LONDRES : Le système de santé libanais est dans un état précaire suite à des vagues successives de crise politique et économique. Alors que le pays est sous le choc des pénuries de fournitures médicales, des augmentations de cas de la Covid-19 et d'un exode de professionnels de la santé qualifiés, l'urgence du besoin d'aide extérieure du secteur n'est plus un sujet de débat.
Dans la plupart des pays, il semble raisonnable de se tourner vers le gouvernement pour mettre en œuvre des réformes afin de sauver le système de santé de l'effondrement. Mais au Liban, où c'est sans doute la politique elle-même qui rend la nation malade, l'État assiégé est peu susceptible d'offrir des solutions.
Une nouvelle étude menée par le King’s College de Londres et l’Université américaine de Beyrouth suggère que le système de santé libanais est en déclin, en grande partie à cause des mêmes décisions politiques désastreuses et des mêmes problèmes systémiques qui ont conduit à l’effondrement économique du pays en 2019.
L'étude intitulée, «Comment la politique a rendu une nation malade», menée par le projet Research for Health in Conflict–MENA (R4HC-MENA), montre comment une série de catastrophes d'origine politique a créé un état de crise qui n'est pas préparé à faire face à une urgence de santé publique qui s'aggrave.
Le Dr Adam Coutts, l'un des responsables du projet R4HC-MENA, qualifie la situation sanitaire au Liban de «naufrage lent, qui s'est accéléré pendant la période prépandémique lorsque l'économie s'est effondrée en 2019».
Depuis la fin de la guerre civile au Liban en 1990, le sectarisme, le clientélisme et la corruption dominent la vie politique et plongent le pays dans des épisodes successifs de troubles et d'instabilité.
La corruption, l'hyperinflation et l'effondrement du secteur bancaire en 2019 ont plongé le Liban dans la pire crise économique de son histoire moderne. L'arrivée de millions de réfugiés de la Syrie voisine n'a fait qu'aggraver la pression sur son infrastructure qui en train de céder.
Environ 19,5 % des 7 millions d'habitants du Liban sont des réfugiés des pays voisins. Vivant déjà de manière précaire dans des communautés pauvres, peu d'entre eux ont les moyens ou les réseaux pour obtenir des médicaments vitaux en période de pénurie.
Pendant ce temps, la dévaluation drastique de la monnaie a rendu l'assurance maladie inabordable pour de nombreux Libanais.
«La situation sociale et économique au Liban est actuellement désastreuse», a averti le Dr Coutts. «Nous travaillons sur les problèmes sanitaires, économiques et sociales au Liban depuis dix ans et nous ne l'avons jamais vu aussi mal».
L'épuisement constant des réserves de devises a rendu difficile pour les commerçants libanais d’importer les produits de première nécessité, notamment les médicaments de base, et a conduit les banques à réduire les lignes de crédit, un désastre pour une nation qui dépend si fortement des importations.
De plus, les patients ont du mal à accéder aux rendez-vous et aux chirurgies alors que le personnel médical fuit le pays en masse.
Selon l'étude R4HC-MENA, environ 400 médecins et 500 infirmiers sur les 15 000 médecins agréés et 16 800 infermières et infirmiers agréés du pays ont émigré depuis le début de la crise.
Pour aggraver les choses, les pénuries chroniques d'électricité au Liban ont obligé les hôpitaux à compter sur des générateurs privés pour maintenir les lumières allumées et le fonctionnement de leurs équipements vitaux. Mais les générateurs fonctionnent au carburant, qui est aussi constamment en pénurie.
Malgré la gravité de l'urgence sanitaire, le gouvernement libanais n'a pas été en mesure de réagir, manquant à la fois de moyens financiers et de volonté face à une multitude de crises qui se chevauchent.
«La santé semble toujours être considérée comme le parent pauvre du développement et de reprise rapide par rapport à la stabilisation économique, à l'éducation et à la sécurité», a expliqué le Dr Coutts. «Le problème est que si nous continuons à négliger la santé et les systèmes de santé, cela entraînera des problèmes encore plus importants à l'avenir».
La pandémie de la Covid-19 est arrivée au pire moment possible pour le Liban, exposant davantage la faiblesse du système de santé et exerçant une pression supplémentaire sur l'économie en difficulté du pays.
«Comme le montre la pandémie de la Covid-19, si vous négligez les systèmes de santé, vous ne pouvez pas répondre aux urgences sanitaires», a prévenu le Dr Coutts. «La santé est une préoccupation majeure chez les gens. C'est le problème de la rue qui affecte l'ensemble de la vie quotidienne des gens. Le développement doit concerner les vies et les moyens de subsistance».
