Ukraine.
«Il ne fait aucun doute que l'intervention russe en Ukraine est une accumulation d'une série d'interventions militaires russes en Géorgie en 2008, en Crimée en 2014 et en Syrie en 2015», a récemment déclaré Ibrahim Hamidi, rédacteur diplomatique principal pour les affaires syriennes au journal Asharq al-Awsat, à l'Associated Press.
Poutine «estime que l'Amérique régresse, que le rôle de la Chine augmente et que l'Europe est divisée et préoccupée par ses affaires internes, c’est pourquoi il a décidé d'intervenir».

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com


Le Parlement libanais approuve un projet de loi sur le secret bancaire

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
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  • La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise
  • Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière

BEYROUTH: Le Parlement libanais a approuvé jeudi un projet de loi sur la levée du secret bancaire, une réforme clé réclamée par le Fonds monétaire international (FMI), au moment où des responsables libanais rencontrent à Washington des représentants des institutions financières mondiales.

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri.

La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise imputée à la mauvaise gestion et à la corruption.

La récente guerre entre Israël et le Hezbollah a aggravé la situation et le pays, à court d'argent, a désormais besoin de fonds pour la reconstruction.

Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière.

Ces organismes pourront avoir accès à des informations telles que les noms des clients et les détails de leurs dépôts, et enquêter sur d'éventuelles activités suspectes, selon Legal Agenda.

Le Liban applique depuis longtemps des règles strictes en matière de confidentialité des comptes bancaires, ce qui, selon les critiques, rend le pays vulnérable au blanchiment d'argent.

En adoptant ce texte, le gouvernement avait précisé qu'il s'appliquerait de manière rétroactive pendant 10 ans. Il couvrira donc le début de la crise économique, lorsque les banquiers ont été accusés d'aider certaines personnalités à transférer d'importantes sommes à l'étranger.

Le feu vert du Parlement coïncide avec une visite à Washington des ministres des Finances, Yassine Jaber, et de l'Economie, Amer Bisat, ainsi que du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Karim Souaid, pour des réunions avec la Banque mondiale et le FMI.

M. Jaber a estimé cette semaine que l'adoption des amendements donnerait un "coup de pouce" à la délégation libanaise.

En avril 2022, le Liban et le FMI ont conclu un accord sous conditions pour un programme de prêt sur 46 mois de trois milliards de dollars, mais les réformes alors exigées n'ont pour la plupart pas été entreprises.

En février, le FMI s'est dit ouvert à un nouvel accord avec Beyrouth après des discussions avec M. Jaber. Le nouveau gouvernement libanais s'est engagé à mettre en oeuvre d'autres réformes et a également approuvé le 12 avril un projet de loi pour restructurer le secteur bancaire.


Syrie: Londres lève ses sanctions contre les ministères de la Défense et de l'Intérieur

Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
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  • "Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor
  • Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier

LONDRES: Le Royaume-Uni a annoncé jeudi avoir levé ses sanctions contre les ministères syriens de l'Intérieur et de la Défense ainsi que contre des agences de renseignement, qui avaient été imposées sous le régime de Bachar al-Assad.

"Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor.

Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier.

Ces autorités, issues de groupes rebelles islamistes, ont pris le pouvoir le 8 décembre.

Le Royaume-Uni avait début mars déjà levé des sanctions à l'égard de 24 entités syriennes ou liées à la Syrie, dont la Banque centrale.

Plus de trois cents individus restent toutefois soumis à des gels d'avoirs dans ce cadre, ainsi qu'une quarantaine d'entités, selon le communiqué du Trésor.

Les nouvelles autorités syriennes appellent depuis la chute d'Assad en décembre dernier à une levée totale des sanctions pour relancer l'économie et reconstruire le pays, ravagé après 14 années de guerre civile.


1983 – L'attaque contre les Marines américains à Beyrouth

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  • Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines
  • Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang

BEYROUTH: Le 23 octobre 1983, aux alentours de 6h25, une violente déflagration secoue Beyrouth et sa banlieue, jusque dans les hauteurs montagneuses. Le souffle, sourd et diffus, fait d’abord penser à un tremblement de terre.

