PARIS : Le président français Emmanuel Macron, qui affiche sa volonté d'exercer une pression maximale sur les récalcitrants à la vaccination, joue sur du velours en pleine crise sanitaire, mais reste à la merci d'un retournement de l'opinion, selon des analystes.
Alors que la France a enregistré plus de sept millions de nouvelles contaminations à la Covid-19 depuis le début de l'année, le pass vaccinal, obligatoire pour aller au restaurant ou prendre le train, est entré en vigueur le 24 janvier, après des manifestations drainant quelques dizaines de milliers de protestataires à travers le pays.
Considéré comme largement favori à sa propre succession, avec près de 25 % d'intentions de vote au premier tour, M. Macron, qui ne s'est pas encore déclaré candidat, a délibérément stigmatisé les non-vaccinés, confiant dans un entretien au quotidien Le Parisien au début du mois avoir "très envie de les emmerder" pour les amener à résipiscence.
Pour le politiste italien Giuliano da Empoli, "Emmanuel Macron fait de l'opposition entre pro et antivaccins le clivage politique décisif de l'élection présidentielle".
Le résultat, écrit dans une tribune publiée par le journal Le Monde M. da Empoli, qui a été conseiller de l'ex-chef du gouvernement italien Matteo Renzi, est de "polariser le champ politique en identifiant les candidats les plus extrêmes comme seuls adversaires et en affaiblissant toutes les figures intermédiaires, au premier rang desquelles la candidate du parti Les Républicains, Valérie Pécresse".
"La stratégie de Macron c'est de consolider sa base électorale", observe Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l'Université de Lille (Nord).
Stratégie pour l'instant payante puisque son socle électoral semble se "solidifier" : 78% des électeurs ayant l'intention de voter pour lui se déclarent "sûrs de leur choix", en hausse de 6 points depuis début janvier, selon un sondage BVA publié vendredi.
"Le coeur de son électorat, c'est un électorat diplômé, assez aisé et qui est très hostile au côté un peu +irrationnel+, ou du moins perçu comme tel, des antivax, donc il apparaît comme le camp de la raison face à l'obscurantisme, le complotisme, etc", explique Rémi Lefebvre.
"Le risque c'est de mobiliser les antivax, mais on en trouve dans l'électorat LFI, dans l'électorat Zemmour, dans l'électorat Le Pen", ajoute-t-il, en référence à La France insoumise (LFI) du candidat de gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, et des deux représentants de l'extrême droite, "donc on ne peut pas dire que ça va favoriser un camp contre lui".
«Cocotte-minute»
Dans l'ensemble, le président sortant surfe sur une large adhésion de la population à sa gestion de la pandémie, même si elle "crée chez une toute petite partie des Français une vraie colère, sur les extrêmes, dans les comportements, avec des agressions de députés", remarque Emile Leclerc, directeur de recherche à l'institut de sondages Odoxa.
"Cette crise d'une certaine manière c'est comme une cocotte-minute : tant qu'elle est bien couverte, tout se passe bien, et puis du jour au lendemain, si vous ouvrez un peu la cocotte, ça peut exploser", prévient-il, décelant de premiers signes préoccupants pour M. Macron.
Dans les dernier baromètres politiques, il perd 5 ou 6 points par rapport à décembre, "c'est la première fois depuis neuf mois qu'il passe sous la barre des 40 %", souligne Emile Leclerc.
Dans un récent éditorial, le quotidien L'Opinion pointait le risque politique du "croisement de deux courbes, une première, ascendante, qui introduit de nouvelles restrictions à l'encontre des non-vaccinés, cible assumée du chef de l'Etat", et une seconde, descendante in fine, des contaminations.
"Entre la réalité et la perception qu'ils en ont, il suffit d'un rien pour que dans l'esprit des Français, et donc des électeurs, l'image d'Emmanuel Macron passe de celle d'un président protecteur tenant bon la barre dans cette crise à rallonge, à celle d'enquiquineur en chef instaurant un tour de vis ne se justifiant pas totalement", selon le journal.
Giuliano da Empoli s'interroge sur les conséquences à terme de "l'adoption d'un style populiste par les leaders modérés". Selon lui, l'exemple italien montre qu'"utiliser les armes du populisme contre les populistes ne contribue finalement qu'à renforcer l'emprise de ces derniers".
Pour Rémi Lefebvre, "il y a une stratégie de cynisme, de polarisation, c'est totalement assumé" de la part du président sortant, quitte à affaiblir ainsi sa légitimité pour un second mandat. "Macron pense d'abord à la manière de gagner, ce qui serait quand même un exploit", rappelle-t-il, puisque aucun de ses prédécesseurs n'a été réélu au suffrage universel hors cohabitation.