Alors que les infections à la Covid-19 sont actuellement en baisse au Liban, les vagues successives du virus ont fait des ravages sur le système de santé libanais. En décembre 2020, par exemple, environ 200 médecins qui ne disposaient pas d'un équipement de protection suffisant pour éviter l'infection ont été placés en quarantaine.
L'étude R4HC-MENA a révélé que les pics successifs du virus ont dépassé la capacité et les ressources hospitalières, exacerbant la pénurie de personnel, sans parler des équipements tels que les respirateurs et les produits pharmaceutiques.
«De nombreux hôpitaux privés étaient réticents à entreprendre des soins contre la Covid-19 de peur de «perdre» des revenus provenant de services plus lucratifs, de perdre leur médecin et leur personnel infirmier, et de ne pas croire qu'ils seraient réellement remboursés par le gouvernement», a déclaré le Dr Fouad M. Fouad, responsable du projet R4HC-MENA à Beyrouth, à Arab News.
Juste au moment où il semblait que les choses ne pouvaient pas empirer pour le secteur de la santé au Liban, l'explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020 a rasé tout un quartier de la ville.
Plus de 220 personnes ont été tuées dans l'explosion, environ 7 000 blessées et quelque 300 000 sans-abri. Quelques heures après l'explosion, les gens ont commencé à affluer dans les hôpitaux de la ville avec toutes sortes de traumatismes, des brûlures et des blessures qui ont causées des défigurations par des éclats de verre et de maçonnerie.
Cependant, l'explosion a de plus détruit l'infrastructure sanitaire de la ville. Selon une évaluation de l'OMS, quatre hôpitaux ont été gravement touchés et 20 établissements de soins primaires, desservant environ 160 000 patients, ont été endommagés ou détruits.
«L'explosion a engendré de multiples besoins de santé et de réadaptation parmi les survivants», a déclaré Rasha Kaloti, associée de recherche du projet R4HC-MENA, à Arab News.
«Cela a aussi amené de nombreux patients à manquer des soins de routine pour diverses affections, en particulier des thérapies de soins intensifs telles que les traitements contre le cancer, et beaucoup ont dû choisir le transfert vers d'autres hôpitaux, ce qui a entraîné des retards et un manque de continuité des soins».
Pendant ce temps, les effets de l'explosion du port de Beyrouth sur la santé mentale commencent seulement à se faire sentir, les survivants souffrant d'anxiété, de dépression et de trouble de stress post-traumatique.
Embrace, une ONG de sensibilisation à la santé mentale au Liban, a interrogé environ 1 000 personnes âgées de 18 à 65 ans et plus au cours des 10 premiers jours après l'explosion. Elle a révélé que 83 % des personnes interrogées ont affirmé se sentir tristes presque tous les jours, tandis que 78 % ont confié se sentir très anxieuses et inquiètes tous les jours.
L'explosion a en outre accéléré la fuite des cerveaux des travailleurs qualifiés, notamment le personnel de santé. Selon l'étude R4HC-MENA, 43 764 Libanais ont émigré dans les 12 premiers jours après l'explosion.
L’étude R4HC-MENA a formulé plusieurs recommandations dans le but d’aider le Liban à sauver son système de santé. «La première chose qui doit se produire est que des engagements politiques clairs soient pris pour assurer la santé et le bien-être des Libanais et des réfugiés», a indiqué le Dr Fouad.
«Un nouveau contrat social doit être créé. Il ne suffit pas de signer une déclaration de l'OMS sur les soins de santé universels».
En effet, les causes de l'effondrement des soins de santé au Liban sont en grande partie politiques. Pour le Dr Coutts, une bonne première étape pourrait être de redéfinir la définition de «l'échec de l'État» pour inciter la communauté internationale qui fournit l'aide à injecter des ressources dans le système de santé.
«Il est difficile de voir comment le Liban n'est pas un État défaillant alors que le système de santé est à bout de souffle, que la moitié de la population n'a pas les moyens d'accéder au système de santé, que les trois quarts de la population se trouvent sur le seuil de pauvreté de la Banque mondiale et qu’une explosion massive d'origine humaine s'est produite au milieu de la capitale dont personne n'a été tenu responsable», a-t-il soutenu.
«Si ce n'est pas une défaillance de l'état, alors la défaillance de l'état doit être redéfinie».
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com