PARIS:"Temps levé, glissade, penché, assemblé, détourné!" A l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris, Wilfried Romoli ne ménage pas sa classe de garçons en dernière année qui veulent "être prêts" pour leur future carrière, en dépit d'une année marquée par les turbulences.
Entre les grèves qui ont secoué la France en fin d'année et le coronavirus, les célèbres "petits rats" de l'Opéra ont d'abord vu depuis décembre leurs spectacles annulés, puis leurs corps confinés.
Leurs examens ont ensuite été reportés, notamment celui, crucial, du concours d'entrée au Ballet de l'Opéra de Paris, le Graal pour les pensionnaires de cette institution tricentenaire.
Encaissant les déceptions les unes après les autres, la première division, la dernière classe dans cet enseignement d'élite, en ressort toutefois avec davantage de maturité et pour certains le droit à une seconde chance.
"Je me suis vite rendue compte qu'une génération risquait d'être un peu sacrifiée", affirme à l'AFP Elisabeth Platel, directrice de l'Ecole et "gardienne" du style français de la danse classique.
"J'ai donc offert à tous ces élèves, s'ils n'étaient pas pris au Ballet, une année supplémentaire", ajoute cette ancienne danseuse étoile légendaire.
Les élèves les plus âgés ne retrouveront l'emblématique palais Garnier qu'à la fin de l'année, pour les traditionnelles Démonstrations de la danse (6-13-19 décembre). Pendant un an, "l'Ecole entière n'a pas été confrontée au regard du public, au trac", rappelle Elisabeth Platel.
Les petits rats ont repris les cours en juin, juste avant les vacances estivales: sur les 150, 130 sont revenus; certains étrangers, du Canada ou d'Australie, ayant été bloqués chez eux.
L'internat a rouvert mais avec un élève par chambre au lieu de trois, les cours de danse folklorique, de mime et les pas de deux ont été suspendus, les studios régulièrement aérés, les barres désinfectées et le port de masque obligatoire dans les déplacements.
Chez les dernières années, Rubens, 18 ans, tente tours en l'air et grands jetés. Blessé à la cheville avant le confinement, il a repris la danse chez lui, pratiquement "de zéro". "C'était un peu comme un emprisonnement mais ça m'a permis de faire tellement attention (que) j'ai réussi à augmenter la qualité de mon travail".
Fragilité du métier
Margaux, de la première division des filles, a elle eu peur "de prendre du retard" pendant le confinement. "C'était dur, mais on apprend à travailler seuls".
Des cours via Zoom ont été organisés rapidement, avec suivis individuels. Mais pour beaucoup, les conditions étaient rudimentaires, avec une fenêtre ou une chaise au milieu du salon en guise de barre.
"Il fallait les motiver", admet Wilfried Romoli. Mais certains sont revenus changés en juin: ils "comprenaient trois fois plus vite".
Si les professeurs ont fait preuve de bienveillance durant le confinement, la rigueur a repris le dessus au studio. "Ils doivent comprendre qu'il faut remonter (la pente), c'est vraiment leur avenir", assure le professeur, qui a toutefois veillé à leur demander d'arrêter à la moindre douleur.
Dans cette institution réputée pour son exigence et ses traditions, la crise a aussi rapproché "petits rats" et professeurs. "On avait un contact particulier", confirme Géraldine Wiart, professeure des benjamines, qui a surveillé leur travail via des vidéos.
"Avez-vous des courbatures?", s'enquiert-elle face aux élèves de la 6e division en justaucorps bleu ciel, notant que les plus petits retrouvent "très vite la forme".
Pour chaque élève, des commissions d'évaluation détermineront si l'élève redoublera ou s'il passera à une classe supérieure.
Elisabeth Platel prépare la rentrée "dans la prudence". "L'élan a été maintenu; ce sont des enfants qui ont vraiment envie de danser", dit la directrice. Mais après la pandémie, "je suis inquiète pour l'avenir de notre métier... est-ce un virage?"
L'ex-étoile veut surtout préparer ses petits rats à une nouvelle réalité et "leur faire comprendre la fragilité de leur métier".