BAMAKO: Les fake news politiques prolifèrent au Sahel. Ils accusent de turpitudes la France et ses alliés et glorifient les mouvements populaires contre les ordres établis, prospérant dans les troubles qui secouent la région.
Ils trafiquent grossièrement les communiqués à en-tête gouvernemental pour annoncer faussement que le Mali a rompu ses relations avec la France. Ils détournent les photos et recyclent d'anciennes vidéos pour illustrer la prétendue solidarité de peuples frères avec le Mali sous sanctions internationales.
Plus sophistiqués, ils prennent l'apparence d'un flash d'information avec un avatar de présentateur pour affirmer que la France soudoie les partis maliens contre la junte au pouvoir.
"On avait un moment connu une accalmie dans la fabrication et la circulation des fake news", mais cela a repris de plus belle, constate Abdoulaye Guindo, coordinateur de Benbéré, principale plateforme en ligne de vérification des infox au Mali.
Les infox sur le football, les célébrités ou le covid pullulent au Sahel comme ailleurs. Le foisonnement des infox politiques s'inscrit, lui, dans un contexte de tensions entre le Mali et l'ancien colonisateur français, de ressentiment antifrançais, de compétition entre les puissances et de contestation des alliances et des systèmes en place.
Trois coups d'Etat ont redistribué les cartes au Mali et au Burkina Faso en moins de deux ans.
Dans une région où l'accès aux médias conventionnels est parcellaire ou nul, où des Etats affaiblis ou discrédités peinent à faire entendre leur voix mais où les smartphones sont partout malgré la pauvreté, Whatsapp, Facebook et Youtube véhiculent la désinformation, à l'instigation d'acteurs souvent dissimulés.
Viralité opaque
Le plus courant des fakes, disent les experts, est la réutilisation de vieilles vidéos dans un contexte nouveau. Ils "participent à la désinformation tout en semant la psychose", disait mi-janvier la Brigade burkinabè de lutte contre la cybercriminalité sur sa page Facebook en démentant la véracité d'une vidéo virale.
Elle prétendait montrer la mise à sac de l'ambassade du Faso à Bamako par des individus associant le Burkina à la décision des pays ouest-africains d'infliger des sanctions au Mali. Il s'agissait en fait d'une manifestation en Angola.
Une photo partagée des centaines de fois sur Facebook début février était censée montrer une récente manifestation à Niamey. "Niamey en ébullition", disait la légende, laissant supposer qu'après le Mali ou le Burkina, le Niger était gagné par la protestation.
AFP Factuel, le service de factchecking de l'Agence France-Presse, a démontré que le cliché avait été pris en 2014 au Faso.
"En octobre, nous avons observé une forte augmentation des fausses informations sur les réseaux sociaux concernant le Mali. Mais depuis le début de l’année, nous avons noté que cette désinformation augmente dans plusieurs pays du Sahel", note Caroline Taïx, éditrice Afrique à AFP Factuel.
Impossible de quantifier la viralité de ces fakes, sur Whatsapp au moins, où l'on peut transférer en un clic un contenu à ses contacts. Impossible aussi d'identifier de qui ils émanent.
Mais des opinions se forgent "sur la base d'informations qui sont en décalage avec la réalité", dit le chercheur malien Baba Dakono. Dans un contexte de polarisation des opinions, ces fausses informations "pourraient amener à des situations regrettables où des personnes sont prises à partie, lynchées", estime-t-il.
Guerre informationnelle
Ces derniers mois sont apparues des vidéos non plus seulement détournées, mais montées de toute pièces et "de faux profils créés" sur les réseaux sociaux "juste pour intoxiquer l'opinion", explique un responsable à la présidence nigérienne sous couvert d'anonymat.
La plupart de ces vidéos reprennent les codes des médias internationaux et s'appuient sur des images fixes ainsi qu'une voix off robotisée. Elles dénoncent la présence française au Mali et promeuvent une intervention russe.
L'AFP en a comptabilisé une quinzaine depuis deux mois, contre zéro auparavant. Elles sont semblables à des vidéos ayant circulé ces dernières années en Centrafrique, où sont déployés des hommes en armes russes.
Elles participent à "une désinformation volontaire, une guerre informationnelle", dit un diplomate africain à Bamako sous le couvert de l'anonymat.
"Ces fake news, c'est une guerre froide entre puissances, les démocraties européennes contre certains de leurs adversaires à la tête desquels se trouvent les Russes", déclare Kalla Moutari, ex-ministre nigérien de la Défense, membre influent du parti au pouvoir.
La Russie a toujours démenti avec fermeté mener des campagnes de désinformation sur les réseaux sociaux, et se dit elle-même victime de fake news occidentaux.
Des comptes Twitter créés ces derniers mois soutiennent, eux, l'intervention militaire française au Sahel. Fin 2020, Facebook avait supprimé trois réseaux de "trolls" gérés depuis la Russie et la France sur l'actualité africaine, dont un avait des liens avec des personnes associées à l'armée française. Paris avait affirmé ne "pas être en mesure d'attribuer d'éventuelles responsabilités".