PARIS: Journaliste, animateur, programmateur, grand professionnel de l’audiovisuel, homme aux passions multiples, Yves Bigot est notamment passé par Europe 1, RTL, Endemol, France Télévisions, Libération ou encore la RTBF. Depuis 2012, il est à la tête de TV5 Monde, diffusée aujourd’hui dans 404 millions de foyers à travers le monde.
À l’occasion du lancement, en HD et SD, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, de TiVi5 Monde, la chaîne jeunesse des 4-14 ans de TV5 Monde, sur le satellite Arabsat, Arab News en français a rencontré ce PDG aux multiples facettes qui réussit avec brio à coordonner l’expression de cinq zones francophones (la France, la Suisse, la Wallonie-Bruxelles, le Canada et l’État du Québec) au sein d’une seule chaîne de télévision. En français.
Dans combien de pays TV5 Monde est-elle aujourd’hui présente?
Aujourd’hui, TV5 Monde, c’est 404 millions de foyers partout sur la planète et deux cent onze pays et territoires – exactement comme la Fifa (Fédération internationale de football association, NDLR). Nous sommes diffusés sur tous les continents. Dans les vingt-quatre pays où notre audience est mesurée, nous avons plus de soixante millions de téléspectateurs. Nous sommes dans le top 5 mondial en termes d’audience.
Quelles sont les attentes de TV5 Monde avec la diffusion de sa chaîne jeunesse dans le monde arabe?
Tout d’abord, nous cherchons à nous adresser à la jeunesse. Avec ses programmes variés issus de la production francophone, qu’il s’agisse de dessins animés, de programmes éducatifs, de séries pour enfants, de magazines ou de longs métrages d’animation, TiVi5 Monde a pour ambition de devenir la chaîne francophone préférée des 4-14 ans de la région, comme elle l’est déjà aux États-Unis et dans trente pays d’Afrique où, depuis plusieurs années, elle rencontre un vif succès. Cette chaîne jeunesse vient compléter l’offre de TV5 Monde déjà présente sur ce même satellite, la chaîne généraliste culturelle francophone, TV5 Monde Maghreb-Orient et TV5 Monde Style HD, la chaîne consacrée à l’art de vivre.
Nous espérons séduire nos téléspectateurs comme en Afrique, alors que nous ne nous attendions pas à rencontrer un tel succès sur ce continent. Souhaitons qu’il en soit de même dans le monde arabe et dans le Moyen-Orient. Nous bénéficions du soutien actif d’Arabsat, qui diffuse gratuitement nos programmes dans le monde arabe, ce qui nous permet d’être optimistes. Les émissions destinées à la jeunesse que nous proposons sont particulièrement distrayantes, notamment grâce à des accords et des contrats de coproduction avec l’Afrique subsaharienne, et le Québec. Nous aimerions produire des programmes avec des pays du monde arabe tels le Maroc, le Liban, l’Égypte et le Golfe, notamment avec l’Arabie saoudite.
Pourquoi n’y a-t-il pas eu de coproductions avec le monde arabe jusque-là?
Parmi nos missions figure la coproduction avec les pays du sud; le monde arabe en fait partie et nous coproduisons beaucoup de programmes en Afrique subsaharienne, aussi bien des films de cinéma – parfois présentés à l’occasion d’événements internationaux tels que le Festival international du film de Toronto, le Festival du film francophone d’Angoulême, entre autres –, mais également des séries télévisées. Depuis l’existence de TiVi5 Monde, nous coproduisons aussi des films d’animation en Afrique subsaharienne. Nous aimerions pouvoir appliquer cette logique de coproduction à l’ensemble du monde arabe.
Cependant les difficultés que l’on rencontre dans les pays qui produisent beaucoup, comme l’Égypte, le Maroc ou le Liban, c’est que la grande majorité de leurs productions est en langue arabe. Or, nous sommes la chaîne de la francophonie: nous produisons des programmes originaux en français et qui ne sont pas sous-titrés ou doublés. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes en discussion avec la chaîne marocaine 2M, qui propose actuellement des programmes en français. C’est un début.
Quels sont les projets de la chaîne?
Le projet immédiat, c’est le lancement de TiVi5 Monde dans le monde arabe! Nous sommes également en pleine intégration de la principauté de Monaco, qui vient de rejoindre la chaîne et rejoint donc la France, la Suisse, le Québec, le Canada et la fédération de Bruxelles dans le financement et la gouvernance de TV5 Monde. C’est une nouvelle étape importante, puisque c’est la première fois depuis 1986 qu’un nouvel État rejoint la gouvernance de la chaîne.
Il est certain que l’apprentissage du français nous importe beaucoup, et nous pensons à ceux qui ont appris le français à l’école, mais ne le pratiquent pas, ou l’ont peut-être oublié. Nous allons donc, dans les mois à venir, sous-titrer nos journaux en français en direct et, dans un second temps, proposer un sous-titrage en anglais. Le support écrit permettra à toutes les personnes qui souhaitent enrichir leur vocabulaire de s’améliorer.
Vous avez été récemment nommé à la tête de l’Alliance française… Quelle est, à votre avis, la situation du français dans le monde arabe?
La situation du français, y compris au Maghreb, est très différente en fonction des pays. En Algérie, par exemple, la posture politique du gouvernement consiste à combattre le français à travers la réduction de son enseignement, notamment dans le cadre des études supérieures. Pour autant, il y a aujourd’hui autant de quotidiens en français en Algérie qu’à Paris, et certains opposants, dans ce pays, utilisent justement le français afin de marquer leur opposition à l’arabisation forcée de l’Algérie par son propre gouvernement.
Au Maroc, le français était aussi en recul depuis quelques années et la société avait tendance à enseigner et à pratiquer l’arabe puis à se tourner vers l’anglais, dont l’apprentissage est plus aisé et qui est la langue des réseaux sociaux, des jeux vidéo, des séries américaines… Toutefois, le gouvernement marocain – comme le gouvernement égyptien – a décidé il y a quelques années de réintroduire l’enseignement obligatoire du français dès l’école élémentaire. Leur stratégie est de considérer que le français enseigné aux jeunes permettra notamment à ces derniers d’écouter des programmes, des chaînes en français, de lire en français… et donc de développer des idées universelles qui sont combattues par les islamistes.
En Tunisie, la situation est tout à fait complexe, parce que c’est un pays historiquement francophone – où devait d’ailleurs se tenir le sommet de la Francophonie –, ce qui montre bien que le gouvernement tunisien conserve son lien avec la francophonie, donc avec la langue française. Mais la situation sanitaire et la situation politique ont empêché la tenue de ce sommet, reporté au mois de novembre 2022. En même temps, la télévision tunisienne n’a pas diffusé de programmes en français depuis plus de vingt-cinq ans. Cette décision vient de la télévision publique tunisienne et, vraisemblablement, du gouvernement tunisien.
Au Moyen-Orient, le seul pays véritablement francophone est le Liban, mais il existe un désir de langue française dans les pays du Golfe. Nous le constatons avec leur nouvelle adhésion à l’OIF (Organisation internationale de la francophonie, NDLR). Nous avons également constaté, depuis le lancement de TV5 Monde+, notre plate-forme mondiale et gratuite, que les programmes en français (même s’il faut noter que les téléspectateurs ont accès aux sous-titrages en arabe et en français) sont extrêmement populaires, notamment en Irak. Au Moyen-Orient, l’attrait nous paraît culturel plus que linguistique.