Mais sept minutes plus tard, une seconde explosion, bien plus puissante, déchire la ville et ses environs, dissipant toute confusion: Beyrouth venait de vivre l’un des attentats les plus meurtriers de son histoire.

Je travaillais alors pour le journal libanais As-Safir en tant que correspondant de guerre. Beyrouth était assiégée, dans sa banlieue sud, dans les montagnes et dans la région du Kharoub, par des affrontements entre le Parti socialiste progressiste et ses alliés d'une part, et les Forces libanaises d'autre part, dans ce que l'on appelait la «guerre des montagnes».

Le sud du pays a également été le théâtre de la résistance armée des combattants libanais contre l'occupation israélienne. Ces combattants étaient liés à des partis de gauche et, auparavant, à des factions palestiniennes.

Des forces multinationales, notamment américaines, françaises et italiennes, avaient été stationnées à Beyrouth après le retrait des dirigeants et des forces de l'Organisation de libération de la Palestine, à la suite de l'agression israélienne contre le Liban et de l'occupation de Beyrouth en 1982.

Quelques minutes après les explosions, la réalité s’impose avec brutalité: le quartier général des Marines américains, situé sur la route de l’aéroport de Beyrouth, ainsi que la base du contingent français dans le quartier de Jnah, ont été ciblés par deux attaques-suicides coordonnées.

Les assaillants, non identifiés, ont lancé des camions piégés – chargés de plusieurs tonnes d’explosifs – contre les deux sites pourtant fortement sécurisés, provoquant un carnage sans précédent.

Comment nous l'avons écrit

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Au lendemain des attentats, Arab News faisait état de 120 morts parmi les Marines et de 20 morts parmi les Français, un chiffre nettement inférieur au décompte final.

L'attaque de la base américaine a tué 241 militaires américains – 220 Marines, 18 marins et trois soldats – et en a blessé des dizaines. Le bombardement du site militaire français a tué 58 parachutistes français et plus de 25 Libanais.

Ces attentats étaient les deuxièmes du genre à Beyrouth; un kamikaze avait pris pour cible l'ambassade des États-Unis à Aïn el-Mreisseh six mois plus tôt, le 18 avril, tuant 63 personnes, dont 17 Américains et 35 Libanais.

Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines. Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang, des morceaux de corps et de la confusion. Voici ce que nous, journalistes, avons pu voir au milieu du chaos qui régnait immédiatement après la catastrophe, et ce qui reste gravé dans ma mémoire plus de 40 ans plus tard.

La nuit précédente, un samedi, les Marines avaient fait la fête, divertis par un groupe de musique qui avait fait le voyage depuis les États-Unis pour se produire devant eux. La plupart dormaient encore lorsque la bombe a explosé.

Aucun groupe n'a revendiqué les attentats ce jour-là, mais quelques jours plus tard, As-Safir a publié une déclaration qu'il avait reçue et dans laquelle le «Mouvement de la révolution islamique» déclare en être responsable.

Environ 48 heures après l’attentat, les autorités américaines pointent du doigt le mouvement Amal, ainsi qu’une faction dissidente dirigée par Hussein al-Moussawi, connue sous le nom d’Amal islamique, comme étant à l’origine de l’attaque.

Selon la presse locale de l’époque, la planification de l’attentat aurait eu lieu à Baalbeck, dans la région de la Békaa, tandis que le camion utilisé aurait été aperçu garé devant l’un des bureaux du mouvement Amal.

Le vice-président américain, George H.W. Bush, s'est rendu au Liban le lendemain de l'attentat et a déclaré: «Nous ne permettrons pas au terrorisme de dicter ou de modifier notre politique étrangère.»

La Syrie, l'Iran et le mouvement Amal ont nié toute implication dans les deux attentats.

En riposte à l’attaque visant leurs soldats, les autorités françaises ont lancé une opération militaire d’envergure: huit avions de chasse ont bombardé la caserne Cheikh Abdallah à Baalbeck, que Paris considérait comme un bastion de présences iraniennes.

