PARIS: La mère d'un des auteurs de l'assassinat du père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray en 2016, a déploré lundi devant la cour d'assises spéciale de s'être retrouvée "seule face à la radicalisation" de son fils, jugeant que l'attentat "aurait pu être évité".
Le 26 juillet 2016, Adel Kermiche, 19 ans, porteur d'un bracelet électronique après deux tentatives de départ en Syrie, fait irruption avec Abdel-Malik Petitjean dans l'église de cette commune de Seine-Maritime où il résidait.
Ils tuent à coups de couteau le prêtre de 85 ans et blessent grièvement un paroissien avant d'être abattus par la police.
"Je suis vraiment très peinée pour les parties civiles (...) J'aurais tellement voulu avoir les moyens d'éviter cet attentat", témoigne Aldjia Kermiche, en tailleur noir, petit foulard autour du cou.
L'enseignante, âgée de 59 ans, explique avoir frappé à plusieurs portes, réclamé à la police qu'il soit "mis sous surveillance" ou demandé à la mairie de lui trouver "une occupation" à sa sortie de prison - il avait été détenu pour avoir tenté de rejoindre la Syrie - "pour pas qu'il passe son temps sur internet".
Mais à sa libération en mars 2016, "je me suis retrouvée seule pour faire face à la radicalisation de mon fils", souligne-t-elle.
Il semble alors "apaisé", ne parle plus de Syrie, "mais on le surveillait quand même", dit sa mère. Elle constate alors qu'en prison, il a "appris à lire et écrire l'arabe" et "des prières par cœur" mais n'imagine pas "qu'il puisse faire un attentat".
Difficultés psychologiques
"J'aurais bien aimé" savoir ce que les services de renseignement "avaient comme informations et comment ces informations n'ont pas été transmises, parce que vraiment cet attentat aurait pu être évité, j'en suis certaine", insiste Mme Kermiche.
Cinq agents de la direction du renseignement de la préfecture de police (DRPP) de Paris ont été appelés à témoigner mardi avec leur cheffe de service. Mais quatre d'entre eux ont fourni des certificats attestant qu'ils n'étaient "pas aptes psychologiquement à être entendus".
La cour n'a pas encore indiqué si elle renonçait à leur audition.
Selon Mediapart, ces enquêteurs ont eu accès une semaine avant l'attentat à un message audio d'Adel Kermiche sur la messagerie cryptée Telegram évoquant une attaque dans une église.
A la barre, la mère du jeune homme revient sur son traitement pour "hyperactivité" dès l'enfance, son placement à 13 ans dans un institut pour adolescents souffrant de difficultés psychologiques puis son hospitalisation en psychiatrie pour des "problèmes de comportement".
Elle confirme aussi les violences du père qui l'a "attaché sur son lit" pour le punir après de nombreuses exclusions du collège.
"Mon fils a commencé à parler de religion autour de mars 2015 (...) On ne s'est pas inquiété: c'est normal pour un musulman de faire la prière", poursuivi Mme Kermiche.
"Quand il m'a dit qu'il voulait faire la prière, j'étais fier", abonde le père du jihadiste à la barre.
«Pas nette»
Veste kakie et sweat à capuche noir, ce chauffeur-routier d'une soixantaine d'années fond en larmes au bout de dix minutes, à l'évocation d'un souvenir. "Je peux plus parler". Il reprendra sa déposition après une brève suspension d'audience.
"Ensuite, il a commencé à nous reprocher nos propres pratiques, à nous dire qu'on n'était pas dans le bon chemin", se souvient la mère d'Adel Kermiche.
Le 23 juillet 2016, au retour d'un dîner, ils tombent sur Abdel-Malik Petitjean, que leur fils leur présente comme "un ami d'enfance" en formation à Rouen.
"Sa façon de parler, je la trouvais pas nette" mais "je peux pas laisser un garçon jeune dans la rue à minuit", se justifie M. Kermiche, qui lui demande de quitter son domicile le lendemain.
C'est dans le salon familial qu'ils filmeront une vidéo d'allégeance à l'organisation Etat islamique, transmise le lendemain au propagandiste Rachid Kassim.
"Je m'en suis vraiment voulu de n'avoir rien entendu ce soir-là. Comment ils ont pu tourner cette vidéo sans que je m'en rende compte ? On était là, mais on dormait", regrette Mme Kermiche.
Après sa déposition, Roseline Hamel, la soeur du prêtre assassiné, s'assied à son côté sur les bancs du public. Mme Kermiche l'avait rencontrée quelques mois après l'attentat, ainsi que l'une des filles du paroissien blessé.
"J'avais besoin de parler aux familles de victimes. On souffre tous de la même chose, du terrorisme", conclut-elle.