CASABLANCA: «Vive le Maroc et les Marocains!» C’est par ces mots qu’Éric Zemmour, fondateur du parti Reconquête 2022 et candidat à la présidentielle française, a enflammé la twittosphère marocaine.
Le candidat d’extrême droite a félicité le Maroc pour une loi encadrant l'état civil marocain, prévoyant que les prénoms des enfants doivent «présenter un caractère marocain».
Cette loi stipule que les prénoms choisis doivent avoir un «caractère marocain pour protéger l'identité nationale marocaine», comme l’explique dans un tweet Mohamed Louizi, essayiste franco-marocain, ancien membre du mouvement marocain Attawihid wal'Islah et du PJD.
Excellente idée. Vive le Maroc et les Marocains ! https://t.co/FC79KT3QzL
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) February 10, 2022
Ce tweet a été repris par Éric Zemmour, qui se félicite de cette «excellente idée», semblable à celle qu’il défend dans son programme et qui consiste à obliger les Français à donner des prénoms d’origine “chrétienne” à leurs enfants.
Afin d’avoir plus de précision sur cette affaire, Arab News en français a contacté un juriste marocain, Ayoub Benfaress, qui souligne d’emblée, qu’il s’agit d’une «manipulation purement politique dans le cadre de la présidentielle d’avril».
La loi 37-99 relative à l’état civil stipulait que «le prénom choisi par la personne faisant la déclaration de naissance en vue de l'inscription sur les registres de l'état civil doit présenter un caractère marocain et ne doit être ni un nom de famille, ni un nom composé de plus de deux prénoms, ni un nom de ville, de village ou de tribu, comme il ne doit pas être de nature à porter atteinte aux bonnes mœurs ou à l'ordre public (…)».
Benfaress explique que cette loi existait et qu’elle régulait effectivement le choix des prénoms, mais concernant le «parallélisme que fait Zemmour, il est biaisé à la base dans la mesure où la France est un pays laïque alors que le Maroc est un pays musulman d’après la Constitution»; en d’autres termes, la comparaison ne tient pas. Autrement dit, la culture musulmane pencherait plus pour des prénoms d’origine arabe, mais pas seulement dans le cas du Maroc au vu de sa diversité culturelle, puisque que les prénoms arabes, amazighs, hassanis ou hébraïques sont également autorisés. En France, un pays laïque, de son côté, ne peut en principe imposer des prénoms “chrétiens”.
Il s’agit donc d’une manœuvre politique, d’autant plus que Mohamed Louizi a affiché jeudi son adhésion au parti politique de Zemmour. «Inch'allah la Reconquête! À visage découvert. En ce jour de vendredi, symbolique pour le citoyen français de foi musulmane que je suis, je soutiens officiellement la candidature d'@ZemmourEric et j'adhère au parti @Reconquete2022. Un acte libre, désintéressé, lucide et engagé », a-t-il tweeté plus tôt dans la journée de jeudi.
Inch'allah la Reconquête ! à visage découvert. En ce jour de vendredi, symbolique pour le citoyen français de foi musulmane que je suis, je soutiens officiellement la candidature d'@ZemmourEric et j'adhère au parti @Reconquete2022. Un acte libre, désintéressé, lucide et engagé. pic.twitter.com/geaEVjs1gO
— LOUIZI Mohamed (Unique compte officiel) (@MohamedLOUIZI) February 11, 2022
Juridiquement parlant, la loi 37-99 qui date de 2002 n’est plus d’actualité, affirme Benfaress, puisqu’un nouveau projet de loi est venu la remplacer en 2021, la loi 36-21. Si celle-ci n’est pas révolutionnaire au sens où elle ne diffère pas beaucoup de l’ancienne loi, « c'est sur cette loi qu’il faut se baser, même si les textes d’application ne sont pas encore publiés ». « Évoquer une vieille loi démontre que la manœuvre est purement politique et que le sujet ne maîtrise pas ce domaine », ajoute-t-il. De plus cette nouvelle loi n’évoque plus le “caractère marocain” que doit avoir un prénom.
À la question de savoir qui est habilité à déterminer si un prénom est conforme ou pas et selon quels critères, Benfaress explique à Arab News en français qu’un fonctionnaire de l’administration publique, l’officier de l’État civil, est celui qui accepte ou refuse un prénom. «Une base de données des prénoms officieuse existe et c’est en fonction de celle-ci que l’officier rend sa décision.»
Enfin, Benfaress explique qu’aujourd’hui, en vertu de la nouvelle loi, le citoyen peut contester la décision de cet officier devant le tribunal administratif – une démarche qui n’était pas possible avec l’ancienne loi.
Pour conclure, Benfaress pense que «même si Éric Zemmour est élu à l’Élysée, il ne pourra pas appliquer ce genre de mesure, la France étant un pays où le principe de liberté est essentiel; il serait vraiment surprenant qu’une loi pareille soit adoptée».