À l’époque, les autorités françaises ont affirmé que les frappes avaient fait environ 200 morts.

Un responsable de l'Amal islamique a nié que l'Iran disposait d'un complexe dans la région de Baalbeck. Toutefois, il a reconnu le lien idéologique fort unissant son groupe à Téhéran, déclarant: «L’association de notre mouvement avec la révolution islamique en Iran est celle d’un peuple avec son guide. Et nous nous défendons.»

Le 23 novembre, le cabinet libanais a décidé de rompre les relations avec l'Iran et la Libye. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Elie Salem, a déclaré que la décision «a été prise après que l'Iran et la Libye ont admis qu'ils avaient des forces dans la Békaa».

Un rapport d'As-Safir cite une source diplomatique: «Les relations avec l'Iran se sont détériorées en raison des interventions, pratiques et activités illégales qu'il a menées sur la scène libanaise, malgré de nombreux avertissements.»

Les attentats du 23 octobre étaient jusqu'alors le signe le plus évident de l'évolution de l'équilibre des forces régionales et internationales au Liban et de l'émergence d'un rôle iranien de plus en plus important dans la guerre civile.

Le chercheur Walid Noueihed m'a expliqué qu'avant 1982, Beyrouth avait accueilli toutes les formes d'opposition, y compris l'élite éduquée, appelée «opposition de velours», et l'opposition armée, dont les membres étaient formés dans des camps ou des centres d'entraînement palestiniens dans la vallée de la Békaa et au Liban-Sud.

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Vue aérienne de l'ambassade américaine à Beyrouth après l'explosion qui a fait 63 morts, dont 46 Libanais et 17 Américains. (AFP)

Il a indiqué que l'opposition iranienne au chah était présente parmi ces groupes et a décrit Beyrouth comme une oasis pour les mouvements d'opposition jusqu'en 1982. Toutefois, cette dynamique a changé lorsqu'Israël a envahi le Liban et assiégé Beyrouth, ce qui a entraîné le départ de l'OLP en vertu d'un accord international qui exigeait en échange qu'Israël s'abstienne de pénétrer dans Beyrouth.

Si les factions palestiniennes ont quitté le Liban, ce n'est pas le cas des combattants libanais associés à l'OLP, pour la plupart des chiites qui constituaient la base des partis de gauche libanais.

Les attaques contre les bases militaires américaines et françaises ont entraîné le retrait des forces internationales du Liban, explique M. Noueihed, laissant une fois de plus Beyrouth sans protection. Les opérations de résistance se sont multipliées, influencées par des idéologies distinctes de celles de la gauche traditionnelle, des groupes comme l'Amal islamique affichant ouvertement des slogans prônant la confrontation avec Israël.

En 1985, le Hezbollah est officiellement créé en tant qu'«organisation djihadiste menant une révolution pour une république islamique». Il s'est attiré le soutien des partis de gauche libanais et palestiniens, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique.

Selon M. Noueihed, l'émergence du Hezbollah a coïncidé avec le déclin des symboles existants de la résistance nationale, ce qui semble indiquer une intention d'exclure toutes les autres forces du pays du mouvement de résistance, laissant le Hezbollah comme parti dominant.

L'influence iranienne au Liban est devenue évidente lors des violents affrontements entre le Hezbollah et Amal, qui ont fait des dizaines de victimes et se sont terminés par la consolidation du contrôle du Hezbollah au milieu de la présence des forces militaires syriennes.

Beyrouth se vide peu à peu de son élite intellectuelle, a souligné M. Noueihed. Des centaines d’écrivains, d’intellectuels, de chercheurs et de professionnels des médias ont fui vers l’Europe, redoutant pour leur sécurité, laissant derrière eux une ville désertée par ceux qui faisaient autrefois vibrer sa vie culturelle et académique.

Najia Houssari est rédactrice pour Arab News, basée à Beyrouth. Elle était correspondante de guerre pour le journal libanais As-Safir au moment du bombardement de la caserne des Marines américains.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com